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Du sang neuf ?

par M.T.Hamiani

Depuis un certain temps, l'on entend partout que le salut du pays ne sera réalité qu'en procédant à un changement générationnel de l'élite qui gouverne le pays. Car les vieux ont trop déçu, et de toute façon, ne jurent que par leurs intérêts personnels. Mais, puisque ces vieux ne sont pas immortels et que l'heure de la jeunesse sonnera, l'essentiel est ailleurs.

Ces dernières années, la jeunesse inonde les réseaux sociaux par ses critiques du système de gouvernance, traitant les acteurs des différents mouvements politiques de tous les noms. Elle leur reproche d'être à la base de la situation actuelle du pays et réclame le changement générationnel. Dans tous les lieux de rencontre de jeunes, cette question était et sera à l'ordre du jour. Sur la gouvernance, beaucoup de jeunes diront : « Les vieux ont échoué, ils sont tous les mêmes. Il faut un jeune au pouvoir ». Un changement générationnel est-il la solution de ce pays ? La jeunesse vaut-elle mieux que les vieux ? On en doute fort ! On peut même dire qu'elle est pire que ceux qu'elle veut changer.

Le débat fait la une des différentes causeries : Les jeunes, qui constituent la frange importante de la population, ne peuvent rester en marge de la vie politique et publique. Mieux, il est grand temps que les jeunes accèdent aux centres des décisions pour le bonheur de tous. Ils apporteraient des idées nouvelles et un nouveau souffle à la machine politique du pays. Voilà donc, en somme, les idées émises par les partisans du renouveau de l'élite politique du par l'alternance générationnelle. Des idées qui peuvent paraitre comme la solution idéale sauf, qu'à l'analyse, elles sont assez simplistes.

Les problèmes récurrents qui minent beaucoup de pays depuis longtemps, sont assez complexes pour que leur résolution se fasse uniquement par un changement générationnelle. Les déboires de la gouvernance ne sont que le reflet d'une certaine mentalité qui érigea le bras long et la gabegie au-dessus même de la loi fondamentale. Et, il est clair que les jeunes enclins à un réel changement de mentalité pour le bonheur de tous sont une espèce assez rare. En majorité, ils s'accommodent des pratiques peu traditionnelles. Si changement, il doit y avoir, c'est surtout un changement de mentalité pour un changement de gouvernance qui renforcera forcément la place du pays parmi les nations souveraines de ce monde. Peu importe la tranche d'âge de celui qui tient les rênes du pays, pourvu qu'il soit animé d'une volonté inébranlable de combattre la corruption et la délinquance financière ; et qu'il soit, bien sûr, porteur d'un nouveau souffle et d'idées nouvelles pour le pays. Malheureusement, il est à craindre que des hommes politiques jeunes surfent sur cette vague de jeunesse pour plaider leur propre chapelle. Vigilance donc doit être de mise.

Le déclic qu'il fallait pour tout remettre en question sur le plan de la gouvernance semblait trouvé en 1988 et en 2011(Printemps arabes) Le pays faisait face à la pire crise depuis son indépendance. Il ne récoltait que plus de quelques décennies d'une gouvernance aux antipodes de la transparence. L'occasion était toute trouvée pour refonder l'appareil étatique avec en ligne de mire, une rééducation du peuple sur le plan civique. Malheureusement, avec la réinstauration des mêmes pratiques, les bonnes questions ont été occultées. Et le pays semble, encore une nouvelle fois, retomber dans ses travers. Mais, dans le cas où les autorités peinent à mettre en place une gouvernance juste et vertueuse, top ou tard, c'est à la société civile de l'y contraindre. Là encore, avec une société civile émiettée, à forte coloration politique et partisane, l'idée d'alerter le gouvernement sur les tares de sa gouvernance sera très difficilement une semence virile qui pourra germer.

Que faire alors ? Sans doute, il faudra attendre que la parenthèse actuelle s'achève, avec on l'espère, le moins de dégâts possible, et pourquoi pas, avec des résultats plus que louables. Et ne pas oublier que la corruption en cours dans toutes les couches du pays, est venue du sommet de l'Etat. Donc, c'est du sommet de l'Etat que devra souffler une nouvelle vague de transparence et de gouvernance qui viendra balayer la petite corruption à la base.

