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L'Algérie très bientôt importatrice de pétrole et de gaz

par Mounir Ben Abba*

Le secteur pétrolier et gazier en Algérie constitue l'épine dorsale de l'économie nationale, représentant environ 30% du produit intérieur brut, 60% des recettes budgétaires et 95% des revenus d'exportations du pays dont 44% pour le gaz naturel, 33% pour le pétrole brut et 18% pour le pétrole raffiné.

«The International Statistical Agencies » estime que les réserves de gaz naturel de l'Algérie sont estimées à 4504 milliards de mètres cubes; septième plus grande réserves au monde, représentant près de 70% des réserves d'hydrocarbures du pays. Toutefois, en novembre 2015, le gouvernement a annoncé que les réserves conventionnelles prouvées s'établissent désormais à 2745 milliards de mètres cubes. Les exportations du gaz naturel représentent 44% des exportations totales du pays. En 2017, l'Algérie a produit presque 94.7 milliards mètres cubes de gaz naturel (cinquième plus grande production au monde), dont 57% ont été exportés et 43% consommés localement. Pendant que la production de gaz naturel a connu une augmentation fluctuante de 09%, passant de 86.505 milliards mètres cubes en 2008 à 94.7 milliards mètres cubes en 2017, la consommation intérieure a connu une augmentation remarquable de 60% au cours des dix dernières années avec une moyenne de 5,2% par an .Cette tendance a été conduite par:

- Un gain de population de près d'un million de personnes par an, passant de 34,5 millions en 2008 à 42 millions en 2018, soit une augmentation de 22%, et qui devrait atteindre 50 millions d'habitant en 2032 (augmentation de 24% en 14 ans).

- La consumation locale de gaz est répartie comme suit :

28% consumée par les ménages, 21% pour les industries transformatives gérées par Sonatrach, 09% pour d'autres industries, mais 42% du gaz consommé localement sert à générer presque 98 % de l'électricité totale produite, quatrième plus grand pays au monde générant de son électricité à partir de gaz naturel. En 2017, la production d'électricité a atteint un niveau de 7915 GWh, soit 3,2 fois plus que la production de 1999, qui s'élevait à 1885 GWh. Une augmentation en moyenne d'environ 7% par an. Cependant, depuis 2010, la demande d'une année à l'autre a augmenté de près de 20% et pour les prochaines dix années, la Sonelgaz prévoit une production supplémentaire de 2131 GW, soit une augmentation de 27%. Cela nécessiterait l'utilisation de 64% de la production actuelle de gaz.

- Au cours des 20 dernières années, le pays a connu une urbanisation rapide et une augmentation du nombre des ménages de 62%, atteignant 7,8 millions d'unités en 2017, contre 6,2 millions en 2010 et 4,8 millions en 2000. 99% des ménages ont accès à l'électricité, consommant 40% de la production totale de l ?électricité, tandis que le secteur industriel utilise 38% de la production totale. En 2017, 64,10% des ménages ayant accès au gaz de ville contre 18% en 1999 (augmentation de 256%).

e - L'inefficacité de la gestion des réseaux de distribution entraîne une perte de près de 20% de l'électricité en transport et distribution, soit le double de la perte enregistrée en Égypte et ressemble beaucoup à celle des pays désespérément pauvres comme l'Éthiopie. En outre, différents dommages causés au réseau de distribution entraînent des coûts énormes. Par exemple, en juillet et août 2017, il y a eu 763 incidents et interventions dans 21 wilayas pour un coût de 33 milliards de DA.

f- Une subvention généreuse pour soutenir le prix de l'énergie a encouragé la surconsommation et le gaspillage. Par exemple, la production de 1 KWH coûte 11, 43 DA alors qu'elle est vendue à 4DA, ce qui signifie que l'État prend en charge le 8DA / KWH, soit 70% du coût. Le coût annuel des subventions pour les produits pétroliers et gaziers s'est récemment chiffré à 22-25 milliards de dollars, soit 18,3% du produit intérieur brut. Si les choses restent les mêmes, il y aura tellement pire à venir.

Si la production actuelle est maintenue au même niveau que 2017, les réserves de gaz naturel de l'Algérie ne dureront pas plus de 48 ans et d'ici 2066, le pays aura épuisé de toutes ses réserves de gaz naturel. Cependant si les tendances actuelles de production de gaz, consommation intérieure et production de l'électricité sont maintenues, dans 20 ans (2037) nous devrions utiliser 100% de notre gaz pour produire l'électricité nécessaire pour le pays. Un avis soutenu par un rapport publié en mai 2016 par ?Oxford Institute for Energy Studies qui est allé jusqu'à imaginer un scénario de quasi-disparition de l'excédent de gaz juste après 2030.

