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L'Algérie et les «Nouvelles routes de la soie» (1ère partie)

par Chems Eddine Chitour*

«Le voyage de mille lieues a commencé par un pas.» Lao Tseu

L'Algérie a rejoint Pékin, où s'est tenu le 7e Forum sur la coopération sino-africaine, l'initiative chinoise des «Nouvelles routes de la Soie. L'Algérie et la Chine ont signé un mémorandum d'entente sur l'adhésion de l'Algérie à l'initiative chinoise, et décide enfin de se projeter à l'international en s'inscrivant dans le projet du siècle

Historique de la Route de la Soie

La Chine veut recréer une «route de la Soie» entre l'Asie et l'Europe. «Elle va, écrit Fréderic Martel, construire des milliers de ponts, de routes, de chemins de fer et de ports à travers l'Asie centrale et le Moyen-Orient. 40 milliards de dollars d'investissements, Est-ce une arme économique ou diplomatique? Un expansionnisme commercial?» (1)

«La route de la Soie désigne un réseau ancien de routes commerciales entre l'Asie et l'Europe, reliant la ville de Chang'an (actuelle Xi'an) en Chine à la ville d'Antioche, en Syrie médiévale (aujourd'hui en Turquie). Elle tire son nom de la plus précieuse marchandise qui y transitait: la soie. La route de la soie était un faisceau de pistes par lesquelles transitaient de nombreuses marchandises, et qui monopolisa les échanges Est-Ouest pendant des siècles. Elle se développe surtout sous la dynastie Han(221 av. J.-C. - 220 ap. J.-C.), À partir du XVe siècle, la route de la soie est progressivement abandonnée, du fait de la période des «Grandes découvertes» Par une culture internationale, elle a permis des échanges matériels, culturels, religieux et scientifiques entre peuples aussi divers et mutuellement lointains que les Turcs, les Tokhariens, les Sogdiens, les Perses, les Byzantins et les Chinois... » (2)

« Elle a suscité le rassemblement d'États militaires fondés par des nomades de Chine du Nord, amené le nestorianisme, le manichéisme, le bouddhisme puis l'islam en Asie centrale et en Chine, provoqué le puissant empire des Turcs Khazars. (...) La nouvelle route de la soie pourrait redistribuer les cartes, à l'heure où la mondialisation de l'économie fait pencher la balance vers l'Est. Plusieurs tronçons ont déjà été transformés en autoroute. Cette route pourrait alors rejoindre l'Europe en passant par le Kirghizistan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Turkménistan, l'Iran et la Turquie. Côté chinois, on achève le Xinsilu, une quatre-voies de 5000 km qui relie la mer Jaune aux monts Tian. Un axe qui a pour but de délester la route maritime, par laquelle transitent des millions de conteneurs par an. » (2)

Les conséquences de cette vision du soft power chinois

A en croire les analystes occidentaux, la Chine veut dominer le monde. . «Pour Washington, le partenariat stratégique entre la Chine, la Russie et l'Iran, qui se développe au sein du Club de Shanghai, est un cauchemar géopolitique. Frederic Martel parle d'une sorte de soft power: «Comment booster l'économie tout en confortant une influence politique? Comment aider l'Asie du Sud-Est et, du même coup, freiner l'influence américaine et indienne? Comment faire du nouveau avec du vieux? Pékin a trouvé la solution: la nouvelle route de la Soie. .Et début mars 2015, le Premier ministre chinois Li Keqiang a annoncé la création de la «Silk Road Company Ltd (...) Plus encore que la démesure des investissements et du rêve chinois, ce qui frappe, c'est le nom du projet. Un plan de communication efficace. Un logo. Une marque. Une nouvelle route de la soie!» Pour la Chine, il s'agit d'un plan stratégique qui vise à réorienter sa géopolitique vers l'intérieur du continent, notamment vers l'Asie centrale et l'Europe, plutôt que vers l'Est et sa côte Pacifique. (1)

«Le nom officiel du projet est: « One belt, one road » (une ceinture, une route). Rien de moins. Avec près de 6500 kilomètres, la route part de l'est de la Chine (pays qu'elle traverse sur près de 4000 kilomètres), avant de bifurquer vers des pays qui s'appellent aujourd'hui l'Inde, ou le Pakistan, l'Afghanistan, l'Iran, l'Irak, la Syrie, pour rejoindre la Méditerranée. . (...) Pékin a choisi de redonner vie aujourd'hui à deux routes de la Soie. Tout un symbole. Cette nouvelle route de la Soie sera constituée de milliers de ponts, de voies de chemin de fer, de gares et de pipelines pour relier l'Est à l'Ouest En clair, réussir avec l'économie là où les Américains ont échoué avec le militaire ». (1)

