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Messali El Hadj, le parrain oublié du nationalisme algérien

par Abdelkader Guerine*

  Messali El Hadj est un homme politique algérien de la première heure. Il est né à Tlemcen le 16 mai 1898. Son grand-père maternel était cadi et membre de la confrérie des Derkaoua. Son père, cordonnier de fonction, est d'origine koulouglis (d'un père turc et d'une mère algérienne). Sa mère, elle, est issue d'une famille d'origine andalouse. Les Messali étaient des fermiers qui possédaient une propriété de quelques hectares. Messali El Hadj travaillait la terre lors de son jeune âge. La famille respectait la tradition, le culte des saints, les fêtes et la pratique de la religion musulmane.

À sept ans, il est inscrit dans une école primaire française. Selon son père, en apprenant le français, son enfant pourra se défendre vis-à-vis des Français pour demander ses droits. Depuis son enfance, Messali a des capacités d'observation et de mémorisation importantes. En 1916, il quitte l'école, il s'attache au sport et à la musique. Il continue toujours de passer à la zaouïa Derkaoua. En 1917, il effectue son service militaire à Bordeaux avant de migrer à Paris après la Première Guerre mondiale. Là, il fréquente le Parti communiste français (PCF) et se marie avec une Française, Émilie Busquant, qui sera sa compagne pendant tout son parcours de militant. Ils auront deux enfants : Ali (1930-2008) et Djanina (1938).

Vite, il quitte le PCF car ce parti ne s'intéressait pas à la question nord-africaine. Il fonde alors l'Etoile Nord-Africaine avec un ensemble d'émigrés intellectuels. C'est une association qui défend les droits des peuples maghrébins qui vivent sous la domination de la France. Messali est élu président de l'ENA en 1926. Il est le pionnier de l'idée de l'indépendance des pays nord-africains. Habib Bourguiba le qualifie de « père du nationalisme maghrébin».

En 1927, Messali dresse la base d'un programme étendu pour l'ENA avec d'autres compatriotes, en voici les points les plus importants :

- L'indépendance totale des trois pays, Algérie, Tunisie et Maroc.

- L'unité du Maghreb.

- La terre aux fellahs.

- Création d'une assemblée constituante au suffrage universel.

- La remise en toute priorité à l'État des banques, des mines, des chemins de fer, des ports et de tous les services publics que détenait la France.

Le sigle de l'ENA porte les couleurs et l'étoile du drapeau national actuel. L'emblème national sera confectionné par l'épouse de Messali et brandi plusieurs fois lors de manifestations pacifiques au cours des années suivantes. Devenue gênante pour les autorités françaises, l'ENA est finalement dissoute en 1936. Le gouvernement ne s'inquiétait point de la situation pacifiée au Maghreb, son grand souci était la montée extravagante du nazisme en Europe.

Infatigable, motivé par l'idée de l'indépendance, Messali crée le Parti du Peuple Algérien (PPA) en 1937. Le PPA garde les grandes lignes du programme de l'ENA. Plusieurs fois mis en garde-à-vue, malmené et emprisonné par la police française à cause de ses opinions opposées à leur ambition colonialiste, Messali devient un ennemi politique et un danger public pour l'Etat. Le PPA est finalement interdit d'action, mais ses membres continuent d'activer dans la clandestinité. Ils lancent l'Organisation Spéciale (OS) qui sera la branche armée du PPA. La première organisation à revendiquer l'indépendance de l'Algérie par la force. Messali dira qu'il lutte «pour construire une société plus humaine, plus juste, où la liberté ne sera pas un vain mot».

A la fin de la 2ème Guerre mondiale, Messali est placé en résidence surveillée, puis transféré à Brazzaville en 1945. Cette arrestation suscite une grande émotion dans les milieux nationalistes algériens. Le 1er mai ainsi que le 8 mai étaient l'occasion pour le peuple de demander sa libération. Les plus radicaux demandent l'indépendance par la lutte armée. Les affrontements avec la police coloniale ont débordé vers des tueries massives parmi les manifestants algériens.

