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Les risques pour le futur bac

par Hakem Bachir

Toute la société algérienne a attendu depuis longtemps avec impatience la réforme du baccalauréat qui n'est plus à jour. Son annonce, même si elle est tardive c'est-à-dire en 2021, fut un soulagement pour la famille de l'éducation. Cependant, une réforme d'une telle importance sans une analyse profonde aussi bien du contenu, du contenant de l'examen et son apport sur toute la société, court directement vers l'échec. Nous ne pouvons réussir dans une telle entreprise sans prendre en considération les acteurs de cet examen, à savoir l'administration, les enseignants, les élèves ainsi que les parents eux-mêmes. Cette réforme devait être précédée ou accompagnée par une refondation de l'enseignement secondaire particulièrement. Le coût du bac, plusieurs milliards de dinars par an, est souvent pointé du doigt. Faire passer l'examen de 6 à 12 épreuves pendant 5 jours à 6 pendant 3 jours, comme cela a été suggéré par le ministère pourrait le faire diminuer. Mais cela demande de multiples options. Les futurs bacheliers auraient un contrôle final national en terminale. Le reste serait géré par ce fameux contrôle continu, qui ne génère pas de coût supplémentaire, mais beaucoup de questions sur sa crédibilité. Donc c'est beaucoup plus une mise à jour du baccalauréat qu'une réforme. Et si le principe de contrôle continu semble décidé, ses modalités restent sujettes aux controverses avec une question centrale : comment comparer les notes de lycéens provenant d'établissements différents, sur des examens et selon des critères de notation qui le sont tout autant, en garantissant l'égalité de chance et sans risquer de créer un bac à plusieurs vitesses ?

Les responsables continuent leur fuite en avant, car revoir le baccalauréat en le ramenant à trois jours en remplaçant les matières où l'élève ne sera pas examiné par la note continue des deux dernières ou premières années du secondaire tout en maintenant l'histoire et les sciences islamiques comme matières d'examen quelle que soit la filière montre encore une fois le populisme de ce ministère, aujourd'hui complexé par la réaction de la société sur des sujets tabous et intouchables tels que la langue ou l'histoire ou les sciences islamiques.

Le ministère parle aujourd'hui de contrôle continu, lequel est un système d'évaluation des élèves qui prend en compte toutes leurs notes depuis le début de l'année scolaire au lieu de passer une épreuve déterminante à la fin de l'année. Donc, la première chose est de donner la bonne définition de la nouvelle formule proposée. Si celle-ci est appliquée sans tenir compte de la réalité du terrain dans l'éducation touchée par tous les maux de la société à savoir «tricherie, violence, intimidation, intervention, corruption?». Nous pouvons dire adieu au baccalauréat et par là à l'école en général.

Revenons en arrière, en observant à quoi ressemble le bac actuel : toutes les disciplines du bac sont évaluées par des examens nationaux. Les élèves d'une même filière passent tous l'épreuve en même temps, pendant la première semaine de juin. Ils ont le même sujet, et leur note au bac dans chaque matière est celle qu'ils ont obtenue lors de cet examen anonyme. Ce système place en principe tous les élèves à égalité, et donne au diplôme du bac son caractère national. Les élèves bossent de manière très décousue au lycée car ils savent qu'ils vont tout jouer sur plusieurs épreuves pendant une semaine, donc ils se mettent à bachoter de façon un peu mécanique à partir des vacances de printemps et suivent pendant toute l'année des cours particuliers souvent sauvages.

Un contrôle continu non étudié ne placera pas les élèves à égalité et entraînera un phénomène du bac par lycée et touchera à la crédibilité du baccalauréat. Nous avons déjà vécu ce phénomène en Algérie dans les années 80 et début 90, nous avons assisté au gonflement des notes de leur livret scolaire à l'époque avec la bénédiction des parents, des enseignants et de toute l'administration.

