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Pourquoi cette levée de boucliers contre les actions, pourtant positives, du ministère de la Culture ? (Suite et fin)

par Chaïb Aïssa-Khaled*

Appelée à dispenser un savoir créatif de savoir-être et de savoir-faire, l'éducation culturelle universelle est assimilée à une formation. Appelée à rendre parfait tout ce qui est entrepris, ce qui est d'ailleurs un objectif autant louable que difficile à atteindre, elle est assimilée à un perfectionnement. Devant s'astreindre à n'agir que dans le sens d'une amélioration de la vie communautaire, elle est assimilée à un recyclage continu.

A ce propos, elle doit offrir à l'idée les moyens de se défendre et à l'Homme les moyens d'évoluer, sans inquiétude et sans trouble, au rythme de l'international.

Consacrée comme étant la nécessité de notre époque, elle est bien plus que cela pour les sociétés qui aspirent à embrayer efficacement sur le troisième millénaire et à l'affronter avec une adaptation et une accommodation de tous les instants.

Impératif pédagogique, elle apprend d'une part aux hommes à s'organiser autour d'un idéal non seulement communautariste mais aussi, commun et à conjuguer leurs efforts, pour perfectionner leur puissance civilisationnelle en vue d'embrayer judicieusement sur le futur avec optimisme et enthousiasme. Elle apprend, d'autre part, à l'individu à évoluer sans se mettre en conflit avec lui-même mais dans la connaissance de lui-même pour mieux gérer ses rapports avec autrui en matière de savoir-être et de savoir-faire de façon à ce que s'épanouissent ses initiatives, ses modes d'expression et de manière à ce qu'il ne subisse le joug de l'attitude passive ou indifférente face à la multiplicité et à la diversité des imprévus. Dans cette perspective, elle juxtaposera à la transmission du savoir, une dynamique qui l'incitera à se situer dans son temps et à énergiser son mécanisme d'auto-formation au moyen duquel il saura conquérir un comportement neuf et s'y insérer. Son objectif est donc de développer en lui la perfection dont il a besoin et dont il est susceptible en l'appelant à consentir des efforts qui l'aideront à accéder à son statut d'homme intégral*.

*L'homme intégral est cet homme dépositaire de ce savoir-être que distille le capital cognitif comptabilisé. Il est cet homme en qui se conjuguent celui qui conçoit et celui qui applique, celui qui établit des correspondances entre ses expériences afin qu'elles aient de l'épaisseur, celui qui adopte une position souple et fonctionnelle dans la gestion de ses préoccupations, (ambitions, aspirations, besoins et contraintes).

Il est cet homme apte à définir et à gérer une politique éducative et culturelle appelée à s'ériger en rampe de lancement du développement durable, cette émanation du développement national autonome. Il est cet homme nanti de compétences générales et de qualifications spécialisées, de volonté et de sagesse. Il est cet homme qui saura établir entre lui et les choses de la vie une liaison aussi intime que possible.

Etant une Education totale et permanente par excellence, l'éducation culturelle universelle est la force motrice des conduites authentiquement humaines. Elle consolide chez l'homme son pouvoir d'identifier, de connaître et de composer avec les choses de la vie, en s'élevant de la servitude vers la liberté, de l'injustice vers l'équité, de la faiblesse vers la puissance. N'acquérant pas cette vertu, il demeure un mammifère tantôt effrayé par sa destination, tantôt humilié par sa condition.

Comment l'éducation culturelle peut-elle aider l'homme à asservir les choses de la vie ?

La nature a voulu que chacune des choses de la vie ait son origine et ses conséquences sur la vie de l'homme et que l'homme, afin qu'elles ne se confondent en un vulgaire artifice, doive être investi de la capacité, (capital culturel et réflexe comportemental), de vigoriser le sentiment noble, d'armer l'esprit de savoir-faire et de savoir-être, de légitimer la sévérité de la vérité, de conforter les limites de la liberté, de promouvoir l'impartialité de la justice, d'affûter la rigueur de la justesse et de développer la soumission de la sensibilité au rigorisme de la raison. Appréhendant le rapport tacite qui existe entre elles et lui, il saura alors définir la manière de composer avec elles un réel corps civilisateur. Moralité, une complicité entre l'homme et les choses de la vie, devant prévenir judicieusement sa conscience de cette seconde nature qui amalgame la haine, le mépris et l'indifférence et qui menace de l'envahir, ne peut se réaliser qu'à travers un prisme culturel établi dans un complexe culturel idéo-spatio-temporel qui:

-l'incitera à ne plus vaciller entre ses déterminations propres inspirées par ses préoccupations, (ses aspirations, ses ambitions, ses contraintes et ses besoins) et le déterminisme qu'exigent de lui des pressions extérieures, mais à s'amarrer aux idées justes, celles qui lui serviront dans sa lutte contre l'immobilisme et l'obstruction de la pensée, contre l'ineptie et l'inertie du jugement et contre la platitude et les égarements du raisonnement ;

-lui apprendra à ne plus remplacer un «a priori» par un autre ;

-l'aidera à colmater les fissures de l'esprit et les vides de l'âme.

