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Le véritable destin de Ould Abbès & Cie

par Kamel DAOUD

Ould Abbès. Frasques sans casques. On peut vivre son été, remplacer sa télé et son démo, se passer des Satellites ou de films, rien qu’en suivant son étonnant voyage de fakir dans une casemate imaginaire du FLN - ALN. Il y a à apprendre, à vivre et aimer ou détester dans son périple de vendeur de vents de l’Aurès. C’est un peu le tour d’Algérie, sans vélo mais avec lui qui pédale pour le vélo de son Président. On peut rire de ses affirmations, de sa façon de marcher sur la lune, ses fake news qui remontent à Messali et ses outrances qui auraient pu nous amuser si le ridicule n’était pas synonyme de choléra. On peut s’offusquer de sa Jaguar ou de son souci insolent de l’avenir de ses enfants, souvent à côté de son bureau quand il était ministre, de ses déclarations d’amour à Bouteflika, de son habilité à fixer les prix et les dates, il reste toujours un homme rusé qui fait son idiot.

Il se trouve que l’homme a été choisi pour être à la tête d’un parti puissant et rabatteur et, parce qu’on est raisonnable, rationnel, soucieux d’élégance ou de bonne mise, on se pose tous cette question : pourquoi ? pourquoi cet homme et pas un autre plus proche de Larbi Ben M’hidi ou de Mehri ou même d’un soutien du Régime un peu plus versé dans la retenue et l’éloquence ? Pourquoi avoir abaissé l’image de ce parti depuis les choix de Saïdani et de Ould Abbès jusqu’à la clownerie féroce ? Des Algériens protestent, s’en étonnent, s’offusquent et cherchent du regard l’assentiment du groupe national pour se partager équitablement la nausée. Et pourtant la réponse est simple : le FLN est un parti populiste, plébéien aujourd’hui et hier. Pour lui faire faire la guerre, il faut de grandes figures, mais pour éviter qu’on vous la fasse, il faut des gens comme Ould Abbès. Il en incarne l’image, le désœuvrement historique, le côté plébéien, l’amuseur archaïque et efficace, le côté gang et mamelouk. Un Larbi Ben M’hidi comme chef du FLN aujourd’hui va mener à une autre guerre de libération. Un Ould Abbès en obtient justement le contraire : le rire, la démobilisation, l’effet de foule pas l’effet de peuple, la démission des élites, la montée des plébéiens et des populistes, l’occupation de la scène, l’effet de fake news mais sans grand débit internent, une transformation de la revendication en fête foraine. C’est donc l’homme qu’il faut lorsqu’on ne veut pas que les autres fassent de la politique. Son outrance est médiatique, sa servilité se retrouve à déclasser les vassalités faiblardes et on se retrouve tous à pratiquer la bousculade ou le vomissement, pas le militantisme. Ould Abbès est l’homme qu’il faut pour faire remonter le peuple algérien vers avant le déclenchement de la guerre de libération, à l’époque des tribus, des désœuvrés, des ruralités de la pensée magique, de la haine des élites et des classes moyennes. On veut un peuple à son image et il est l’image qu’il faut faire circuler. Donc il ne faut pas s’indigner. Cet homme est l’homme qu’il faut. Il le comprend d’ailleurs lui-même, y souscrit mais y met un art de désossement et d’écrasement qui le rend indépassable. C’est avec Ould Abbès qu’on trouvera une énorme difficulté à le remplacer un jour à la tête du parti. Qui pourra aller aussi loin ? Où trouver quelqu’un capable de marcher sur son propre corps pour prouver qu’il est tombé en martyr de la guerre avant même son déclenchement ? C’est le cheikh Chemin du FLN ou, à l’inverse, Chemin est le Ould Abbès de la religion. Entre les deux le cœur prend la valise. Ils sont, en ces moments de doute et de choléra, nos selfies intimes.

Pensée finale pour les quelques ministres de l’outrance : celui de la Santé, de l’Enseignement supérieur ou celui de la Culture. Inflation, déclarations tragiques, signes de l’effondrement. L’un parlant de son mépris marchand pour le prix Nobel dont il déclare ne pas en vouloir pour ce pays, l’autre en plein délire névrotique sur le règne des animaux et les droits de l’homme du scorpion et le dernier expliquant les bienfaits de la censure. Variantes technocrates de Ould Abbès, là aussi. Pensée aussi pour ces sénateurs qui osent faire grève pour sauver l’un des leurs, emprisonné pour corruption mais qui ne bougent pas l’orteil pour le reste des souffrances de cette terre et ses eaux usées. Agissements de secte, de mauvais écoliers, de complices. Insolence, indécence et effondrement du sens et encanaillement.

Pensée. Ou peut-être justement est-ce là le tort : il ne faut pas penser. Cela fait si mal.