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Sortir l'Algérie du sous-développement, des manœuvres qui perdurent depuis le Plan de Constantine

par Abdelkader Guerine*

L'état de l'arriération de l'Algérie pendant les années 1950 se remarque dans la dégradation alarmante du niveau de vie de la population autochtone. Une population majoritaire qui souffre de pauvreté qui atteint par période le stade de la famine.

Des épidémies successives frappent le pays et font des ravages dans les régions paysannes, à cause de l'absence d'une prise en charge sociale et médicale correcte par le système colonial. La bidonvilisation, l'illettrisme, le chômage, le manque d'hygiène ou la malnutrition indiquent la qualité de vie précaire, pratiquement chez toute la population indigène.

Plus d'un siècle après la colonisation de l'Algérie par la France, le pays est désormais classé parmi les pays sous développés, en comparaison avec l'essor et le progrès élaboré en Europe après la deuxième guerre mondiale. Cela explique clairement que l'économie de l'Algérie a été largement exploitée pour la construction de la société métropolitaine pendant tout ce temps d'occupation.

L'oppression du gouvernement français avec une discrimination flagrante exercée dans les droits fondamentaux, différents entre Européens et Algériens, conduit à des remous politiques, à des soulèvements populaires qui réclamaient plus d'intérêts et moins de mépris, et finalement à la guerre d'Algérie. La révolution de la libération de l'Algérie devint une cause politique qui eut de l'impact jusqu'en métropole. Un séisme secoue l'Elysée, la 4eme république tombe et le général De Gaulle revient à la tête du pouvoir de la France en 1958, au plus fort de la guerre d'Algérie. L'arrivée du général était principalement destinée à mettre fin à cette guerre et à régler définitivement le problème de l'Algérie. Il était porteur d'un projet qui envisageait un redressement économique à l'image de la planification mise en place pour la reconstruction après-guerre en métropole.

Le général De Gaulle visite l'Algérie dès son installation à la tête de l'état. Il annonce publiquement, dans un discours devant la préfecture de Constantine le 3 octobre 1958, le lancement de son plan dit « Le Plan de développement économique et social en Algérie » ou « Plan de Constantine ». Ce programme, en réalité économique, prévoit, d'une part, l'amélioration des conditions sociales pour « les Français Musulmans ». D'autres part, il vise l'affaiblissement politique des indépendantistes algériens et à ébranler leur crédibilité devant l'opinion internationale, il s'attache également à racheter l'estime du peuple par des mesures appropriées et des facilités alléchantes. Il s'agit d'un ensemble de réformes qui portent le niveau économique, social et culturel de l'Algérie à un niveau européen.

Le plan de Constantine est une mission de « pacification » confiée à Paul Delouvrier, inspecteur des finances et délégué général du gouvernement en Algérie de 1958 à 1960, et à Salah Bouakouir, son adjoint, polytechnicien de fonction et qui fut successivement directeur général de l'industrie, puis secrétaire général du gouvernement pour les affaires économiques. Inspiré par le rapport de la Commission Maspetiol sur les relations financières entre l'Algérie et la métropole de Juin 1955, et les perspectives décennales du développement économique de l'Algérie de Mars 1958, le plan de Constantine avait pour objectifs les points suivants :

- La construction de 200 000 logements, permettant d'héberger 1 million de personnes.

- La redistribution de 250 000 hectares de terres agricoles.

- Le développement de l'irrigation.

- La création de 400 000 emplois industriels.

- La scolarisation de tous les enfants en âge d'être scolarisés à l'horizon de 1966.

- L'emploi d'une proportion accrue de Français musulmans d'Algérie dans la fonction publique.

- L'alignement des salaires et revenus sur la métropole.

- Le programme d'industrialisation envisagé s'appuie à la fois sur des aides directes et indirectes aux entreprises privées investissant en Algérie (exemption de certains impôts, subventions à l'investissement à hauteur de 10 %), l'aménagement de zones industrielles, notamment celle de Rouiba-Reghaïa, sur 1100 hectares, à l'est d'Alger et la mise en valeur des ressources en hydrocarbures (pétrole et gaz naturel) découvertes un peu avant dans le Sahara, susceptibles de fournir des ressources d'exportation et une énergie bon marché.