Une banque pour accompagner le projet

«La nouvelle route de la Soie s'adossera à la nouvelle banque d'investissement asiatique que Pékin vient de lancer avec une vingtaine d'autres pays (Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, ou AIIB). Presque toute l'Europe occidentale, sauf la Belgique et l'Irlande, a officiellement adhéré à l'AIIB. Les États-Unis, le Canada et le Mexique ont tous refusé d'adhérer. Quatorze pays européens dont la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne ont rejoint le projet en ordre dispersé. Le dernier jour avant la date limite pour devenir membre fondateur (31 mars 2015), le secrétaire américain au Trésor, Jacob Lew, annonce la volonté US de coopérer avec l'organisation la société d'État chinoise China Railway Corporation (CRC) a proposé la construction d'une ligne de trains rapides reliant la Chine occidentale à l'Iran, un de ses partenaires majeurs au Moyen-Orient. ?La Chine a maintenu ses relations commerciales avec l'Iran en dépit des sanctions et les sociétés chinoises y ont massivement investi dans l'industrie, des biens de consommations à l'énergie en passant par l'automobile''.» (3)

L'aspect économique et financier de «la Route de la Soie»

Il ne faut pas se faire d'illusion, Il n'ya pas de philanthropie en l'occurrence. La Chine veut se développer et placer ses excédents commerciaux, Pour cela elle doit irriguer le monde , elle a compris que les infrastructures sont déterminantes même à l'ère du Web 3.0, nous avons d'infrastructures portuaires de réseaux ferrés de routes pour transporter les marchandises L'économiste Hassan Haddouche dans un article de référence écrit à ce sujet Les autorités algériennes qui ont pris conscience tardivement du caractère déséquilibré de la relation économique avec le partenaire chinois ont commencé à le lui faire savoir au cours des toutes dernières années en réclamant plus d'investissements des entreprises chinoises dans notre pays. C'est dans le prolongement de cette démarche que le Premier ministre algérien signait, à Pékin, le 4 septembre dernier, un « mémorandum d'entente » qui a été interprété comme une adhésion au gigantesque projet chinois de « Routes de la soie ». Ahmed Ouyahia avait notamment indiqué à cette occasion que l'adhésion de l'Algérie à l'initiative chinoise « apportera une densité plus forte à notre coopération et à notre partenariat avec la Chine, comme le laissent entrevoir déjà nos projets communs majeurs du port centre et du complexe de phosphate intégré». Le projet chinois et les chances qu'il offre à l'Algérie ainsi qu'aux pays du Maghreb était précisément, voici quelques jours, le sujet choisi par le think-tank Care pour la reprise de ses activités (4).

«L'économie chinoise poursuit l'auteur accumule depuis longtemps des excédents commerciaux considérables. Hassan Heddouche rapporte les propose de l'économiste Mouloud Hedir qui : «mentionne le chiffre de 510 milliards de dollars rien que pour l'année 2016. La moitié de cet excédent commercial est réalisé avec les États-Unis. Mais ils sont loin d'être les seuls concernés. Dans des proportions plus modestes, le déficit commercial de l'Algérie avec le partenaire chinois était quand même supérieur à 7 milliards de dollars en 2017. Ce qui a représenté près des trois-quarts de notre déficit global l'année dernière. Pour l'économiste algérien, l'initiative des autorités chinoises renverse un paradigme classique. Jusqu'ici, en gros, avec les bailleurs de fonds occidentaux « on avait beaucoup de besoin, relativement peu de financements, et des délais importants pour finaliser les projets». Les Chinois nous disent maintenant : «Le financement on s'en occupe, quels sont vos projets et vos priorités ?». Une Banque de développement asiatique, qui marche clairement sur les traces de la Banque Mondiale, a été dotée d'un capital de 40 milliards de dollars. Récemment, la Banque de développement des BRICS, avec une dotation de 100 milliards de dollars, envisage de financer des plans de stabilisation, à l'image des activités du FMI. Au premier rang figure l'Arabie Séoudite avec des financements de 180 milliards de dollars dont 100 milliards réservés à un programme de développement de centrales nucléaires. L'Égypte est également en bonne place avec des financements prévus de plus de 20 milliards de dollars. » (4)

L'Algérie sur le trajet de la route de la Soie: pourquoi pas?

