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Déficit de la CNR : l'Etat ne maîtrise plus la régulation du secteur public

par Reghis Rabah

Il se contente de constater uniquement. Ainsi le ministre du travail, de l'emploi et de la sécurité sociale vient emboiter le pas au directeur général de la Caisse Nationale de Retraite ( CNR) pour alerter qui veut l'entendre que cette dernière creuse son déficit pour atteindre 580 milliards de dinars en dépit de la mise en œuvre début de l'année de la loi qui relève le départ à la retraite obligatoirement à 60 ans et met fin aux départs à la retraite anticipée. Jusqu'ici il n'apprend rien à l'opinion publique de ce qui lui échappe. En effet, voilà plusieurs années que les pouvoirs publics lorgnent pour responsabiliser les salariés du manque de cotisation comme s'ils étaient responsables du marasme économique, du nombre important de chômeurs et surtout du taux considérable de défection du secteur public de leur cotisation patronale. Le nouveau dans ses propos, certainement basés sur des chiffres qu'on lui a communiqués «que ces déséquilibres financiers actuels sont dus aux départs massifs en retraite des travailleurs à l'âge de 60 ans » et de souligner « que le travailleur peut continuer à travailler jusqu'à l'âge de 65 ». Sur une population totale active de 12.426.000 salariés, le secteur public emploi 4.597.620 salariés. Nombreux d'entre eux, arrivés à l'âge de la retraite souhaitent prolonger la durée de travail de 5 ans. Les entreprises publiques et les différents organismes étatiques refusent dans la plus part des cas d'accéder à leur demande. Le motif est varié : parfois pour permettre de recruter des jeunes, d'autres fois un simple règlement de compte pour se débarrasser d'un travailleur gênant. Si les travailleurs de 60 ans d'âge sont la cause de ce déficit, la solution est simple. Que des instructions soient données à la fonction publique et les entreprises d'Etat pour créer des artifices afin d'inciter les salariés à rester jusqu'à l'âge de 65 ans et le problème est réglé. Il faut par ailleurs signaler que plus de la moitié de la population active Algérienne est formée de fonctionnaires et de salariés dans un emploi précaire au secteur privé. Leurs conventions ne leur permettent pas du tout ou assez une prime de départ qui leur assure une vie professionnelle après la retraite et la considère comme une mort sociale. Leur souhait donc est de pousser au maximum l'âge de la retraite. La société algérienne réputée jeune n'a pas encore pensé à formuler ses attentes envers les retraités. Enfin, peut-on imaginer que les pressions sociales à l'égard des retraités puissent et ce paradoxalement, provoquer un sentiment d'incapacité, d'inutilité et d'exclusion. La vraie cause du déficit de la CNR que l'opinion publique a le droit de savoir est l'incapacité et l'impuissance des pouvoirs publics, tous les niveaux compris de maitriser le contrôle des entreprises publiques et certaines privées qui encouragent les départs à 60 ans en dopant les salaires par des promotions déguisées pour imposer à la caisse une pension d'un montant qui s'écarte au plus haut de la moyenne. Pourquoi la vague des patriotes admis en retraite figure t- elle sur les registre de la CNR ? Ces patriotes ont bien travaillé avec l'armée, non ? Le fond spécial de retraite(FSR) continue quant à lui à être alimenté en octroyant des privilèges sans limites aux retraités de l'Etat qui restent actifs au-delà d'une moyenne de 70 ans. Alors ! Solidarité concitoyenne oblige. Il ne suffit plus de pleurnicher tout le temps mais agir pour arrêter ce fléau. Un responsable n'est pas là pour poser le problème mais trouver des solutions.

