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L'échec entretenu des entreprises publiques

par Abdelhamid Hini*

Je me souviens d'une histoire qui m'a été racontée par un cadre d'une grande entreprise publique algérienne il y a une dizaine d'année; lorsque pour appliquer des réformes de gestion au sein de cette entreprise, la direction a décidé d'engager un bureau d'études étranger pour effectuer un audit de gestion face à un standard international. Lors de la présentation du rapport d'audit par l'expert en charge de cette mission devant les hauts responsables de cette entreprise, il a naïvement évoqué une situation qui a fait un grand scandale parmi ces responsables. Il s'agit du constat d'un Echec Entretenu par le Management.

Dans le lexique universel de management, il n'existe pas de mot ni de terme approprié pour décrire une activité d'entretien de l'échec au sein d'une entreprise, parce que c'est une contradictoire à la raison d'être de cette entreprise; et pourtant c'est une réalité toute crue chez nous en Algérie. Les entreprises et institutions publiques de notre pays font un modèle de gestion unique au monde avec un fondement bien particulier ; celui de garantir la pérennité dans l'échec.

L'échec auquel il est fait référence ici est relatif au défaut de se conformer aux principes de gestion tels qu'établis par la science de gestion qui déborde de théories et d'exemples en matière de pratique de la gestion par secteur et par discipline. Le fondement de cet échec se distingue par quelques termes de gestion typiquement algériens, qu'on peut classer et faire un chef-d'œuvre en pratique de l'échec et de l'amertume au travail au sein d'une entreprise ou d'une institution publique.

Principe d insoumission

Le principe d'insoumission est le fait d'appartenir formellement à une organisation sans le croire et l'être concrètement. L'insoumission est très répandue chez le personnel du secteur public, c'est une attitude acquise au fur et à mesure qu'on gagne de l'expérience, et la raison clé de cette attitude est le fait d'évoluer dans une ambiance de travail répulsive avec un salaire dérisoire.

Antagonisme professionnel

En Algérie, les entreprises et les institutions publiques sont caractérisées par une permanente rivalité professionnelle agissant en diagonale et en verticale, soit entre les différents services de l'entreprise et plus gravement entre les dirigeants et les exécutants. L'antagonisme professionnel est le fait de considérer que les autres acteurs de l'entreprise sont comme des adversaires, qui ne font qu'entraver leur plan d'action, ou causer des problèmes. Pour apprécier cette rivalité, il suffit de faire un sondage sur l'attitude des dirigeants auprès du personnel exécutant, et réciproquement sur l'attitude collective du personnel auprès des dirigeants.

Processus limbique de décision

Ce processus concerne toute personne ayant un pouvoir de décision au sein d'une entreprise ou institution du secteur public, et consiste en l'utilisation fréquente du système limbique ou émotionnel dans la prise de décision, sous couvert du professionnalisme. Le rôle du système limbique est bien décrit par Pierre Karli, professeur en neurophysiologie; «c'est un état de motivation consacré à assurer sa propre survie et celle de l'espèce à laquelle il appartient». C'est le cas de la majorité de nos dirigeants et parmi eux des experts en matière de déjouer le rationnel en faveur de l'émotionnel.

L'argument de l'incompétence

La spécialité et la compétence professionnelles ne sont pas une exigence pour occuper une fonction de responsabilité au sein d'une institution publique; il suffit simplement d'être quelqu'un de «Nass Mlah» avec, bien entendu, quelques connaissances sur le travail à fournir. La notion de compétence chez les entreprises et institutions publiques algériennes est fortement liée aux intérêts des supérieurs hiérarchiques aux dépens des objectifs.

Champs de rigueur et passivité

Il existe au sein des entreprises et institutions publiques des champs de rigueur et des champs de passivité qui ne correspondent pas respectivement aux champs de rigueur et de passivité relevant d'une organisation efficace. Bien que les champs de rigueur et de passivité soient appropriés aux services et aux niveaux hiérarchiques ; il n'est pas difficile de remarquer une certaine cohérence.

Par exemple, on est plus rigoureux vis-à-vis des emblèmes qui ornent l'image de marque de notre entreprise, alors qu'on est dignement passif devant l'état dégradé du matériel sur lequel repose notre production ou service. Dans ces entreprises on est plus attentifs aux mouvements et déplacements du personnel que ce qu'ils ont comme tâches à réaliser.

Le privilège du Droit

Chaque cadre et employé du secteur public est séduit par un droit bien précis relevant de son statut au sein de l'entreprise. Ce droit, dépends de la fonction ou du poste occupé et sert à octroyer ou à défendre les intérêts de la personne qui occupe cette fonction ou ce poste. Le privilège du droit est le bouclier de chaque cadre et employé devant les dépassements de la loi, l'insouciance des services en charge d'appliquer la loi, ou encore devant un conflit hiérarchique.

L'urgence au quotidien

Le travail au sein d'une institution publique algérienne et caractérisé par la difficulté de planifier des tâches au-delà d'une certaine période, ou bien par la difficulté de mettre en œuvre ce qui est déjà planifié, cette difficulté provient essentiellement du défaut d'anticipation dans le sens du professionnalisme algérien et du cumul des tâches non exécutées. En plus, la majorité des services des institutions publiques algériennes sont établies pour servir la hiérarchie en priorité ; une hiérarchie qui n'échappe pas au même défaut d'anticipation bien que mieux dotée en moyens. Ce qui induit une récurrence des activités d'urgence au sein de ces services, estimée au quotidien.

Autant de termes qu'on peut encore dégager pour décrire en détail ce qui se passe réellement au sein des entreprises et institutions publiques Algériennes, bien entendu, tous ces termes se mêlent à un type d'échec, qui font de l'Algérien un vrai malheureux au travail, surtout s'il est responsable et conscient. Evidemment, cet échec est provoqué par une politique autoritaire prodiguant tous les privilèges d'une entreprise ou d'une institution publique à ne rien faire de sérieux ; surtout, pour qu'il n y ait pas de création effective de valeur. Fort inconscient du principe de Peter s'appliquant pour les organisations hiérarchiques, le pouvoir désigne des dirigeants appelés à remplir uniquement la tâche de contrôle, d'ailleurs, elle est bien ancrée cette attitude de contrôle chez l'archétype d'un aspirant manager algérien.

On a tendance à croire que l'Algérien est incompétent en gestion des entreprises publiques, autant qu'au niveau des différents services de ces entreprises, alors que l'incompétence est plutôt une conséquence préméditée. Ainsi, pour explorer les raisons de cet échec, il est totalement inapproprié de chercher à débattre la compétence des Algériens au travail, ni même à examiner le système dans lequel ils évoluent, c'est encore plus profond que ça, lorsqu'il s'agit d'une simple attitude à soutenir l'injustice.

Pierre Karli : mode d'action du système limbique, Enciclopédie Universalis

Principe de Peter : chaque employé tend à s'élever à son niveau d'incompétence

*Enseignant Maritime - ENSM Bou Ismaïl