Savoir cependant se servir des choses de la vie ne peut être que l'aboutissement d'une dynamique culturelle conçue à la manière d'une stratégie-tactique qui œuvrera à :

-évacuer les passions égoïstes et les plaisirs éphémères générateurs incontestés de la rétrogradation de l'esprit et promoteurs de la dépravation de l'âme et de la perversion de la conscience ;

-pérenniser le rôle de la raison pour la protéger contre les périls que distillent les esprits réduits, sans statut et sans suite dans les idées ;

-initier l'individu à lester le temps pour qu'il ne soit pas une succession d'intervalles vides.

Cette dynamique culturelle, appelée à forger l'unité humaine compacte et réfractaire aux motifs de la division, cette cause de l'arriération qui a entraîné les peuples à mordre dans leurs chairs pour enfin s'épuiser en subtilités superflues, ne peut être la résultante d'efforts isolés et imprécis, mais accomplis en commun et de façon ordonnée et coordonnée. Traversés dès lors par des illuminations spirituelles, ces peuples irradieront la complétude. Ils sauront à la vie une saveur nouvelle. Ils existeront de droit. L'humanité aura tout à gagner et la puissance et la bonté.

Objectifs de l'action culturelle engagée par le ministère de la Culture

Longtemps donnée en pâture aux injures du temps, (d'où des dérapages sociétaux lourds de conséquences, la décennie rouge, la pollution de l'environnement avec l'apparition d'épidémies moyenâgeuses tel que le choléra, Ebola n'est pas loin si l'inculture persiste), l'action culturelle, en Algérie, est aujourd'hui l'outil dont doit disposer la société algérienne pour entretenir une conscience collective. Erigée en une éducation culturelle authentique, elle ne peut être que l'éducation des dispositions de l'esprit à entretenir cette conscience. A cet effet, elle structurera en lui des schèmes intellectuels nécessaires à son épanouissement intérieur. Education de la fonction sociale de l'homme, elle attise en lui ce «loyalisme» qu'on appelle le sentiment du devoir dont la rigueur dépend de la vigueur avec laquelle il aura été suggéré par l'école. Education de son autorité morale par nature, elle lui apprend à étayer sa volonté et à sentir en lui cette force qui l'anime et sans laquelle il ne saura l'idée de sa mission sociale parce qu'il ne saura matérialiser cet essentiel qu'elle suppose.

Définis, actualisés et animés par une éducation culturelle universelle bien pensée et bien réfléchie, les lois et les règlements qui gèrent l'accomplissement et l'épanouissement de la conscience collective, animent la formation des citoyens algériens conscients, volontaires et solidaires pour un mieux-être collectif, des citoyens algériens obéissants mais libres.

A cet effet, se voulant respectueuse des legs culturels établis, l'action culturelle engagée se chargera de développer en tout un chacun de saines traditions de penser et d'agir, de forger en tout un chacun une personnalité faite de dignité, de liberté et de raison, d'affiner en tout un chacun l'engagement pour la pratique de l'exactitude, de la rectitude et de la franchise et de structurer en tout un chacun ce qu'il y a de meilleur et ce qu'il y a en tout un chacun de proprement humain. Apprenant dès lors à s'autogérer, à faire par raison ce qu'il pourrait accomplir par désinvolture ou par contrainte et à s'inventer des méthodes pour canaliser ses carences, tout un chacun se sentira devenir la force motrice de sa liberté et de sa responsabilité dès lors indifférente aux fantaisies. Il saura se faire une idée claire et sans bavure de son objectif, (défendre à chaque instant la netteté de ses idées et la fermeté de ses principes pour réaliser son état d'équilibre), et des moyens à mettre en œuvre pour l'atteindre.

Réaliser son état d'équilibre, cela suppose que l'action culturelle, érigée en une éducation culturelle, soit un processus qui permet à la sensibilité de se conjuguer dans la raison. Appelant à la sensibilité, elle stimulera l'engagement, elle éclairera la raison, hiérarchisera les passions et régulera les émotions. Pour cela, elle sollicitera l'intelligence spéculative, cette forme d'intelligence prospective et exploratrice, qui permet de cerner les vérités relatives pour approcher, (et sans plus), progressivement la vérité absolue. Le capital culturel dont disposera tout un chacun, s'érigeant en un authentique coefficient de confort, permettra à cette intelligence de démêler le vrai du faux, le légal de l'illicite, l'essentiel du secondaire.

