Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Novembre : de l'insurrection à la résurrection

par El Yazid Dib

Novembre est certes une date phare, mais a-t-elle toujours cette ardeur capable d'animer le cœur de nos enfants comme elle le faisait pour le cœur des enfants que nous étions ?

Le temps a-t-il avachi sa fragrance ? S'il reste quelques amours et souvenirs d'histoire chez certains, il ne reste rien ou presque chez bien d'autres. Contrairement aux sens que peut provoquer la lecture d'un manuel scolaire, le sentiment fouineur et extasiant de l'histoire dépasse en long et en large la simplicité d'un fait ou d'un évènement. L'histoire est donc une succession d'apparitions. Tout se déterminera par l'usage que l'on voudrait faire des faits authentifiés comme tels. Ainsi l'histoire est une et unique. Elle vous pourchassera ou vous comblera. Parfois ce seront les décisions silencieuses des hommes qui auront à façonner le canevas de l'histoire, quand ce ne serait plus l'exigence circonstancielle, commandant la présence d'hommes exceptionnels, à décrire l'homme d'histoire. Le dilemme est toujours de mise. Qui de l'histoire et de l'homme crée l'un ou l'autre ?

Il ne peut y avoir de Novembre sans parler de ceux qui l'on rendu aussi prestigieux et vénéré. Ce sont «les fils de la Toussaint». Mais autrement. Les martyrs ne reviennent pas chaque veillée de Novembre. Ils sont toujours parmi nous. Chaque rue, par son appellation rappelle un nom, un groupe de noms. Si le peuple est toujours le seul héros, l'on peut dire qu'il ne peut exister un peuple sans référentiel de guidance. Benboulaid, Zighoud, Benmhidi, Amirouche, Lotfi et tant d'autres martyrs furent ainsi les façonniers de la liberté et de l'indépendance et les héros de cette extraordinaire épopée.

Dans la vie des nations, la référence demeure évidemment relative à l'attache ancestrale au même titre que l'individu. Le premier novembre chez nous est-il exclusivement une date particulière, une journée chômée et payée que les gouvernants tentent à chaque échéance d'en donner le maximum d'éclats par des manifestations culturelles, sportives et autres ? Ou serait-il un arrêt mémorial que l'on devait observer chacun à sa façon mais tous par la même intonation intérieure. Le vivre en silence, par pensée, résurrection, simulation, errance et voyage en arrière du temps ne suffit-il pas pour que l'on puisse en faire uniquement un menu d'une soirée folklorique, d'un visionnage de film ou d'un tournoi footbalistique ? Ce premier novembre, la grille télévisuelle n'accrochait pas d'innombrables adeptes vers les affres scéniques de quelques documentaires sans débats sur la thématique du jour. Ainsi, dans nos boulevards, nos quartiers et nos villes, un premier novembre s'annonce par les couleurs des fanions et autres guirlandes que la mairie, le plus souvent sous l'impulsion traditionaliste du wali, tend à mettre en exergue. Il leur est un programme. Fêter et faire fêter le premier novembre ou toute autre «fête» nationale par sa population est devenu une mission tout aussi banale que celle d'attrouper les éternels constants invités en la circonstance. Novembre ne doit pas être cantonné dans des salles. Sa place privilégiée est au sein du peuple.

Loin dans les méandres de la douleur algérienne, le soleil ne brillait que par touches d'espoir rattachées au bout d'un fusil ou d'un mauser subtilisé, voire d'un poing nu mais décidé à briser à jamais le joug colonial. Dans les rues, dans les campagnes, les monts et les douars, l'heure n'était qu'une question d'hommes, de circonstance et de farouche volonté. Ce novembre avait été, le recouvrement de la liberté le prouve, un assaut final à toutes les péripéties du mouvement nationaliste qui, sans symbiose unitaire, retardait la résolution finale d'en terminer à jamais la souffrance contraignante qui s'abattait depuis plus de cent trente années sur le peuple algérien. Avant durant et peu après ce versant décisif de l'épopée nationale, la solidarité ne se limitait pas dans la gestion de diar errahma, ou maedat ramadan. L'un fut le frère de l'autre. Le lien sanguin ou parental ne donnait pas aussi l'identité familiale. Tout fut une famille. La misère les unissait. Il ne s'agissait pas d'une exception ou d'un excès de soutien de l'un vers l'autre. L'on pouvait partager un rien. Pourvu que l'on ait ce désir ardent de pouvoir et d'accepter de l'effectuer sans coup férir. Les qualités intrinsèques dont jouissait la population ponctuelle d'alors provenaient justement du besoin commun entretenu dans la structure mentale de chaque «citoyen». Il n'y avait que des citoyens français. Puis franco-algériens ou musulmans. Sans savoir, sans culture, sans instruction, avec toute une niaiserie, des espoirs et de fortes sensations, cette population aimait, sans la connaître la liberté, adorait sans l'avoir exercée l'indépendance. Pour rendre apte aux étapes d'une concrétisation l'ensemble des aspirations enfouies mais consensuelles, la providence devait dégager des hommes, un commando de choc, la révolte. Ce furent l'OS, les six, les vingt-deux?le CRUA, le CNRA, le GPRA?la RADP. Le conseil de la révolution?la Présidence, le HCE?le CNT, le RND?le FLN et ses redresseurs, et la valse continue.

