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Pour un système éducatif performant

par Mâamar Lariane*

S'agissant de la rentrée scolaire de cette année, disons que dans l'ensemble tout s'est très bien déroulé et c'est tout à l'honneur des responsables. Il convient de savoir tout de même qu'il est des situations auxquelles il faut faire face avec beaucoup de professionnalisme.

Un événement pareil nécessite des moyens financiers énormes en même temps qu'il mobilise un personnel au nombre incalculable. En effet, pour cette année précisément, pas moins de neuf millions d'élèves étaient attendus dans nos écoles et accueillir tout ce beau monde n'est pas une mince affaire tant au plan des structures d'accueil qu'à celui des ressources humaines. C'est là un véritable défi que de faire face à un pareil événement sans laisser la moindre faille ni accuser le moindre retard non plus dans quelque compartiment que ce soit, retard qui risquerait de compromettre considérablement l'opération.

Dans un premier temps nous parlerons uniquement de l'accueil qui fut réservé à nos enfants et s'il est sûr que la rentrée s'est effectuée dans les meilleures conditions possibles, il n'en demeure pas moins qu'il reste beaucoup à faire pour parvenir à dispenser un enseignement et une formation de qualité.

En dépit de tous les moyens humains et matériels mis en œuvre pour que cet événement soit une réussite totale, beaucoup s'accordent à dire que les résultats escomptés ne sont pas forcément ceux auxquels on abouti en fin de parcours, d'où la demande somme toute légitime de revoir notre système éducatif dans son ensemble, car il serait vraiment dommage de traîner ces insuffisances continuellement sans arriver à trouver la bonne solution. Pour autant, il ne faudrait pas comprendre par là que tout ce qui a été entrepris par les responsables qui se sont succédé à la tête de ce secteur s'est avéré vain, loin s'en faut, car d'énormes progrès ont été réalisés dans tous les domaines (taux de scolarité élevé jusque dans les contrées reculées du pays, taux d'analphabétisme réduit de façon considérable, constructions scolaires en totale adéquation avec les besoins de l'heure, recrutement de personnel doté du niveau requis -bac+4, voire bac+5-) bien que parfois les responsables en question se voient bousculés en raison de la forte demande en matière de structures d'accueil, à l'exemple de cette année où les 5e et 6e années de l'enseignement primaire devaient se présenter en même temps à l'examen d'entrée en 1ère année moyenne suite au changement intervenu et qu'il fallait accueillir à la rentrée sans leur faire la moindre difficulté, sachant que tout cet effectif allait poser le même problème au bac quelques années plus tard et ce qui va suivre dans le présent article le montrera de façon fort éloquente.

Lorsqu'on est bousculé de toutes parts, il est parfois difficile de se pencher sur la question de la qualité et l'on a tendance à parer au plus pressé pour que la rentrée se tienne dans les temps et dans de bonnes conditions tout en répondant aux besoins exprimés. Pour ceux qui ne sont pas au fait des choses concernant ce domaine, sachons qu'une rentrée solaire se prépare longtemps à l'avance, soit dès le premier trimestre de l'année civile, que des réunions périodiques se tiennent avec les chefs d'établissements des différents paliers et les chefs de services de la direction de l'Education, réunions où tout est passé au crible (effectif élèves et enseignants, structures d'accueil pour les différents régimes externat-internat nombre de rationnaires, etc.) tout cela pour être au rendez-vous le jour J si bien qu'au mois de juin, les cartes scolaires et administratives se trouvent fin prêtes pour être envoyées aux responsables pour que soit établie ce qu'on appelle l'organisation pédagogique, celle destinée à l'élaboration des emplois du temps, une opération éprouvante et qui doit être conduite avec le plus grand soin.

«Pourquoi entrer dans ces détails ?», me direz-vous. Loin de nous l'idée d'ennuyer le lecteur, notre but étant seulement d'apporter des éclaircissements concernant le travail de ces chefs d'établissement qui ne bénéficient que d'un petit mois de congé en été comme tout le monde contrairement à ce qu'on pourrait penser. En outre, ils se dépensent sans compter de peur que leur travail n'accuse du retard et ne compromette la rentrée.

