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L'enseignement primaire est la matrice de l'échec scolaire (1ère partie)

par Chaïb Aïssa Khaled*

AVEC UNE TELLE TARE ON NE PEUT ASPIRER A UNE ECOLE DE QUALITE

Si l'Ecole algérienne est toujours incapable de mettre en valeur les ressources humaines qui lui sont confiées, si elle barbotte encore au seuil de ce troisième millénaire dans l'indigence, si des pans entiers d'élèves franchissent « le Rubicon » et de surcroît avec un maximum d'indulgence, si l'échec scolaire, avec « son rictus narquois », s'érige d'année en année dans des allures grandioses, c'est par la « grâce », d'une part, des gestionnaires du cycle primaire qui, faute de conviction, de compétences, de qualifications, de maîtrise et surtout de motivation, n'arrivent pas à comprendre leur mission qui consiste pourtant à instruire et à éduquer et, d'autre part, par la « grâce » des parents d'élèves qui, s'ils ne sont pas démissionnaires de leur rôle, subissent passivement le déni de l'administration des établissements scolaires qui a fini par les naniser.

Alors qu'il devrait être le socle de tout le système éducatif, ceux qui l'ont mis « hors orbite », ont en fait la matrice de l'échec scolaire. En effet et bien que les perturbations qui affectent les cycles moyen et secondaire soient dues à la déscolarisation de leurs objectifs, l'école élémentaire, elle, subissant les méfaits des siens, semble ne pas avoir d'objectifs tellement ils sont flous et illisibles. Elle est, par conséquent, isolée de l'esprit du siècle. Vacillante, elle trébuche à reculons. Quelle tragédie !!! Moralité, elle continue à sacrifier sur l'autel de l'incompétence, de l'irresponsabilité et de la gabegie des générations entières.

JE DIS BIEN SACRIFICE DE GENERATIONS ENTIERES

La mission essentielle de l'enseignement élémentaire est d'assurer aux enfants l'acquisition et le développement des instruments de la connaissance et donc de les nantir des bases nécessaires qui leur permettront de poursuivre leurs études au collège. De cela, il n'en est rien parce que tous les enfants qui entrent à l'école primaire, accèdent à la première année moyenne sauf que la plupart d'entre eux ne maîtrisent pas les éléments essentiels de la communication (lecture insuffisante, incapacité d'écriture, absence de maîtrise des opérations de calcul élémentaires). Conséquence, les cohortes qui se succèdent n'atteignent pas le niveau jugé normal pour accéder au cycle moyen. Mieux encore, près de 30% des effectifs de celles-ci peuvent être définis comme « illettrés ». Ce déficit se multipliant tout au long du cursus du moyen génèrera annuellement 50% d'inaptes des effectifs des cohortes qui accéderont à l'enseignement secondaire.

Moralité, la déperdition aidant, d'une cohorte d'élèves scolarisés dès la première année du primaire, seulement environ 50% décrocheront le baccalauréat et c'est prouvé !

POURQUOI CETTE DEFAITE ?

Objectifs flous et suivi lacunaire

Les programmes de l'enseignement élémentaire manquent de rigueur et de précision. Bien que cette lacune soit éloquente, aucun commentaire n'est fait, d'où l'incapacité de ceux qui en gèrent la mission éducative (les inspecteurs de l'administration et les chefs d'établissements) et ceux qui en gèrent l'acte pédagogique (les inspecteurs de la pédagogie et les enseignants) de faire des haltes aux moments propices, des audits réguliers, d'évaluer le chemin parcouru, d'identifier les failles et surtout de situer les responsabilités. Le souci est d'attirer l'attention de ceux qui les ont conçus pour qu'ils les revisitent à des fins utiles. Mieux encore, leur suivi sur le terrain laisse fortement à désirer. L'initiation aux langages fondamentaux et donc au raisonnement logique et au jugement méthodique (ces composantes de la mentalité scientifique) sont de fait sacrifiés. Mieux encore, les objectifs volontaristes tels que le bannissement du redoublement et l'admission presque automatique des élèves en première année moyenne ont rigidifié cette tendance.

Réduire le redoublement et assurer une admission presque automatique en première année c'est, somme toute, masquer l'échec sans pour autant le combattre.

L'évaluation, «ce grand absent »

L'absence d'évaluation qu'elle soit sommative, formative ou même systémique est la grande carence qui affecte l'enseignement élémentaire. Conséquence, les insuffisances pédagogiques ne sont donc pas appréciées. Evaluer périodiquement mais rigoureusement les acquis des élèves, ne semble pas être dans les cordes de ceux qui se contentent de piloter cet enseignement au jugé. Leur demander des études comparatives des résultats, entre les établissements et les pédagogies adoptées, c'est trop « exigé ». Moralité, ce dernier est, tout bonnement, tronqué.

