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Voici un peu notre histoire On nous tua Longtemps, à chaque fois Tous nos ancêtres saignent et attendent au bout de nos langues Tous avaient une pierre tombale entre les dents, même avant les dents Et tous ont, à peine, touché terre après la naissance Avant de rebondir vers un ciel et un oubli A peine l’âge d’un nuage Qui donne et s’en va Puis on se tua les uns les autres Car on était un pays libre Libre de nous entretuer On a donc rejoué aux morts et aux survivants Comme à chaque fois Nous avions un drapeau mais pas de but Il y a eu brusquement trop de Dieux et trop de prophètes Et donc beaucoup de fins de mondes et de jugements derniers. Puis on s’assit et on tua le temps Le temps n’a pas de cadavre Nous sommes ses cadavres Quand on le tue, c’est nous qui pourrissons Nous sommes passés du djoundi au bandit Du colonel à l’Emir De l’Emir au cheikh Puis du cheikh au muezzin Vin Pain Chaloupes ou la mort Chacun a creusé un trou L’un pour retrouver son ancêtre L’autre pour déboucher dans le paradis L’autre pour ressortir, de nuit, en Espagne L’autre pour trouver de l’argent ou l’enfouir L’un pour enterrer les femmes L’autre pour trouer la terre et l’envoyer au fond des eaux Le pays est vaste mais dès qu’on voyage On sait qu’il est étroit Pourquoi ? Parce que personne n’y vit Personne n’y meurt On est tous ensemble, depuis trois mille ans, assis au même endroit On est enfermé Le reste du monde on l’appelle «El kharedj» C’est à dire l’Extérieur Car nous sommes enfermés On est passé de la Révolution à la distribution Puis à la prière Puis au sachet Puis à la lapidation Puis à la lâcheté, la peur, la servilité, l’indignité Nous sommes à «l’Intérieur» mais chacun à l’intérieur de lui-même Le pays est la tête de chacun et La tête de chacun est posée sur une étagère ou un tapis On n’a plus d’ombre dans ce pays, ni de poids, ni de mesures Il y a bien un drapeau et une histoire mais Il n’y a plus de vent pour les faire bouger Il n’y a plus de sol La terre est une poignée et l’hymne du barbelé Il y a encore le souvenir des armes Mais c’est pour se suicider ou s’entretuer Il y a la mer Mais personne n’a de corps et les femmes n’ont plus de visages ni de cheveux Nous sommes descendus des maquis pour remonter dans des minarets Et on a laissé nos enfants jouer dans un terrain vague Si vague qu’ils finissent par ne plus venir au monde Seulement, au ciel, l’enjamber Je n’aime pas la poésie Car elle ne meurt pas Et moi si. |