Voilà ce que nous écrivions en 2016 quand nous appelions de nos vœux l'intégration de l'Algérie dans la marche du monde: «L'Algérie n'a pas encore déprogrammé son tropisme vers l'Europe. Pourquoi toujours coller à l'Europe et ne pas créer une nouvelle dynamique avec l'Asie qui s'affirme de plus en plus comme le barycentre du monde. Mise à part l'Allemagne, les autres pays ont d'énormes problèmes financiers. L'Algérie a raté son adhésion à la banque fondée par la Chine en mars 2015. Il n'est pas trop tard, si nous avons un cap pour le développement du Sahara, la Chine pourrait nous accompagner. Au vue des défis du futur, il est de mon point de vue nécessaire pour les deux pays de mettre en place une université ou on enseigne la technologie en chinois et en anglais, l'Algérie serait la porte de l'Afrique. Faire partie de la route de la Soie relève a priori de l'utopie tant il est vrai que nous ne sommes pas sur le tracé! il n'est pas interdit de penser à une route de la Soie avec un prolongement africain par voie maritime. La route maritime qui va vers Venise peut très bien faire un crochet vers l'Algérie. Au vu de la densité des rapports algéro-chinois forgés pendant la lutte de libération, il est possible de penser à une route de la Soie qui emprunterait à partir d'Alger le trajet de la transaharienne électrique et qui irait irriguer toute l'Afrique centrale, de l'est et de l'ouest du fait qu'un partenariat Chine-Afrique existe. Qui ne tente rien n'a rien. Faisons-le! C'est le premier pas qui compte comme nous y invite Lao Tseu. (5)

Ce que nous faisons avec la Chine

Dans une contribution que j'avais faite en 2016 au tout début de l'annonce de l'initiative j'avais proposé que l'Algérie s'inscrive dans cette démarche : «Et si la route de la soie passait par l'Algérie ? Nos chances dépendent de notre ambition ? » Environ 18% du total des importations algériennes provenaient de Chine en 2017, faisant de Pékin le premier fournisseur de l'Algérie, devant la France (environ 9%) et trois autres pays de l'Union européenne. La Chine n'était en 2017 que le 13e client de l'Algérie, ne recevant que 2% de ses exportations. Pékin a multiplié les investissements au Maroc, notamment dans la locomotion électrique mais continue d'entretenir des relations historiquement privilégiées avec Alger.

Au-delà des activités d'échange, la Chine étant le premier partenaire de l'Algérie, ayant détroné la France avec plus de 8 milliards de dollars d'achat s'il y a une coopération chinoise en Algérie, il y a aussi une diaspora algérienne en Chine qui peut servir de trait d'union. Saïd Belguidoum enseignant à l'université de Sétif nous parle d'un retour de la soie en décrivant un séjour qu'il a effectué en Chine. Nous l'écoutons: «(...) Les enquêtes que nous menons en Algérie depuis plus de trois ans montraient que le rôle et le poids de Yiwu s'amplifiaient au point de devenir la principale destination des entrepreneurs marchands algériens, supplantant d'autres places telles que Marseille (dont le rôle est devenu marginal), et surtout celles du Moyen-Orient et Dubaï. Remonter à notre tour ces ?nouvelles routes de la Soie'' devrait permettre de mieux comprendre comment, à partir de ces routes, ont pu se constituer en Algérie des places marchandes au rayonnement national et aux connections internationales. El Eulma et Aïn Fakroun, deux localités de l'Est algérien, illustrent la montée en puissance de ce nouveau type de ville.»(6) «Les commerçants poursuit-il, de passage sont très nombreux. Leur présence est continue toute l'année, même si c'est au moment des grandes foires que l'affluence bat son plein. Les «traders» algériens, dont il est difficile d'évaluer le nombre précis, sont de plus en plus nombreux à s'installer. (...) Une vingtaine de «gros bureaux», les pionniers venus au début des années 2000, ont pignon sur rue. Ils traitent les grandes affaires d'exportation vers l'Algérie et sont en relation avec une importante clientèle. Dix ans après les premières installations, on assiste à un processus indéniable de constitution d'un comptoir algérien durable, alimenté par une population jeune entreprenante et prête à se fixer comme le montrent certains signes. (...) Ces premiers mariages avec des Chinoises facilitent une intégration(...)»(6) A suivre

*Prof. Ecole Polytechnique Alger

1.Frédéric Martel http://www.slate.fr/story/99575/ chine-route-de-la-soie 29.03.2015

2.https://fr.wikipedia.org/wiki/Route_de_la_soie - cite_note-peopledaily-9

3.http://iranfr.com/chine-integrera-liran-nouvelle-route-soie/22 décembre, 2015

4. Hassan Haddouche https://www.tsa-algerie.com/nouvelles-routes-de-la-soie-quelles-opportunites-pour-lalgerie/30 Sept. 2018

5.http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur chitour/240524-nos-chances-dependent-de-notre-ambition.html

6. Saïd Belguidoum https://fr.hypotheses.org/21591