La deuxième ressource en hydrocarbures en Algérie est le pétrole brut qui représente 33% des exportations totales du pays. Les réserves du pays sont estimées à 12. 2 milliards de barils, soit la quinzième plus grande réserve au monde. En 2017, l'Algérie a produit 1.059 million barils de pétrole brut par jour (treizième plus grande production au monde), dont 60 % ont été exportés et 40% ont été consommés localement. Toutefois, depuis 2008 la production de pétrole a connu une baisse constante, passant de 1.408 million barils par jour en 2008 à .059 million en 2017, ce qui représente une baisse de 25%. Le déclin de la production dû à la maturation des champs et à l'absence de nouveaux projets à compenser en raison du manque d'investissements et de l'incapacité à attirer les investissements étrangers, principalement à cause de:

- Scandales de corruption en 2010, 2011 et 2012 au sein de la Sonatrach qui ont eu une ampleur internationale.

- Problèmes de sécurité après l'attaque terroriste de 2013 à l'usine de gaz de Tiguentourine à Ain Aminass, qui a coûté la vie de 40 otages.

- Les prix bas du pétrole enregistrés à partir de 2014, qui ont entraîné un effondrement des prix de 0 / baril à $ 28 / baril.

- La loi algérienne sur les hydrocarbures et ses conditions fiscales de partenariat avec les compagnies pétrolières internationales où le cadre juridique régissant les hydrocarbures a longtemps été considéré comme un obstacle. Malgré plusieurs tentatives de réforme de la loi, ses termes restent dissuasifs pour les investisseurs étrangers et ont empêché la tenue des deux derniers appels d'offres du pays.

- Faible approbation des projets par le gouvernement et retards répétés, l'appel d'offre de licences de 2011 n'a vu attribuer que deux permis sur dix. De même, en 2014, seuls quatre contrats sur 31 ont été attribués.

- Problèmes techniques et d'infrastructure et coût relativement élevé des affaires en Algérie, parallèlement aux défis opérationnels. Le rapport de 2017 « Doing Business » établis par la Banque mondiale a classé l'Algérie à la 166 eme place sur 190 pays. En 2016, elle était classée «meilleure» à 156.

- Leadership instable au sein de secteur des hydrocarbures qui a vu quatre Ministres de l'Énergie et sept PDG de Sonatrach au cours des dix dernières années.

- Pression politique pour défendre des convictions idéologiques ou protéger des intérêts particuliers.

- Concurrence internationale, de nombreuses découvertes ont été effectuées à travers l'Afrique au cours des dernières années, telles que le gisement de gaz de Zohr en Égypte, qui ont provoqué un déplacement d'intérêt vers les zones les moins risquées.

Encore une fois, alors que la production est en baisse, la consommation intérieure a augmenté pour atteindre 426 600 barils par jour en 2017, contre 210 000 barils par jour en 2010, ce qui représente une hausse de 103%. Cette augmentation est due à:

- L'Algérie consomme aujourd'hui près de 15 millions de tonnes de carburants routiers due a l'augmentation rapide du parc automobile par 111% entre 1998 et 2017 là où elle atteignait 5 986 000 véhicules contre 4 314 607 unités en 2010,

3 706 000 véhicules en 2008 et 2 840 077 véhicules en 1998.

- Similaire au gaz naturel et à l'électricité, la subvention généreuse au prix de l'énergie encourage la surconsommation et le gaspillage. La consommation par habitant en Algérie est de 1058,0 Kilogrammes d'équivalent de pétrole par personne, alors qu'au Maroc est de 458 Kg. Le prix moyen de l'essence, par exemple, est fixé à 32 DA / litre alors que ce carburant coûte en réalité 125 DA. Donc 75% du coût de production est supporté par l'Etat.

En conséquence, si la production actuelle est maintenue au même niveau que 2017, les réserves de pétrole de l'Algérie ne dureront pas plus de 32 ans et d'ici 2050, le pays aura épuisé toutes ses réserves de pétrole brut. Mais si la consommation locale était maintenue au même niveau, dans les sept années à venir, soit en 2025, l'Algérie consommerait toute sa production de pétrole brut pour satisfaire sa demande intérieure et il ne resterait plus rien à exporter.

Malheureusement, la réalité actuelle pourrait bientôt transformer l'Algérie en un importateur de pétrole et gaz plus tôt que ne le réalisent la plupart des gens.

*Enseignant universitaire des finances et Management à Londres.