Un devoir d'exemplarité incombe aux autorités qui devront poursuivre tous les hauts cadres soupçonnés de délinquance financière et d'autres pratiques criminelles. De telle sorte, que chacun sache que l'époque de l'impunité est révolue. In fine, des jeunes valeureux, il y en a. Mais que peuvent-ils faire face à un système qui les oblige à ne point contredire les princes du jour ?

Reste une question que la société ne fait qu'effleurer : vers quel type de régime politique nous entraînent ces citoyens distants ? Les tendances analysées par les experts annoncent un affaiblissement de la démocratie représentative, un renforcement des groupes d'intérêt les mieux organisés, un accroissement des inégalités liées aux écarts de « capital social », au risque d'un repli vers les formations extrémistes. En exergue de l'ouvrage figure une citation de Tocqueville : « Dans les démocraties, chaque génération est un peuple nouveau. » On pourrait ajouter que chaque « peuple nouveau « accommode à sa manière la démocratie.

Plus encore que du vote des chefs de l'extrême droite, notre démocratie risque de mourir de l'indifférence de certains électeurs, préviennent plusieurs politologues.

Il y a la version polie : « plus rien à faire « Et la version familière : « plus rien à foutre ». Deux modes d'expression qui recouvrent deux degrés d'un dépit citoyen à l'égard d'une démocratie perçue comme ne produisant plus ni résultat économique ni morale publique. Parce qu'elle en vient à ne plus du tout s'intéresser à la politique ou à voter pour un intellectuel ou un opportuniste, cette situation du « Plus rien à faire, plus rien à foutre » menace gravement notre démocratie pour empêcher une nouvelle déception mortifère pour notre démocratie.

A quelques mois des présidentielles, « Les Oubliés de la démocratie « voyagent parmi les désengagés de la politique. Déconvenues économiques, manque de vision collective, identité nationale en question, défaut d'exemplarité de ceux qui nous représentent ou nous gouvernent, crise du leadership, après tout, les causes du phénomène n'ont pas fondamentalement tendance à changer « principe de causes à effets ».

C'est du comportement lors de la présidentielle que dépendra lebasculement dans une autre époque, déjà amorcée, de régression ou de mutation démocratique profonde. Les jeunes qui sont totalement dégoûtés par la politique déclarent aussi n'avoir aucune envie de voter pour qui ce soit. C'est parmi ceux qui se sont désengagés assez récemment de la politique et parmi ceux qui sont prêts à se réengager que quelques pôles politiques exercent une attraction supérieure pour légitimer même les résultats les plus faibles. A l'occasion de la présidentielle, les parties de la coalition essayeront de permettre à cette frange d'électeurs de revenir dans le jeu. Nombreux, ils constituent le vivier principal dans lequel ils peuvent piocher, candidature efficace ou non, non pas pour réconcilier les électeurs avec la politique en général mais au moins, incontestablement, pour éviter qu'une partie d'entre eux se réfugie dans l'abstention. Pour autant, les spécialistes ne semblent pas penser que la mobilisation de ces électeurs qui n'en ont plus rien à faire, plus rien à foutre, sera suffisante pour permettre l'élection du candidat idéal du système, cette fois-ci, à El Mouradia.

Mais le vrai danger pour notre démocratie est ailleurs, et d'une autre nature. Il ne vient pas d'un rejet de notre démocratie représentative, et les partisans d'un régime répressif restent très minoritaires dans notre pays. Il vient plutôt de l'indifférence à l'égard d'un régime auquel ils finissent par ne plus trouver de légitimité parce qu'ils n'y trouvent plus d'intérêt personnel. Ni au travers des résultats, singulièrement décevants, de l'action publique, ni au travers de l'épanouissement des libertés individuelles.

Notre malaise démocratique actuel vient en réalité du fait que nous vivons dans un monde où l'essor d'Internet a accentué le divorce entre une sphère dirigeante taxée d'impuissance et une société qui développe ses propres capacités d'initiative et de responsabilité . Et si les politologues s'étaient trompés ? Et si la démocratie devenue numérique était menacée, non pas par un excès de passion de l'égalité, mais par la montée en puissance d'une autre valeur, la liberté individuelle ? Ces deux maux ne sont pas exclusifs l'un de l'autre, mais la thèse est intéressante. Elle aurait mérité un plus long développement pour donner à cet essai une autre dimension.