L'Algérie est libre et indépendante. De qui et à l'égard de qui ? Elle est libre non pas par rapport à la France, puissance toujours coloniale en termes de nouvelle définition économique du colonialisme. Car la mondialisation est le pire des colonialismes. A vrai-dire. Cette liberté est encore l'otage d'autres considérations politiques autochtones. Faudrait-il pour cela réengager la révolution de novembre en intra-muros ? Que manque-t-il en fait pour que cette chère liberté puisse s'éclore, s'épanouir, se développer, toucher tous les cœurs, toutes les initiatives ? On n'est pas libre si l'inégalité différencie l'un et l'autre. Cette liberté arrachée vis-à-vis du roumi d'hier est encore une passion que l'on observe chaque matin en queue leu-leu auprès des consulats de la France «coloniale». L'atmosphère aux alentours de la marge de l'histoire ou le retour furtif vers des points historiques remarqués est une humeur de générations. Sans que nul ne pense en détenir un bout soit-il de cette haute et véritable vérité. Malheureusement pour l'indépendance, qui au demeurant avec l'effet de tempérament du 11 septembre n'est qu'un petit jeu de consommation politique pour un discours intérieur et destiné à ses aborigènes. Nul à l'indépendance n'est tenu, si ce n'est par survivance ou ultime survie. Les Etats comme les êtres ou la presse n'ont d'indépendance que dans la liberté qu'ils ont de pouvoir animer et fonctionner librement leur muscles, paroles, engins et rotatives.

Alors que dire qu'après plus d'un demi-siècle «d'indépendance» l'on ait pu faire un semblant de comparatif de l'état de l'esprit qui prévalait cependant avec celui qui prédomine en ces temps actuels. A l'époque dans chaque maison, maisonnette, chaumière ou gourbi, l'emblème national «nedjma ou hlel» en constituait le principal et sacré ornement domestique. On le faisait brandir à chaque occasion. Ces drapeaux fusaient de partout lors des fêtes nationales. Même dans les écoles post-indépendance l'ensemble des travaux scolaires manuels étaient conçus tel que faire des calots, des insignes et tous ce qui peut signifier clairement des signaux forts du nationalisme, exprimait ardemment et innocemment l'amour de la patrie. 2018, cet étendard, semble-t-il, est en passe de devenir une exclusivité de l'Etat et de ses collectivités. Pour preuve, que l'on n'a pas habitude de voir, en dehors des festivités officielles, des trucs, des jouets, des gadgets, de la nourriture, du yaourt ou du fromage made in chez nous arborer fièrement le schéma de l'emblème national. Même nos officiels ne portent pas de cravates bariolées aux nuances des couleurs nationales. Ils préfèrent pour la chemise un bleu moins bleu que celui de la France. En France, au 14 juillet tout est à la faveur du bleu, du blanc et du rouge. En Amérique, le 11 septembre a rassemblé les éléments dispersés par le crime, le sida et le chômage autour de la bannière étoilée. Ainsi, seule l'équipe algérienne est apte à faire jaillir des milliers de gosiers les (1.2.3. viva l'Algérie !) Elle est l'unique force nationale, sans parti et sans idéologie, qui a su faire sortir des millions d'Algériens manifestant en bout de drapeau cet amour perdu et subitement retrouvé le temps d'un match.

