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Terre des rêves... (Australie): A la découverte du bush (brousse) australien

par Un Reportage De Réda Brixi

Comme toutes les agences de voyage qui pullulent aussi bien à Melbourne que dans l'arrière-pays à Alice Springs, elles tentent une stratégie d'arnaque pour vous envoûter dans le nouveau et l'exotisme afin de vous enfiler un kit de séjour à un prix exorbitant.

- Tout le pack est à 2500 dollars australiens (1E = 1,5$)

- Pour combien de temps ?

- Quatre jours, et pour une semaine c'est 4000$

- Ok, je vais réfléchir.

En avion vous ne voyez que du bleu ciel, et un guide qui vous mâche tout, dont la digestion est mêlée de sottises et de légendes incontrôlées. L'essentiel vous échappe, c'est-à-dire la grandeur du pays et la rencontre avec les autochtones. Non merci, je préfère ma méthode de débrouillardise sur le terrain, de constater l'immensité du Bush et de vivre sur une approche réelle avec la population au moyen de locomotion peut-être lent, mais combien enrichissante : c'est le bus « Greer houd ». Avec une « passe » de 240$ vous en avez pour 8 jours de voyage jours et nuits. Vous traversez ainsi la brousse en la constatant de visu au lieu de planer dessus. S'alimentant dans les stations-essence, ces grands carrefours attrayants où règne une ambiance de la démesure du pays. On vit le pays à travers ces grandes distances qui font défiler des paysages en grand panorama. Quand on arrive zombie au village autochtone d'Alice Springs au milieu du désert et au cœur de l'Australie à 18 000 km de chez soi, la réflexion est autre. Elle subit cette inclinaison tropique du céans.

Elle se hisse vers les hauteurs éthérées de la condescendance. Une pensée en mouvement est une action, elle attire du neuf. La pensée, cette fleur spirituelle s'ajoute à la bonne humeur comme le miel au gâteau. Les émotions ricochent comme des boules de billards. Le regard nouveau est alimenté d'une nouvelle sève féconde. Hors du charnier natal, on se sent plus vigoureux et apte à toute ouverture du « vivre ensemble ».

Les voitures et surtout les camions sont équipés de pare-chocs spécialement conçus pour atténuer les effets des collisions avec les animaux. Sur le continent, lorsque les road-trains, tractant plusieurs remorques, roulent à vive allure pour traverser les immenses étendues, le heurt d'un kangourou fait l'effet d'une mouche qui s'écrase sur un pare-brise. Pour le chauffeur, il n'est pas question de s'arrêter, de s'apitoyer, ni même faire un écart pour l'éviter. Il a au moins quatre mille kilomètres à faire sur ces routes et rien ne l'arrêterait. Les routes sont jonchées de cadavres de wallabies, ces animaux candides et imprudents. Seuls les oiseaux batifolent sur les abords des stations : corneilles, cacatoès, perruches, ibis. Tous les êtres à plumes piaffent, s'affolent pétillent de couleurs et de vie. Le soleil est radieux, juste derrière la station, un jardin bien entretenu égaye le paysage par des massifs en fleurs : rhododendrons, magnolias, fougères cohabitent avec une grande variété d'essences. En me promenant ici et là, pour la première fois, j'aperçois sur le grand parking des aborigènes, clochards, noirs ébène, hirsutes, allant pieds nus, hébétés par l'alcool, épaves de pauvreté et de saleté. Une image peu glorieuse aux occupants anglais qui ont voulu exterminer ce peuple.

Ces aborigènes entretenus par des pensions d'entre-aide sont livrés à eux-mêmes aux abords des agglomérations pour essayer de grapiller quelques cigarettes ou quelques pièces. Ironiquement, ils nomment ces aides sociales que leur verse l'Etat-providence «sit down money», «l'argent qui se gagne en restant assis».

Origines des Aborigènes

Lorsqu'au XVII° siècle les premiers Européens débarquèrent sur les côtes de cette grande terre australe, ils conclurent que cette dernière avait vécu oubliée du reste de l'humanité avant leur arrivée. Ils estimèrent que ses terrains étaient en friche, inexploités par des populations peu évoluées. A leur regard, c'était une sorte d'échantillons de la préhistoire. Aujourd'hui les scientifiques ont rangé leurs échelles évolutionnistes pour une autre vision. Les géologues parviennent à dater leur genèse. La croûte continentale qui porte l'Australie compte parmi les plus anciennes (plus de trois milliards d'années). Elle formait le Gondwana, la moitié du Pangée, il y a 250 millions d'années, et pendant l'âge glaciaire, le niveau de la mer étant plus bas, la mer d'Arafura était à sec. Elle a permis aux Homo Sapiens de débarquer à partir de l'Asie. Arrivés par le Nord, ces habitants des Célèbes (Indonésie) se sont dispersés sur tout le territoire, posant les fondations d'une multitude de communautés. Il serait abusif et réducteur de parler d'un seul peuple aborigène, d'une seule culture. Des similitudes existent dans la langue, les modes de vie et les mythes grâce aux échanges constants entre clans. Ces peuplades semi-nomades se déplaçaient au gré des saisons et des ressources. L'environnement se retrouva naturellement au cœur de la mythologie. Chaque communauté va porter la trace dans son fonctionnement et ses lois des évènements mythologiques qui se déroulent dans cet habitat.

