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Ecole, rentrée sociale et désordre

par Ghania Oukazi

Demain, mercredi, ce sont 9 269 892 élèves relevant des cycles préparatoire, moyen et secondaire, qui rejoindront les 27 351 établissements éducatifs du territoire national, pour l'année scolaire 2018-2019.

Il y a quelques jours, la ministre de l'Education nationale a tout dit sur la rentrée scolaire 2018-2019, au détail près. Elle a même reconnu le problème de la surcharge des classes à cause des opérations de relogement des familles et l'augmentation des naissances. Il est vrai qu'un site comme la nouvelle ville de Sidi Abdallah, situé à l'ouest d'Alger, pourrait en être le témoin. Plus de 40 élèves dans une classe, selon une enseignante, en attendant, dit-elle, l'ouverture d'autres écoles «plus haut.» Le site est immense. Mais la surcharge des classes n'est pas son seul problème. L'enseignante se rappelle que l'année dernière, l'école, construite à la va-vite, nageait dans les eaux à chaque fois que les pluies tombaient. «Ouvertes ou fermées, les fenêtres font rentrer l'eau des pluies, on ne sait si on doit balayer ou faire notre cours,» nous dit-elle.

Il n'y a pas que l'école de Sidi Abdallah qui « fuit ». Et il n'y a pas que Bouarfa qui renvoie ses eaux usées dans les sources d'eau. La trémie de Moretti régurgite elle aussi de l'eau sale à l'odeur nauséabonde. La trémie permet de passer de Moretti à Sidi Fredj. Elle a été construite au dessous des trois tours «haut standing» qui peinent à voir leurs travaux achevés. Elle se trouve surtout à quelques pas de Club des Pins où logent tous les hauts responsables de l'Etat. Depuis qu'elle a été réalisée (il y a quelques années), la trémie a toujours rejeté des eaux usées. L'hiver, elle est carrément inondée par les eaux des pluies et donc fermée à la circulation. C'est ce que font les autorités locales mais n'ont jamais pensé à rappeler ses constructeurs pour savoir ce qui n'allait pas.

En cette rentrée sociale, les habitants de la cité des 940 logements, AADL 3 de Ouled Fayet, craignent pour leur vie à chaque fois qu'ils empruntent le pont qui relie leur cité à ce qui est appelé la route de la décharge. « Le pont est crevassé, si on ne fait pas attention, on peut facilement casser nos voitures,» nous racontent des habitants. «Nous avons remarqué que le pont s'est affaissé d'au moins un mètre, on le voit à l'œil nu, on n'est pas des experts, mais il ne coûte rien aux autorités de le faire contrôler par les services techniques, » estiment-ils. Le pont, faut-il le noter, est au dessus de l'autoroute qui relie l'aéroport àTipaza.

Quand la gouvernance pâtit

Autres coups fourrés des constructions, le site d'El Achour où des habitants refusent de payer les charges parce que, disent-ils, «on ne bénéficie d'aucune commodité, notre ascenseur a été défoncé, on lui a enlevé le système de « roulettes » pour le placer dans l'ascenseur d'un autre immeuble, les responsables ne se soucient pas des désagréments des usagers, ils font ce qu'ils veulent.» L'autoroute Est-Ouest renoue elle aussi avec les déviations, même si elles n'ont jamais été réglées définitivement. Sur le tronçon reliant Alger à Chlef, on compte au moins une dizaine de chantiers de réfection de la route. La maintenance de l'autoroute Est-Ouest devient un lourd fardeau financier pour l'Etat. Mais il est certain qu'il ne peut mettre en place le système de péage qui, comme dans les pays modernes, permet de renflouer des caisses dont les ressources sont reversées pour l'entretien de l'ouvrage. Et pour cause! Répertoriée comme étant la réalisation qui a connu le plus de tromperies en qualité des travaux et le plus de malversations financières en terme de coûts, l'autoroute Est-Ouest laisse croire que le gouvernement sait bien faire le comptage des infrastructures de base réalisées durant les quatre mandats présidentiels de Bouteflika, mais n'a jamais imposé la règle de la maintenance. Nul ne peut nier que toutes les wilayas du pays ont bénéficié d'infrastructures socio-économiques et culturelles. Mais les responsables ne se soucient guerre de la manière dont elles sont gérées. Le gouvernement continue de parler de campagnes de nettoiement des quartiers alors qu'il sait que depuis longtemps, les rats courent en plein rue Larbi Ben M'Hidi et autres grands boulevards de la capitale.