Jusqu'ici nous n'avons abordé que le volet inhérent aux structures d'accueil, au personnel enseignant et administratif. Par ailleurs, il est de mon point de vue aussi important de se pencher sur le problème de la qualité ; rechercher la qualité exige, bien entendu, de gros moyens, de même que la question nécessite une réelle volonté politique. En effet, de sérieux aménagements dans les horaires et programmes devraient être entrepris au plus vite par la tutelle en vue d'un redressement de la situation, une opération à laquelle prendraient part des pédagogues (inspecteurs généraux, psychologues, enseignants?) Une refonte des programmes et des directives est absolument nécessaire si on veut changer de cap et faire véritablement de nos enfants les hommes de demain.

De l'avis de Monsieur le Ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique intervenant sur un plateau de télévision tout récemment, «il est grand temps de se tourner vers la recherche de la qualité, une entreprise qui exige le concours de tous, enseignants, responsables et étudiants».

Pour justifier cette demande de remaniement total du système éducatif, nous allons tenter de mettre à nu certaines vérités, non pas pour dévaloriser nos institutions mais c'est juste pour inciter au changement devant nous mener vers l'émergence d'une école moderne dotée d'un système éducatif performant. Notez que tout récemment (dans le courant de cette semaine) Madame la Ministre a parlé d'intensifier les efforts pour un système éducatif performant et cela veut dire en clair que le nôtre ne l'est pas et qu'il y a convergence de vues sur la question, Monsieur le Ministre de l'Enseignement supérieur ayant soulevé le problème juste avant qu'elle ne se prononce sur la question. Ces deux responsables n'ont plus qu'à agir concurremment pour hisser notre école au rang qui lui convient.

Sous d'autres cieux, un jeune qui arrive à l'université doit maîtriser au moins une langue étrangère. Est-ce le cas chez nous ? J'en doute fort. Le taux d'échec en 1ère année universitaire est effarant, chose qui risquerait de vous surprendre, aimable lecteur, vous dont le sort de cette frange de la société vous préoccupe au plus haut point. Encore une fois, sans vouloir minimiser les efforts fournis par les uns et les autres et tout en restant admiratifs devant ce désir de bien faire les choses présent chez nos responsables, nous disons tout de même que les résultats demeurent bien en deçà de nos espérances. Jugez-en !

Il m'a été donné (il y a de cela plus de 25 ans), moi qui suis un peu du domaine, de faire une petite enquête dans mes classes au lycée technique (de la 1ère à la 3ème année secondaire). Devant l'incapacité de mes élèves à pouvoir exploiter un texte en français ne présentant pas de difficultés sérieuses, j'ai voulu en connaître les causes. Et à la question de savoir qui a lu au moins un livre dans sa vie (peu importe si c'est en arabe ou en français) seuls 4% ou 5% ont répondu par l'affirmative. C'est inadmissible. «Il y a de quoi s'arracher les cheveux», me dira un bonhomme censé et qui sait mesurer l'ampleur des dégâts. A ce stade-là, notre futur universitaire devrait se prendre en charge et lire un livre par jour (ce n'est pas trop lui demander, figurez-vous) et c'est seulement à ce prix-là qu'il arrivera à se forger une personnalité et à acquérir une culture générale appréciable.

Si nous faisions un petit calcul, nous verrions qu'il y a de quoi être sérieusement inquiets, car l'adolescent d'alors est âgé aujourd'hui d'une quarantaine d'années et il est allé avec l'ensemble de ses camarades grossir les rangs de nos ingénieurs, de nos médecins, voire même de nos enseignants. Est-il pensable qu'on puisse se lancer dans la vie active désarmé de la sorte ? «Quiconque a beaucoup lu peut avoir beaucoup retenu», dit-on. Vous me direz peut-être que cet universitaire aurait pu se mettre à la lecture par la suite, mais je vous répondrais que passé l'âge de 14 ans, la lecture, c'est terminé ! (sauf pour une minorité de personnes douées qui émergeraient du lot pour renverser la vapeur). Cela resterait toujours une corvée pour beaucoup étant donné qu'on n'a pas éveillé le goût de la lecture chez l'élève jeune. Et parler par la suite de bibliothèque communale, de bibliothèque itinérante ou de salon du livre ne servirait à rien (c'est de l'argent jeté par les fenêtres) car le handicap est sérieux, je dirais même insurmontable pour nos jeunes, d'où leur aversion pour ce type d'exercice. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs la majorité de nos étudiants recourent systématiquement à l'internet pour un copier-coller en règle lorsqu'il s'agit pour eux de traiter un sujet quelconque. Résultat ? En fin de parcours, c'est connu, on dispose d'un diplôme en bonne et due forme. Quant aux capacités réelles de l'étudiant, il y a de quoi se poser des questions. A qui la faute ? A l'enseignant qui n'a pas su (ou voulu) se donner la peine d'éveiller le goût de la lecture chez l'enfant dont il avait la charge ou au système qui a fait que l'on se soucie beaucoup plus de la quantité que d'autre chose?