Les chasseurs-cueilleurs

Dans le reste du continent, l'activité volcanique remonte à des millions d'années. Dans la majeure partie de l'île, le relief se résume à quelques monolithes, à des plateaux, des canyons et à quelques massifs montagneux très anciens (les montagnes bleues). Les sols, essentiellement composés de granit et de gneiss, recèlent des trésors de minerais mais ne sont pas très fertiles. C'est cette immensité plate, étendue de poussière rouge clairsemée de rochers portant la marque des vents incessants, des pluies et des années qui respire l'ancienneté. Une similitude à notre Tassili.

Le désert aride occupe l'essentiel du continent australien en dehors des côtes et « du croissant fertile ». Il s'étend sur des milliers de kilomètres que l'on peut parcourir aujourd'hui en voiture, sur de longues routes parfaitement rectilignes qui s'étirent jusqu'à l'horizon. De part et d'autre du ruban de bitume, le paysage est uniforme, à perte de vue : de la poussière, jaune ou rouge, des arbustes (eucalyptus, acacias) et de maigres buissons clairsemés, des touffes plus vives de spinifex, des termitières, dont les silhouettes robustes jalonnent l'étendue vide tels des menhirs comme pour donner un sens au paysage. On peut rouler pendant des heures sans rien rencontrer d'autre qu'une station-service ou une boîte aux lettres indiquant une ferme et surtout protège des kangourous et autre curiosité. Avant l'arrivée des colons, l'ensemble du désert central était habité. Depuis des dizaines de milliers d'années, des groupes de chasseurs-cueilleurs nomades parcouraient en toute saison ces territoires, sur des centaines de kilomètres, les connaissant si bien qu'ils pouvaient localiser chaque trou d'eau, chaque changement infime du relief. Grâce à leur parfaite maîtrise de cet environnement, les nomades vivaient des ressources naturelles de la région, malgré leur rareté. Ils savaient s'orienter très précisément, creuser le sable pour trouver une nappe que rien ne permet de déceler en surface, lire les signes très subtils qui trahissent la présence et l'itinéraire d'un animal, collecter des racines qu'ils savaient comestibles. Ces liens intimes à l'environnement et aux lieux qui pourvoient aux besoins de la subsistance s'expriment aussi dans un rapport symbolique à la géographie qui, lui-même, se traduit par des pratiques rituelles.

La plupart des groupes aborigènes pratiquaient la politique de la terre brûlée. Ces brûlis rendent le terrain plus praticable, pour se déplacer et pour chasser : pour les nomades un terrain qui n'est pas brûlé est comme une maison mal rangée. En outre, la flore s'est adaptée à cette pratique multimillénaire et de nombreuses espèces ont besoin du feu pour se renouveler, l'ayant intégré dans leur cycle de vie. Au brûlis, seule l'herbe prend feu, les arbres restent intacts : les brûlis ne provoquent pas d'incendies ravageurs.

Au cours du XXe siècle, les colons se sont installés dans la région et ont regroupé les chasseurs cueilleurs dans des villages appelés « communautés », mettant fin à des pérégrinations multimillénaires. Aujourd'hui, les habitants ont adopté un mode de vie plus sédentaire. Avec l'aide gouvernementale, ils possèdent des cartes de crédits qui leur permettent de s'amuser de tirer l'argent des guichets, d'acheter de l'alcool et de la limonade pour faire notre « zombréto » et de déambuler hagards au village d'Alice Springs. Ils s'agglomèrent d'une façon atavique autour des parcs et des toilettes où ils ont élu domicile. Le village est plein de clochards qui, pieds nus, hommes, femmes et enfants, déambulent sans but. Certains, artistes sur les bords, dessinent des ronds et les proposent aux touristes. Pour la plupart, ils illustrent le fameux « Temps du rêve », les peintures représentent les parcours de ces ancêtres totémiques, et fournissent aux nomades un réseau d'itinéraires jalonnés de sites sacrés. Ces cartes ont valeur de titres de proriété, chaque artiste est détenteur du rêve qu'il peint, et le territoire ainsi figuré appartient à son clan. Ces dessins sont codifiés. Un cercle peut désigner une pierre, un puits, une caverne, le feu ou le sein d'une femme. Le désert australien pratique depuis cinquante mille ans un art rituel qui décrit le périple de leur ancêtre.