Les ministres qui font des virées à travers le pays ont certainement remarqué que les arbres sont fraîchement peints et les routes bitumées la veille de leur arrivée. Les autorités locales s'amusent même à enlever les ralentisseurs (dos d'ânes) pour faciliter le passage des cortèges officiels. Ralentisseurs dont la mise en place coûte excessivement cher à la commune. Aucun ministre n'a eu à redire sur cette ferveur à « faire bien » des autorités qui le reçoivent alors que pendant toute l'année, les ordures jonchent les trottoirs et les cités et bouchent les avaloirs..

D'ailleurs, à Club des Pins, les allées ne sont pas aussi propres qu'on le pense. Pourtant, des agents de sécurité à l'insolence criante ont été placés au niveau de toutes les rentrées et sorties du site pour ne laisser passer que la «nomenklatura» et ses enfants.

La rentrée sociale se fait ainsi, dans un désordre lamentable. L'aéroport international d'Alger déborde de monde. Les émigrés qui veulent retourner chez eux peinent à embarquer. Le phénomène se répète tous les ans. Air Algérie n'a jamais su le prendre en charge. Le ministre des Transports a simplement dit qu'il faille attendre le 4 ou 5 septembre « et tous les passagers partiront.»

Le CNES mis sous silence

Le nombre d'Algériens continue d'augmenter sans que des stratégies socio-économiques et culturelles ne soient élaborées pour que « la cité » puisse évoluer dans des conditions de vie acceptables. Il faut croire que les gens qui réfléchissent ou anticipent se font rares. Le CNES (Conseil national économique et social), à défaut de devenir une véritable cellule de veille, est mis en veilleuse. Déjà qu'avec le départ du regretté Mohamed-Salah Mentouri, le CNES avait perdu de sa verve et de sa pertinence. Depuis le décès de son dernier président, Mohamed-Seghir Babes, il a été rendu au silence. Plus de rapport de conjoncture, plus de saisine sur des thématiques importantes, plus de recommandations pour des gouvernements incapables d'agencer des politiques publiques, encore moins de les exécuter convenablement. Le CNES n'a plus de président alors qu'il a été constitutionnalisé en 2016. Aujourd'hui, il est réduit à un cabinet et quelques CES. Ses nombreux experts l'ont déserté alors que l'Algérie a besoin de revoir la gestion de ses affaires. Décriées par tout le monde, les subventions accordées aux produits de large consommation continuent de greffer les budgets et transferts sociaux. Le 1er ministre Ahmed Ouyahia a pourtant affirmé publiquement que c'était «hram (péché) » pour lui d'acheter des produits qui sont subventionnés pour aider les ménages défavorisés. L'absence d'expertise de l'action du gouvernement sème le désordre et l'incompétence. La gouvernance dans son sens large, en pâtit sérieusement.

La ministre de l'Education lance la rentrée scolaire de cette année sous le slogan « faire du vivre ensemble en paix un acquis et un principe éducatif et citoyen. » L'on a su tous, il y a quelques jours, avec les tripes noués, qu'une petite fille de 9 ans a été violée dans une des cités dortoirs à Oran par l'un de ses voisins. Pire, il l'a étranglée et l'a mise dans un sac dans le coffre de la voiture de son copain pour qu'il s'en débarrasse. Les autorités judiciaires ont rassuré qu'il a été arrêté et jeté en prison puisqu'il a reconnu ses faits macabres. Magistrat de formation, le ministre de la Justice, Tayeb Louh, sait que si les faits sont établis et que le présumé ne l'est plus mais qu'il est le criminel, un procès n'a plus de raison d'être? long. La société a toujours appelé à l'application du châtiment le plus dur aux auteurs des crimes contre les enfants. Si la corruption défie toujours les lois de la République à tous les niveaux jusqu'à plier l'échine des institutions judiciaires, les enfants eux, ne peuvent rien contre leurs bourreaux. Seule une justice brave et courageuse peut dissuader les esprits les plus fous. Le principe du «vivre ensemble en paix» que Cheikh Khaled Bentounès de la confrérie soufie El Alaouia a amenée jusqu'aux Nations-Unies n'a pour l'heure, aucun impact sur une société où la vie est arrachée pour de vulgaires privations ou même pour? 200 minables dinars.