Ce serait dommage de se donner tout ce mal pour se rendre compte en définitive que la route qui mène au progrès est encore longue. A voir aussi le comportement de nos étudiants ou celui de nos jeunes d'une manière générale dans la vie de tous les jours, nous nous demandons si réellement l'école a joué le rôle attendu d'elle. Manifestement non, je dirais, en témoigne cette violence dans les stades où la majorité de la galerie est constituée de jeunes (une honte) et ces milliers d'accidents de la route provoqués par des chauffards âgés pour la plupart de moins de trente ans. Il est grand temps, faut-il en convenir, de tirer la sonnette d'alarme, de se tourner vers l'école et de se mettre résolument au travail pour tenter d'endiguer ce fléau.

Nous ne terminerons pas sans montrer à notre aimable lecteur ce que l'Etat a consenti comme moyens pour permettre à ses enfants de suivre une scolarité normale dans une école publique («c'est la commune culture qui fait fleurir les différences», a dit un pédagogue français), car passer sous silence de pareilles choses serait, à mon avis, faire preuve d'ingratitude et de mauvaise foi.

Rentrée scolaire 2016/2017, plus de 8millions d'élèves étaient attendus dans nos écoles pour être encadrés par 49.5000 enseignants dont 28.000 nouveaux. L'Etat a également dégagé un budget de plus de 15 milliards de DA au titre de la poursuite de la politique de solidarité avec les élèves nécessiteux. Le nombre d'élèves scolarisés dans les trois cycles d'enseignement et au pré-scolaire est de 8.691.000 selon les chiffres présentés par le ministère de l'Education.

S'agissant de l'encadrement pédagogique, l'on compterait 258.403 membres du personnel administratif et 495.000 enseignants dont 4.878 diplômés des écoles normales supérieures et 28.075 nouveaux enseignants mobilisés.

Quant aux infrastructures, on comptera pour cette année (2016/2017), 26.488 Ets scolaires dont 146 nouveaux plus 14.427 cantines scolaires. Au titre de la politique de l'Etat en matière de solidarité, 9 milliards de DA ont été consacrés à la prime de scolarité et 6,5 milliards de DA pour assurer la gratuité du livre scolaire, sachant que 3 millions d'élèves scolarisés bénéficient de la prime et du livre à titre gracieux.

Afin d'assurer la bonne mise en œuvre des nouveaux programmes, les inspecteurs, les enseignants et les chefs d'établissements bénéficieront de séances de formation, de même que des sessions de formation sont prévues pour les nouveaux enseignants, lauréats du dernier concours de recrutement.

Toutes ces données (statistiques officielles émanant de la tutelle) nous sont offertes pour qu'on puisse se faire une idée précise des moyens financiers engloutis par ce secteur vital et en même temps essayer d'établir une sorte de bilan : Est-ce que les résultats auxquels on aboutit en fin de parcours sont à la hauteur de ces moyens ? Je pense que non. Aussi, j'estime que le moment est venu de mettre un terme à cette situation qui n'a que trop duré et de tout revoir pour repartir sur des bases solides visant à mettre sur pied un système éducatif performant.

Remettre le train sur les rails reste tout à fait dans le domaine du possible si tant est que nos responsables soient disposés à cibler le mal et à mettre tout en œuvre en vue d'une réussite totale de l'opération. Puisse ce projet se réaliser dans les meilleurs délais et faire en sorte que tout ce qui est entrepris soit couronné de succès afin que notre Ecole recouvre son statut d'antan !

*Enseignant à la retraite