Comment le contrôle continu pourra toucher à la crédibilité du baccalauréat et aux égalités de chances entre les élèves

Nous devons dénoncer les effets négatifs du contrôle continu local géré par l'établissement, car si les épreuves sont évaluées en contrôle continu, c'est-à-dire selon un programme et des critères locaux, adaptés au public de chaque établissement, le bac n'aura plus la même valeur selon l'établissement où il aura été préparé. Nous pouvons en effet craindre qu'un élève ayant réussi à obtenir un 16 dans une matière dans un lycée « x » voit sa note «rabaissée», considérée de même niveau qu'un 12 dans un autre lycée « y ». Cette formule démagogique qui se veut plus simple, voire plus facile, renferme en réalité un piège anti-démocratique, notamment pour certaines classes et «la valeur du diplôme dépendra de la réputation du lycée». L'avènement d'un «bac maison» se dessine. D'autres arguments supplémentaires contre le bulletin de notes comme base pour le bac, car cette méthode augmentera les conflits que pourrait engendrer un tel système entre les élèves, les enseignants et les parents.

Les soupçons de favoritisme, ou l'inverse, pèseront sur les professeurs. Élève en quête de mention, mécontent d'une mauvaise note, parents soucieux de l'avenir de leur progéniture, voire consignes données par un chef d'établissement désireux de présenter un taux de réussite au bac attractif, ne peuvent que créer des conflits et des inégalités dans l'établissement lui-même ou par rapport aux autres lycées. Si le contrôle continu entre en vigueur, les notes sur les bulletins deviendront l'enjeu de luttes incessantes, les professeurs devront subir la pression. De plus, elles auraient affecté la liberté des enseignants, utilisées différemment par chaque professeur comme un outil pédagogique : on rajoute ainsi un ou deux points à un élève moyen mais travailleur afin de l'encourager à poursuivre ses efforts, ou on pique l'orgueil d'un élément doué mais paresseux pour le pousser à travailler davantage.

Le contrôle continu entraînera le phénomène du bac par lycée.

Un exemple de contrôle continu national ou plutôt d'épreuves anticipées pourra rendre au baccalauréat sa crédibilité

Maintenant, comment arriver à un contrôle continu en évitant tous les conflits, donner des égalités de chances aux élèves et ainsi mettre fin à toutes les spéculations sur la méthode d'évaluation ou de favoritisme ?

Nous pouvons en 1ère AS et 2ème AS organiser des sujets partiels nationaux inédits dans certaines matières et qui ne seront pas concernées par l'examen en 3ème AS et corrigés par des enseignants anonymes. Ces notes figureront dans le fichier de chaque élève et seront comptabilisées pour l'obtention du baccalauréat. Le passage de l'élève de 1ère AS en 2ème AS, et de 2ème AS en 3ème AS se fera comme auparavant sur la base de la moyenne générale des 3 trimestres de chaque année. La seule différence est que pour garantir l'égalité de chances entre les élèves et aussi la crédibilité du baccalauréat qui est un examen national, il est indispensable que les notes du contrôle proposé pendant les années précédentes soient obtenues par des partiels nationaux avec des sujets nationaux ou au moins régionaux et non pas installer dans les établissements un marché aux enchères de notes du contrôle continu.

La méthode de contrôle continu national (établir des partiels nationaux avec des sujets nationaux) et non local (laisser la liberté d'évaluation à l'établissement) relèvera le niveau des élèves, donnera une égalité de chances à tous les élèves, obligera l'élève à avoir plus d'assiduité pendant les cours, luttera contre les cours particuliers sauvages et aux notes de complaisance qui ne reflètent pas la réalité du niveau de l'élève. Cette méthode sera l'idéal pour sauver l'école, lui rendre sa crédibilité et pour donner une égalité de chances à tous élèves. Privilégier les épreuves de type partiel, qui garantissent l'anonymat, les organiser plus tôt dans l'année scolaire, et inclure leur résultat dans un fichier du parcours de l'élève, nous paraît même un grand pas en avant pour garantir davantage d'équité entre les élèves.

Nous tirons la sonnette d'alarme sur la note continue pour le baccalauréat. A bon entendeur salut !