Quelques bourgs plantés au milieu de nulle part se trouvant sur l'axe routier d'Adelaïde-Darwin (la stuart Highway), il est d'usage de saluer les conducteurs venant en sens inverse. A Coober Pedy, située au nord d'Adélaide, un trou au sens propre du mot, issu d'un gisemet d'opale et pour se protéger de la chaleur a donné naissance à l'étrange habitation installée dans les trous qu'ils avaient ceusés en cherchant des filons. Le résultat est un lieu lunaire où de petits monticules fleuris couronnés d'une clôture, d'une porte, de quelques fenêtres, émergent du sable. Même les hôtels proposent de vous loger sous terre. L'Outback réserve bien des surprises à qui se donne la peine de s'y arrêter. Pour moi c'était fatal ; c'est un arrêt de mon bus à l'aube qui m'a permis une connection wi-fi où j'ai eu des nouvelles familiales, les grottes contemporaines ne m'intéressaient point. De Pedy on assistait à un lever de soleil s'irisant sur une immensité impressionnante. C'est sa majesté le bush un peu plus animé que notre erg occidental, versant Timimoun. Au milieu de rien, posés comme par miracle sur la terre aride, un monolithe, un canyon un plateau, dressent leurs formes massives et insolites sur le bleu du ciel.

Uluru, géant majestueux

Certains de ces reliefs sont célèbres dans le monde entier : Uluru (Ayers Rock) est ainsi le symbole international de l'Australie en général et des Aborigène en particulier. Même les plus sceptiques, qui estiment que les fondements de la réputation du monolithe sont surtout commerciaux, restent pantois lorsqu'ils découvrent sa silhouette massive, immense, campée sur son bout de bush, comme un énorme animal aux épaules fatiguées, qui serait endormi là plusieurs millions d'années plus tôt. Que l'on choisisse d'escalader les 350 mètres de son point culminant (bravant l'interdiction des Abrigènes propriétaires des lieux) ou de parcourir tranquillement les dix kilomètres de sa circonférence avec le rouge de la roche qui change avec la couleur du ciel, la majesté des lieux ne laissent jamais indifférent. L'origine de cet inselberg reste mystérieuse, il serait la seule trace d'une formation de grande envergure, anéantie par l'érosion, de même que son site voisin, les kata-tjuta, ou mont Olga, où trente-six dômes rouges de tailles variées qui semblent se serrer les uns contre les autres pour se protéger des nuits froides du désert. Solidarité désertique oblige !

Les étendues de poussière rouge sont poncutées de termitières. Un désert ? Oui un vaste désert, un gigantesque parc d'attraction isolé, aux antipodes de la terre où la distance se mesure en devises bien plus qu'en temps de vol. Qui dit antipode dit aussi inversion, décalage de 10 heures. Inversion des saisons, les Australiens fêtent Noël en été. Ils vivent à contre-temps du monde occidental. Ils bénéficicent d'une longue tradition de services adaptés aux zones isolées, tels que les avions postaux, les médecins volants (flying doctors, depuis 1928) ou l'école des airs (school of the air, depuis 1951) qui diffuse un enseignement radiographique. Ainsi l'immensité, tout est connecté à l'internet depuis les années 2000. Alors lointaine l'Australie ? Ce repli n'est plus d'actualité, le pays s'ouvre à l'Asie et au Pacifique, les technologies réduisent les distances.

Toutes les plages australiennes ne se prêtent pas au surf, et la hauteur des vagues n'est pas seule en cause. Dans les eaux tropicales du nord du pays, un seule mot d'ordre fait foi ! Baignades interdites. Les plages y sont pourtant belles mais de sérieux dangers guettent les baigneurs, des crocodilles de 2.5 mètres mangent du poisson et s'attaquent à l'homme s'ils sont en danger. Les méduses, moins spectaculaires, provoquent des brûlures fatales et des électrochocs mortels. Les requins (165 espèces) clôturent le registre et t'invitent à te mouiller juste les jambes. L'océan n'est pas comme la Méditerranée, une piscine. L'océan dans l'imaginaire australien est signe symbolique de danger... l'océan incarne la menace de l'invasion.