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Kafka, l'Algérino

par Moncef Wafi

Prendre les armes pour libérer Al-Qods, louer une barque pour sauver les baleines, acheter une pioche pour planter des arbres au Sahara, marcher sur des charbons ardents, escalader l'Everest, mettre sa tête dans la gueule d'un ours ou chanter l'hymne américain, tout ce que vous voulez, mais par pitié évitez-moi d'aller retirer un document administratif ou déposer un dossier aux services de la mairie ou de la daïra. Quand j'entends parler de e-gouvernance, un doute me saisit lorsque, pour un simple renouvellement de permis de conduire, on te fait gaspiller un temps précieux qui finit par te prendre la tête.

D'une structure à une autre, les pièces demandées ne sont pas identiques à croire que chaque adresse administrative a son propre code, n'appartenant pas au même pays. Alors que le discours ambiant est à cette volonté d'ouvrir les portes à l'e-administration pour faciliter la vie aux citoyens, la réalité sur le terrain est aux antipodes de la carte postale.

L'expérience n'est pas personnelle car l'amertume est nationale, le stress partagé par tous ceux qui appréhendent, à raison, de se rendre dans une quelconque administration du pays. Si le gouvernement veut améliorer les choses, ce n'est pas en insistant sur la solution électronique mais en humanisant le visage de ces structures communales et de daïras, premières vitrines de son humeur. Devant les guichets où le sourire professionnel est aussi rare qu'un intello intègre, et en attendant le bon-vouloir du préposé au service, le citoyen est superbement ignoré, ne sachant plus s'il doit se révolter pour avoir satisfaction ou faire le mort dans l'espoir d'être servi. Et tant que le facteur humain ne disparaîtra, malheureusement pas du paysage administratif, on a beau s'ingénier à trouver des solutions, mêmes extraterrestres à cette équation, que cela ne suffira pas à faire passer la pilule.

La bonne éducation n'étant pas un critère dans un dossier de recrutement ni la compétence, à vrai dire, il serait inutile alors de vanter les mérites d'un système qui repose toujours sur le contact direct avec le préposé de derrière le guichet. Même en bannissant les séparations en plexiglas entre le citoyen et l'agent administratif, on n'est pas arrivé à complètement détruire ce mur érigé par ce petit pouvoir mesquin exercé par certains. Les méandres de l'Administration étant aussi impénétrables que les voies du Seigneur, aussi compliquées que le labyrinthe de Dédale, que même Kafka a déménagé en Alaska, il est du devoir national de signaler tout faciès simiesque, de derrière un bureau, à qui de droit.