A propos d'études comparatives. L'absence d'examen ou tout au moins de mesures des résultats enregistrés en fin de parcours de chaque niveau du cycle primaire, ne peut que contribuer à l'amoncellement des lacunes comptabilisées du fait qu'elles ne sont pas comblées à temps. A défaut d'évaluations sommative et formative, les gestionnaires en charge de ses niveaux, se croyant à l'abri de tout reproche, se complairont alors dans leur incapacité professionnelle et persévéreront dans leur mission à forger l'échec scolaire.

DES PREJUDICES IRREPARABLES POUR LES CYCLES SUPERIEURS RELEVENT DONC DE L'INELUCTABLE

En effet le collège et le lycée sont, de fait, condamnés au rôle de rattrapage des insuffisances accumulées tout au long du cycle primaire, tel que proposé par le ministère de l'Education nationale et ne peuvent, par conséquent, remplir leurs missions. Mais pour le moment on n'y peut rien. Comme la formation commune de base (expression écrite, expression orale, techniques opératoires - calcul -) est carencée, le collège doit procéder à une mise à niveau, d'où un temps d'observation des élèves qu'il aura reçus, ce qui laisse à penser et à juste titre qu'on a rien observé auparavant. Or le collège n'est pas armé pour cette tâche et il ne peut pas non plus, faute d'élèves de niveau suffisant, jouer son rôle naturel. Par enchaînement, tout le cycle secondaire est altéré. Moralité, l'échec de l'enseignement secondaire n'est donc que le prolongement de celui du cycle primaire.

A QUI INCOMBE LA RESPONSABILITE DE CET ECHEC ?

En sus de la « non gestion » de la mission éducative, de celle de l'acte pédagogique et du peu de crédit accordé au cycle de l'enseignement primaire par le ministère de tutelle par les Directions de l'éducation des wilayas et par celui-ci, est donné en pâture aux injures des Assemblées populaires communales qui en ont en fait le benjamin de leurs soucis. Supposées prendre en charge la rénovation en tous genres des écoles, le transport et les cantines scolaires. Hélas ! De tout cela, il n'en est rien.

En effet et au seuil de ce troisième millénaire, il existe encore des écoles profondément délabrées (murs fissurés, sans revêtement de la cour et souvent sans clôture extérieure -voir zones rurales-, avec des salles de classe aux vitres brisées et non renouvelées depuis des lustres, avec une boiserie totalement dégradée, avec des prises détachées pouvant entraîner des électrocutions à tout moment, avec un équipement scolaire réparable mais abandonné, avec des toilettes où Ebola ne peut être loin).

A propos de la cantine scolaire intégrée à l'école algérienne

Au plan déontologique, la cantine scolaire est le lieu qui abrite l'éducation nutritionnelle à dispenser aux enfants. Gérant un volet de l'acte pédagogique, elle les initie à l'appréciation du goût et des saveurs. Se liguant avec ce qui doit être l'enseignement formationnel*, elle contribuera à leur apprendre à ne pas se sentir des sujets hors orbite sociétale, à appartenir à un groupe. Elle structurera donc leur besoin de familiarité et leur désir de filiation. (Sans groupe d'appartenance, ils demeurent en marge de ce circuit de socialisation qui leur permet l'attachement).

Se limitant à satisfaire, de façon très médiocre, à un simple instinct primaire et faisant fi de la mission qui lui est confiée, elle formera des adolescents mal socialisés. L'impulsivité qui s'en découle les poussera à l'acte violent, la fragilité émotionnelle les désarçonnera et les précipitera dans des troubles relationnels. En termes clairs, la réunion autour d'une table avec des têtes familières anime le monde où ils existent. Elle forme leurs perceptions et participe au développement des compétences dictées dans le référentiel de leur scolarité.

Hélas, la cantine scolaire intégrée à l'école algérienne ne fait pas dans cette dimension pédagogique. Elle est réduite à une vulgaire «gargote» où la fadeur des repas, la froidure des lieux et le mépris de ceux qui les gèrent n'inspirent aucun élan socialisant et les règles du «bien vivre» font alors défaut. Faisant fi de cette dimension pédagogique, au vu et au su des inspecteurs des cantines et surtout avec la bénédiction des chefs d'établissements, la cantine scolaire telle qu'elle est, carence la gestion de l'acte pédagogique dans son ensemble et de ce fait elle peut être la cause de la déperdition et de l'affaissement des résultats scolaires.

A suivre

* Directeur de l'Education - Professeur INRE - Auteur