La guerre puis l'indépendance ne permettront que des réalisations limitées et précipitées du plan initial qui est finalement abandonné à la fin de 1961. Il faut dire que la guerre déjà lancée, avec des sacrifices déjà fournis, était un engagement qui ne tolérait plus de concessions, il n'y avait pas une autre solution envisageable que celle du divorce entre la France et l'Algérie. Le dialogue mené par la suite entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire algérien discutait surtout sur la planification de la future Algérie indépendante. On peut donc dire que l'initiative de De Gaulle est née trop tard par rapport aux événements, elle n'a duré que 3 ans.

De leur coté, les partisans de l'Algérie française n'étaient pas d'accord avec la vision de De Gaulle. Leur refus catégorique se concrétise par la création du Front Algérien d'Action Démocratique (FAAD), la troisième force qui regroupe des militaires conservateurs du colonialisme, des supplétifs musulmans (harkis) et tous les partis en faveur du maintien de l'Algérie comme une partie de la métropole. Le bras militaire du FAAD était la sinistre Organisation Armée Secrète (OAS) qui défendit, en vain, le principe de la conservation par le moyen de la terreur.

Le Plan de Constantine n'a pas été un échec, puisque il n'a pas été appliqué. Après l'indépendance, on retrouve presque les mêmes objectifs de ce programme dans le grand projet économique et social de Houari Boumédiène pour le lancement du développement de la nouvelle Algérie, avec ces trois révolutions, industrielle, agraire et culturelle. Toutefois, les stratégies de Boumédiène reposaient politiquement sur une méthode de volontarisme drastique, une sorte de démocratie totalitaire dans un cadre rigide, à la manière soviétique qui ne permettait pas l'épanouissement des compétences individuelles. Aussi, l'économie du pays comptait globalement sur la rente des hydrocarbures sans se soucier des modalités requises par l'économie de marché internationale. L'essor remarqué pendant l'ère de Boumédiène n'était qu'une échappée réussie dans le temps, à l'heure où le commerce des hydrocarbures était abondamment juteux. Le pays finit par sombrer dans une crise économique et sociale ambiguë avec les premières chutes du prix du baril de pétrole dans les années 1980. La crise s'étendit à des glissements sécuritaires dangereux pendant les années qui s'en suivirent.

Curieusement, presque les mêmes points relevés du Plan de Constantine demeurent des priorités pressantes chez le gouvernement de Abdelaziz Bouteflika à présent. Les mêmes problèmes persistent depuis le temps, malgré les différents projets d'urbanisation et de création d'emploi dans tous les secteurs Une partie de la population réclame toujours l'octroi d'un logement décent, une autre attend désespérément l'embauchage dans le monde du travail. Avec la croissance démographique fulgurante, l'inflation des prix des produits de première nécessité et la dévaluation de la valeur de la monnaie nationale, les citoyens, même ceux actifs, trouvent un grand mal à joindre les deux bouts du mois.

Partant de ce fait, on peut observer la similitude entre le Plan de Constantine et toutes les combinaisons socio-économiques mises en œuvre dans l'Algérie post-indépendante. Le souci de sortir l'Algérie de son sous-développement continue, cependant, d'agiter les esprits. Ce plan ambitieux prévoyait de transformer la condition des hommes et spécialement celle des plus déshérités. Il concernait tous les domaines: industrie lourde, industrie légère, agriculture, défense et restauration des sols, hydraulique, routes et ports, logement, enseignement, et de multiples services sociaux. On peut, par ailleurs, comprendre que le Plan de Constantine est un stratagème étatique qui traverse les siècles. Il est adopté par tous les régimes de l'Algérie moderne sans jamais connaître un aboutissement satisfaisant car, malgré les efforts, l'Algérie compte toujours parmi les pays sous développés.

* Ecrivain