Après l'interdiction du PPA, Messali met en place le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) en 1946. Ce parti constitue le vivier dans lequel vont naître les cadres de la lutte de libération nationale. Tous les cadres, ceux qui vont plus tard déclencher les premières insurrections contre l'empire colonial, étaient élevés et formés dans le mouvement méssaliste. Des éléments de cette école se détachent du chef pour créer le Front de Libération Nationale (FLN) et passent à l'offensive un certain 1er novembre 1954. Il s'agit de Boudiaf, Krim Belkacem, Rabah Bitat, Benbella, Khider, Aït Ahmed, Ben Mhidi, Ben Boulaïd et Didouche Mourad. Ces chefs historiques ont jugé que Messali était trop légaliste, pacifiste, modéré, alors que tous les ingrédients pour passer au combat étaient disponibles. Ils se plaignent de surcroît de sa méthode individualiste, de son culte de la personnalité et de son pouvoir abusif. Mostefa Ben Boulaïd ne réussit pas à le convaincre pour rejoindre le groupe des révolutionnaires malgré son insistance répétée. Didouche Mourad avoue dans une lettre envoyée à Mohamed Boudiaf : «Chaque révolution a son leader, et la Révolution algérienne a Messali El Hadj, si on le trahit la Révolution sera trahie et d'autres qui n'ont jamais rêvé d'indépendance vont cueillir ses fruits.»

Après l'éclatement des attentats de novembre 1954, Messali salue ces événements en disant : «La Révolution el moubaraka est là, il faut l'aider, la soutenir et adhérer pour qu'elle ne s'éteigne pas, sans se poser la question qui a donné l'ordre». Mais son approbation n'était que subjective, car le leader n'a jamais admis qu'une révolution algérienne puisse se produire sans sa présence, sans qu'il n'en soit le meneur. C'est alors qu'il fonde le Mouvement National Algérien (MNA), une organisation armée à caractère socialiste, pour concurrencer le FLN, politiquement et militairement. Cependant, le refus du MNA de se dissoudre dans le FLN entraîne la rupture entre les deux organisations. Une lutte fratricide entre «messalistes» et «frontistes» débute au sein même du mouvement de libération, extrêmement sanglante tant en Algérie qu'en métropole. Le bilan de la guerre entre «frères ennemis» a fait 10 000 morts et 25 000 blessés dans les deux camps. Le gouvernement français tente cependant de profiter des rivalités internes du mouvement nationaliste algérien.

Par ailleurs, Messali s'est toujours revendiqué comme le symbole du combat des Algériens. En 1955, il adresse un mémoire et des lettres à la Ligue arabe, à l'ONU et aux États-Unis pour rappeler son rôle historique et tenter de récupérer la guerre d'Algérie. Mais son action diplomatique n'eut pas la reconnaissance de ces nations. Abane Ramdhane condamne fermement Messali lors du congrès de la Soummam., le 20 août 1956. Il note que « le messalisme est en déroute». Il va jusqu'à menacer les partisans du MNA par un tract agressif.

En pleine guerre d'Algérie, le mouvement révolutionnaire connaît une crise interne complexe et hostile. Plusieurs courants émergent de ce déchirement inutile : les messalistes, les centristes et les neutralistes. Après l'échec des réconciliations et l'adversité meurtrière entre ces groupes antagonistes, Messali appelle ses partisans à la cessation des attentats. Beaucoup de messalistes finissent par rejoindre les rangs des maquisards FLN. Les rescapés d'entre eux se regroupent autour du MNA. Le FLN, quant à lui, suscite de plus en plus l'estime du peuple, avec l'adhésion croissante de combattants dans son armée.

La domination du FLN entraîne la marginalisation progressive de Messali, la dispersion de ses partisans, puis l'étouffement total du MNA. Conséquemment, il perd peu à peu son influence dans l'échiquier politique. Sa dernière tentative était son essai de faire participer le MNA dans les négociations pour l'indépendance en 1961. Mais le FLN s'y est catégoriquement opposé.