Un appel des plus stridents se-laisserait entendre par ceux-là mêmes qui ont pu embryonner la genèse de Novembre, pour exalter que le nationalisme n'est pas une profession de foi ni un engagement dressé par devant étude notariale. A la limite de la foi il n'est non plus un droit de détention d'un bout d'une CNI ou d'une attestation de participation à une guerre. C'est un comportement, un esprit, une pieuse pensée et une profonde réflexion. On appelle ça aujourd'hui la citoyenneté. Novembre à l'instar de tant d'attributs historiques nationaux doit être remis à qui de droit. Véritable ayant-droit, la population en ces multiples facettes de représentativité devrait récupérer la solennité des hauts faits de la nation. Novembre n'est pas une affaire de wali. C'est l'affaire de tous. Mais faisons-nous des confidences, si l'administration se retire de l'organisation de ces fêtes, il n'y aurait que des jours et des jours qui se ressemblent. Le premier Novembre ou le 5 juillet, si match n'y est pas, ne serait qu'un autre temps d'un autre jour à perdre encore dans l'anonymat le plus entier de la chronologie. Donc par utilité culturelle faites-le, messieurs les organisateurs au bon endroit, à bon escient et pas à l'envers de l'objet du message. L'oubli et la désuétude.

Et maintenant comment fête-t-on Novembre, Benboulaid et autres icônes nationales ? Par la zorna et le bendir ? Allez voir qui se trouve sur la placette publique à 00 heure de chaque nuit de ce jour qui a terrifié l'OTAN et rassemblé tout un peuple. L'on ne trouve que des officiels. Ce peuple, l'héritier de l'autre peuple, dort. Il se réveille le lendemain pour scruter le décor urbain pavoisé et guirlandé. Pas plus. Est-ce la faute au manque de «transmission de flambeau» tant prônée ? Ce flambeau devait être transmis avec ses ardeurs et ces cendres. Comme une flamme olympique, appelée à passer de relais en relais, il est vraiment temps, à peine d'extinction totale qu'il soit confié harmonieusement à cette génération qui saura le glorifier pour l'éterniser davantage. Finies les banderoles cousues main, les effigies peintes ou les commémorations faïencées et mal émaillées ! L'ère du laser, du Banner et du Lan ont supplanté ce mode reproductif insignifiant. Nous ne sommes plus à l'heure des bilans, pour ne pas laisser loin et pas trop loin les chicaneries des uns et autres. L'histoire va bientôt se rouvrir. Voyons plutôt dans quel monde va évoluer cette Algérie novembriste. Les défis sont nombreux et diversifiés. Une jeunesse en masse qui n'attend que l'opportunité des commandes au lieu et place des bons de commande de l'ANSEJ. Elle a sa propre perception du monde qui l'entoure. Il se peut fort bien qu'elle ne partage pas le même angle de vison de leurs aînés. Elle est cyber-génétique, n'exerçons pas trop sur elle, le bouchon du brouillage et de l'enfermement. Ceci n'est pas en soi une tare. Les mobiles de comparaison ne sont plus identiques notamment sur le plan relationnel ou celui de la communication. Elle a ses propres canaux. Faisons leur confiance. Pourvu que cette fibre sensationnelle de tout ce qui est légende et histoire ne se lasse pas au fil des temps. A bien des égards, cette formidable jeunesse avec ses imperfections et son élite doit réinventer le premier novembre. De l'insurrection à la résurrection. Ça doit être sa mission. Facilitons-leurs les choses.

Une idée ?Veillée nationale du 1er-Novembre

Et si à la veille de chaque 1er novembre, à minuit, la levée des couleurs serait organisée sur la grande esplanade du palais du gouvernement ? La manifestation aurait ainsi une puissante charge, symbolique et spatiale. C'est d'ici que le général De Gaulle avait lancé son célèbre «je vous ai compris». Ce serait la première fois que les couleurs nationales seraient levées en cet endroit, en cette nuit, à cette heure-ci, si historiques. L'on verrait tout le gouvernement veillant et pas uniquement les walis d'une Algérie algérienne, indépendante et souveraine marquant une minute de silence à la mémoire des martyrs et entonnant à l'unisson l'hymne national. Enfin, exporter, par un direct une telle émouvante image exprimera énormément de choses et qui se saura ailleurs. L'on exportera ainsi Novembre.