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Fed, Trump et pays émergents

par Akram Belkaïd, Paris

Augmentera encore ou pas ? A la fin du mois de septembre, nombre de regards seront tournés vers les Etats-Unis où la Banque centrale américaine, appelée aussi Réserve fédérale (Fed), prendra la décision d’augmenter ou non ses taux directeurs. Cela fait plusieurs mois que l’institution monétaire est engagée dans un resserrement monétaire puisque la fourchette de tous ses taux est passée de (0%-0,25%) à la fin 2015 à (1,75%-2%) aujourd’hui. En d’autres termes, la Fed a mis fin à l’ère de «l’argent gratuit» et a de nouveau endossé son costume de vigie combattant les pressions inflationnistes (la hausse des prix a atteint 2% aux Etats-Unis, c’est-à-dire le seuil fixé comme objectif nécessitant une intervention de la Banque centrale).

Trump «pas emballé»

Selon la presse financière, il y a de fortes probabilités pour que la Fed augmente son taux directeur de 1,75% à 2%. Plus important encore, le processus haussier devrait se poursuivre en 2019 avec au moins trois à quatre augmentations qui rapprocheraient le taux directeur de 3%. Pour les banquiers centraux, la pleine croissance ( 3% pour le Produit intérieur brut – Pib - américain) et le haut niveau d’emploi justifient une telle stratégie monétaire. L’affaire n’est pourtant pas du goût du président Donald Trump. Pour l’heure, ce dernier qui est habitué des déclarations intempestives sur nombre de sujets, s’est gardé d’attaquer de front la Fed et son président Jerome Hayden Powell. Il s’est juste contenté d’affirmer en juillet dernier qu’il était «peu emballé» par la politique monétaire de la Banque centrale et qu’il attendait plutôt «de l’aide» de cette dernière.

Or, la Réserve fédérale est indépendante et son président ne rend des comptes qu’aux élus du Congrès. Certes, sa nomination, au départ, dépend du locataire de la Maison-Blanche, mais, par la suite, la politique monétaire est censée être menée de manière étanche vis-à-vis de l’exécutif. Par le passé, il est arrivé que le président américain et celui de la Fed fonctionnent en tandem comme ce fut le cas entre Bill Clinton et Alan Greenspan dans les années 1990. Dans le cas présent, la situation et plus compliquée car Donald Trump préférerait que les taux soient bas pour que l’activité économique et la consommation ne soient pas entravées. On observera donc avec curiosité sa réaction si la Fed augmente ses taux à la fin du mois, c’est-à-dire à quelques semaines des élections législatives de mi-mandat. Une attaque en règle contre l’institution monétaire ferait alors beaucoup de bruit et constituerait un précédent notable.

Crise des émergents

Mais il n’y a pas que Donald Trump qui voit la politique monétaire actuelle d’un mauvais œil. De nombreux pays émergents sont dans une situation difficile. Habitués à se financer en dollars, ils prennent de plein fouet la hausse du billet vert (laquelle est la conséquence de la hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis). Avec des taux élevés, le fait de placer son argent sur les marchés américains devient plus rentable. Résultat, les pays émergents subissent en 2018 une baisse de 20% des flux financiers entrants (ils avaient atteint 315 milliards de dollars en 2017). De même, les principales monnaies émergentes sont dans la tourmente ce qui a obligé certains pays à augmenter eux aussi leurs taux au risque de freiner la croissance. C’est le cas de l’Inde et de l’Indonésie, par exemple.

La Turquie, l’Afrique du Sud, la Thaïlande, l’Argentine, les Philippines et à un degré moindre la Malaisie sont donc dans une situation qui n’est pas sans rappeler les crises des années 1990 ou bien encore le coup de grisou de 2013. La politique monétaire de la Fed a des conséquences politiques directes aux Etats-Unis mais elle est aussi l’un des facteurs principaux pouvant conduire à une crise financière mondiale d’envergure.