Observé comme un personnage controversé, Messali sera assigné à résidence à Angoulême en France, avec interdiction de retour en Algérie. Albert Camus, qui fut un ami de Messali El Hadj, n'a jamais cessé de dénoncer les attaques du FLN à l'encontre des syndicalistes algériens proches des messalistes. Les deux hommes militaient ensemble au Parti communiste français et algérien. L'écrivain s'est toujours engagé à défendre Messali, notamment avec des articles dans la revue «La Révolution prolétarienne», où il demande aux autorités coloniales françaises de cesser la persécution, les expulsions et les multiples arrestations de son ami. De son côté, l'historien Jacques Simon, qui fut lui-même engagé dans le combat du MNA, accuse le camouflage des massacres de cadres messalistes par les éléments de Yacef Saadi. Il reproche aux forces de l'ordre la répression contre le MNA dans le but de discuter la paix avec le seul FLN. Inversement, les intellectuels proches de Jean-Paul Sartre soutiennent nettement le FLN et font campagne contre Messali et le MNA. Ainsi, Messali est le «saboteur de la lutte de libération», «l'organisateur du racket contre les commerçants», «l'instrument aveugle des trotskystes» et «l'allié de la police française».

Après l'indépendance, le FLN «jette un voile pudique» sur cette guerre entre le MNA et le FLN. Officiellement, Messali El Hadj ne sera pas jugé. Il demandera et obtiendra sa nationalité algérienne en 1965, mais son passeport algérien ne lui sera accordé que vers la fin d'avril 1974, au moment où son état de santé se dégradait. Messali décède à Gouvieux en France, le 3 juin 1974, sans avoir pu revoir son pays natal. Il sera rapatrié et inhumé le 7 juin à Tlemcen.

Dahou Djerbal, historien et spécialiste de la guerre d'Algérie, dénonce le qualificatif infamant de «traîtres à la nation» qui colle aux messalistes. Il certifie que : «Au tout début de la guerre, le premier groupe à avoir déclenché la guerre est messaliste. Certains de ces membres de Belcourt ont été arrêtés, condamnés à mort et d'autres ont même été exécutés. » Dans la course à l'indépendance, les membres du MNA ont joué le lièvre pour le FLN. Désignés de trotskistes, ils étaient accusés de trahison, poursuivis et bien souvent assassinés. D'autres historiens se battent pour innocenter Messali, un homme longtemps dépeint par le FLN comme un traître. L'histoire officielle n'a en effet pas rendu justice à tous les combattants de la guerre de la libération. Malgré sa figuration essentielle dans la fondation de l'Algérie moderne, le rôle de Messali dans le développement du nationalisme algérien est toujours minoré par les autorités actuelles.

Néanmoins, il faut savoir que les premiers travaux historiques sur la révolution algérienne ne sont publiés en Algérie qu'à partir de 1970. Mohammed Harbi, sociologue et maître de conférence, figure parmi les pionniers à investir ce chantier de déconstruction de l'histoire officielle. Il inaugure une autre conception de l'écriture nationaliste algérienne. Harbi décortique la formation et le cheminement de la révolution algérienne. Il montre la crise profonde qui secouait le mouvement indépendantiste algérien, en se démarquant des récits unanimistes et épiques dont le seul objectif était de glorifier le pouvoir du parti unique en place. Il regarde Messali El Hadj à cette époque banni de l'histoire, comme une figure centrale de l'acte indépendantiste de l'Algérie. Son livre «Aux origines du FLN. Le populisme révolutionnaire en Algérie», publié en 1975 en France aux éditions Bourgois, sera longtemps interdit en Algérie.

Messali El Hadj a été réhabilité par le président Abdelaziz Bouteflika en 2007. L'aéroport de Tlemcen est rénové et porte actuellement son nom.

* Ecrivain