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Le vrai prince c’est Khashoggi

par Kamel DAOUD

Quelle main serrera celle de Mohamed Ben Salman le 06 décembre en Algérie ? Il faut y penser. Il faut que celui qui le fasse pense au soir, quand il va rentrer chez lui, manger son pain. Fera face au miroir ou au silence. Car cette affaire est au-delà du «politique », de la convenance diplomatique ou du souci du pain et du baril. C’est une question intime. Une affaire de conscience.

De mémoire d’Algériens, ce qui nous vient, depuis toujours, de l’Arabie saoudite n’est pas bon à vivre, mais bon à nous tuer. On se souvient des positions de ce pays avec le FIS durant la guerre civile. On sait d’où nous viennent ces terribles générations du déni, du salafisme qui tue, de la laideur et des assassins de sens, de femmes, enfants et hommes. On sait d’où nous vient ce mal qui a tué nos fêtes, nos rites, nos habits, nos traditions, notre sens de l’identité et nos sentiments d’appartenance. De ce lieu qui n’est pas Saint.

Le wahhabisme qui aujourd’hui détruit l’Algérie vient du clergé financé par ce royaume, de ces chouyoukhs carnivores et immondes. Le mal est là. C’est vers ce lieu que nous envoyons notre argent, les économies de nos pères et mères, les épargnes de nos ruralités naïves.
 
Aujourd’hui, à ce crime ancien qui dure, s‘ajoute celui du meurtre du journaliste Khashoggi et de son présumé assassin qui vient chez nous. Pourquoi s’en émouvoir ? Parce que nous sommes un pays qui a connu les assassinats de journalistes, leur emprisonnement, et qui sait de quelle horreur ces meurtres sont le signe. Le «Prince» qui arrive peut acheter beaucoup de choses, mais pas tout le monde à la fois. Il fallait donc lui dire qu’il n’est pas le bienvenu, que son pays nous a tué longuement et que marcher sur notre terre c’est marcher sur nos tombes. Cela ne servira à rien ? Si : à tracer la ligne nette entre ceux qui acceptent cette visite avec un haussement d’épaules ou une courbure de l’échine, et ceux qui disent non. Même avec la langue ou le regard. C’est essentiel. La dignité commence dans les yeux. Et s’éteint dans les yeux.
 
On peut comprendre la realpolitik, le souci des intérêts de notre pays, le souci du pain et du prix du pétrole. L’Algérie est faible et les principes coûtent cher. Nous n’en avons plus les moyens. Même dans notre propre pays, face aux nôtres. Mais il fallait rappeler que ce pays a été libéré par des amoureux d’idéaux et pas par un carnet de chèques. Et qu’aujourd’hui, ce qui nous reste du capital dilapidé de notre prestige, c’est le souvenir maigre de cet idéal. Accueillir ce Saoudien n’est pas chose honorable. Ni utile peut-être. Nous allons, par cet accueil, rejoindre le clan vaste de l’indignité internationale. La couleur du tapis d’accueil sera rouge. Cela, au moins, est la bonne couleur.