Le désengagement de l'Etat est l'une des causes historique de ce désastre

Il a fallu de nombreuses années après l'indépendance pour qu'enfin l'Algérie ait son propre code de travail. En effet, la loi du 5 août 1978, portant Statut Général des Travailleurs (SGT) remplace l'ordonnance du 02 juin 1966, elle-même issue de celle coloniale du 4 février 1959. Cette loi introduisait un système unique qui couvre toutes les activités de l'Etat et ses prolongements. Elle n'établit aucune différence de fond entre le secteur économique et administratif. Ceci paraissait aux yeux de ses initiateurs cohérents, étant donné les objectifs politiques assignés aux uns et aux autres. Pour l'approche technocratique, à partir du moment où il s'agit maintenant de rendre les activités plus compétitives, le SGT est apparu comme « un seul costume pour toutes les tailles » et donc les salaires devront être non seulement libérés mais aussi liés à la productivité et la performance de chacun. L'idée paraissait séduisante au départ mais dans les faits on a libéré les salaires en gardant le même mécanisme de régulation. En effet, le SGT a été remplacé par la loi 90-11 portant relation de travail amendée à deux reprises uniquement pour « tripoter » les verrous des licenciements et de la compression des effectifs. La régulation du travail continue jusqu'à ce jour d'être évaluée suivant un décret d'application du statut général des travailleurs. Il s'agit du décret 80-48 du 23 février 1980 et qui institue la régulation économique des salaires et de la stimulation matérielle collective et individuelle du travail. Ce qu'on appelle dans les institutions publiques administratives et économiques PRI/PRC. Dans de nombreuses entreprises, cette évaluation est faite parfois tous les cinq ans. C'est-à-dire la même note apparaît sur la fiche de paie du travailleur pendant plusieurs années. En d'autres termes, cette stimulation ne récompense pas l'effort fourni par le travailleur ou l'équipe mais devient une partie intégrante du salaire parfois même revendiquée en tant que droit. Résultat : une enquête de l'ONS a révélé une grande disparité dans les salaires sans aucun lien avec les performances mais en fonction de l'activité de l'entreprise elle-même. Sonatrach par exemple qui commercialise les hydrocarbures payent beaucoup mieux que les filiales du groupe qui sont elles aussi du secteur d'activité. Ainsi, l'organe note que le niveau des salaires nets mensuels de mai 2018 se situe à environ 32500 DA (236,54 euros). Il est de 41.200 DA dans le public et de 23.900 DA dans le privé national. Cette dernière confirme, si besoin est, que les activités pétrolières (production et services d'hydrocarbures) et financières (banques et assurances), restent les secteurs qui payent le mieux avec respectivement des niveaux de salaires relativement élevés avec 74.800 DA et 44.900 DA, soit 2,6 et 1,5 fois plus que le salaire net moyen global. Contrairement, les secteurs de la construction, de l'immobilier et services aux entreprises sont les parents pauvres avec des salaires inférieurs à la moyenne, c'est à dire respectivement 22.500 DA et 24.400 DA, soit 77% et 83% du salaire net moyen global. Ces salaires correspondent au montant effectivement perçu par le salarié et prend en compte le salaire de base, les primes et indemnités ainsi que les différentes retenues (impôts sur le revenu global -IRG-, sécurité sociale et retraite). En Algérie, le salaire de base représente 62% de la rémunération brute totale et les primes et indemnités 38%. Ces écarts de salaire trouvent leurs explications dans le cachet des entreprises activant dans ces secteurs. D'un côté, les entreprises qui emploient un grand nombre de salariés très qualifiés (hydrocarbures et banques) avec un système de rémunération spécifique. D'autre part, il y a les secteurs qui affichent une faiblesse relative des salaires dus essentiellement à la prédominance du personnel d'exécution important et peu qualifié. Ainsi, un cadre perçoit un salaire net moyen de 55.200 DA contre 34.000 DA pour le personnel de maîtrise et 21.600 DA pour un salarié d'exécution. Ces différences sont plus marquées dans certains secteurs d'activité (industries extractives et la santé) où le salaire des cadres dépasse respectivement 94.400 DA et 56.800 DA. Par contre, dans les secteurs (production, distribution électricité, gaz et eau) et (services collectifs sociaux personnels), les cadres ne perçoivent respectivement que 41.400 DA et 41.700 DA. Ceci, il faut le préciser, ne concerne que les salaires moyens rentrant dans les grilles visibles et conventionnées. La rémunération des cadres dirigeants, c'est une autre paire de manche. Les tentatives de lier les salaires aux performances individuelles ont presque toutes échouées ou restées à l'état embryonnaire pour la simple raison qu'il reste difficile de déterminer qui est rentable et qui ne l'est pas .On roule les pousses, parfois on tricote, on lit le journal et surtout on est derrière son micro pour suivre un jeu pour qu'enfin on revient aux injustices dues à la disparité salariale d'avant le SGT.

Le népotisme ronge le secteur public

Libérer le poste pour recruter les jeunes chômeurs mais lesquels ? Il n'existe pas une opération de recrutement régulière sans l'artifice du copinage et même carrément du népotisme. Les concours de recrutement n'est qu'un prétexte pour valider une situation de fait car tout est tissé à l'avance. C'est une réalité connu de tous les citoyens. Fin mars dernier par exemple , le personnel d'Air Algérie a vécu une agitation particulière lorsqu'il a appris par ouï-dire que leur société a lancé une opération de sélection de recrutement d'une soixantaine de Personnels navigants commerciaux (PNC).Cette mesure prise en catimini mais aussi par la cooptation et la bouche à oreille ont été à l'origine de la création d'un vrai climat de suspicion . Pourquoi ? De nombreux cadres de l'entreprise se trouvent d'une manière directe ou indirecte impliqués dans ce processus gravissime qui attise les perturbations du climat social, surtout et ces derniers temps dans les secteurs de l'éducation nationale et celui de la santé. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, le 7 décembre de l'année passée, le ministre des Transports et des travaux publics, Abdelghani Zaalane, a affirmé en marge de la visite d'inspection des projets et réalisations de son secteur dans la wilaya d'Alger, que la compagnie aérienne Air Algérie «n'est pas en situation de faillite », affirmant qu'elle connaît seulement des difficultés financières et qu'elle tente actuellement de surmonter, pourtant cela n'a pas empêché l'Etat de lui réserver 2 milliards de dollars pour son sauvetage et elle vient de commander 20 appareils avec l'argent du contribuable. Il faut reconnaître par ailleurs que ce mode de recrutement par favoritisme et copinage n'est pas spécifique à Air Algérie, toutes les compagnies publiques notamment les plus grandes entre elles le pratiquent. Ce qui différencie cette compagnie aérienne, c'est sa capacité de disposer de nombreux postes à l'étranger dans ses agences à l'international qui restent une convoitise de la classe dirigeante pour placer leurs proches au nom du principe de «l'exception dans une situation d'exception». En d'autres termes, l'économie n'offre pas assez de postes de travail, alors l'artifice de «tag ala man tag» reste en vigueur. L'amélioration du système de gestion demeure l'otage de ces luttes d'intérêt opposant les différents centres de décisions qui composent notre système politique. Chaque haut responsable veut mettre à l'abri ses enfants, ses proches et ses amis en instrumentalisant les institutions publiques. Les entreprises publiques les plus florissantes de notre pays ont été détruites de l'intérieur avec cette pratique qui privilégie l'incompétence, l'irrégularité au profit de l'intérêt clanique d'un cercle du pouvoir.

*Consultant, Economiste Pétrolier