En cette fin de siècle l'humanité est projetée dans un monde en pleine turbulence où la sensibilité ne se conjugue plus dans la raison, où les idéologies s'affrontent, où les dialogues s'agitent et où la propagande fait tout pour l'asservir. Les Algériennes et les Algériens comme tous hommes qui refusent de s'encoconner dans l'indigence culturelle et qui aspirent à émerger pour ne plus subir les méfaits des instincts réducteurs que celle-ci distille, doivent :

-s'élever au-dessus des croyances traditionnelles périmées, des préjugés tenaces et des jugements hâtifs qui ont tendance à s'entrechoquer pour féconder l'ignorance, l'anarchie et la «déshumanisation» ;

-se rendre capables de collaboration efficace lorsqu'ils sont sollicités, pour que prévale la décision réfléchie sur l'apriorisme ;

-communier avec les obligations d'ordre légal et moral qu'exige le contrat social ;

-se soustraire à toute forme de dogmatisme pernicieux ;

-s'astreindre à faire de leur autonomie l'étalon de leur liberté ;

-s'intégrer dans la société humaine en s'évertuant à mettre à sa disposition tout ce qu'ils véhiculent comme coefficient de savoir-être et de savoir-faire ;

-rechercher en droit et en raison l'art et la manière d'embrayer sur la culture universelle et d'introniser l'humanisme authentique.

Le plan culturel en marche délivrera à cet effet des messages qui se garderont de livrer l'individu aux agressions du dressage pavlovien. L'important est qu'ils satisfassent au développement de son autonomie. L'intérêt est qu'ils animent ses initiatives. En tout état de cause ils s'organiseront de manière à lui permettre de se révéler à lui-même pour réussir sa participation au jeu de l'entreprise humaine. Dès lors, il ne verra plus en sa promotion culturelle une utopie. Il œuvrera à son accomplissement parce qu'il saura qu'elle est l'ultime moyen qui l'aidera à ne plus céder au vertige que génèrent les conflits instinctuels.

Ainsi établie, l'éducation culturelle promouvant les composantes de son individualité, (sa dignité, sa liberté et sa raison), l'Algérienne et l'Algérien sauront s'agencer dans le concept de la bonté originelle, s'axer sur leurs intimes convictions et apprécier leur authenticité humaine. Pour que cet objectif se concrétise, elle élargira son ambition à la réalisation de l'homme intégral.

Dans cette perspective, elle fécondera le sentiment par la raison pour former les citoyens et non les sujets accablés, des hommes en mesure de disperser leurs divergences et de tisser une vie sociale sur la base d'une justice et d'une équité bien pensées et non ressenties comme une aspiration confuse. Elle leur apprendra à évacuer les incertitudes et les équivoques et à galvaniser la certitude et la clarté.

Les objectifs de cette éducation culturelle ne pourront cependant être convenablement cernés si elle ne sera pas convenablement organisée, c'est-à-dire si elle n'associera pas aux perspectives d'un embrayage efficace sur le troisième millénaire, la conception de l'homme capable d'évoluer au rythme de l'international. Elle ne se limitera donc pas à une éducation d'accompagnement informelle. Elle s'élargira par une éducation de création dont le souci est de permettre à celui qui la recevra de réunir et de disposer de toutes les conditions pour adopter une attitude prospective. Il en fera une réelle et puissante source d'actualisation de ses acquis qui s'emploieront alors à lui assurer son intégration sociale non point en tant qu'individu inventé de toutes pièces, mais en tant qu'être humain soutenu par son propre besoin de connaître et son propre élan de créer.

Ne se contentant pas de créer l'homme intégral, elle l'aidera à créer. Deux questions se posent alors à ce propos:

-comment peut-on inciter les Algériennes et les Algériens à créer et susciter leur intérêt à ce sujet si une opposition aux résistances, qu'elles soient d'ordre idéologique, sociologique ou corporatif n'est pas considérée?

-comment peut-on prétendre développer une relation efficace entre l'esprit et son pouvoir de créer, si les systèmes éducatif et culturel ne s'évertuent pas à développer en eux le besoin d'acquérir un comportement neuf, un comportement qui se refusera de subir les injures de la médiocratisation.

Répondre à ces questions, c'est légitimer une éducation culturelle qui ne se contentera pas de promouvoir son contenu sans pour autant permettre à celui qui la reçoit, d'en préciser la nature, d'en déterminer les objectifs et d'en évaluer la faisabilité. Militer pour cette légitimation, c'est admettre que:

-les programmes culturels soient en perpétuelle évolution et qu'on ne peut par conséquent, former l'homme en une seule foi, qu'ils finissent par s'éroder et se désagréger si ils ne sont pas systématiquement actualisés et exploités à bon escient ;

-seule une éducation culturelle soutenue, poursuivie et élargie au-delà des frontières géographiques, ethniques et idéologiques, apprend à l'esprit à se situer dans son temps et à en être le porte-parole et son témoin de demain.

L'éducation culturelle, se confondant alors dans une didactique ayant le privilège d'apprendre aux Algériennes et aux Algériens à scruter la réalité présente et future avec lucidité, à refuser le manque de confiance en eux-mêmes, à ne pas prendre le risque de tenter de concilier des conceptions opposées, elle répondra à leur besoin de bien connaître pour connaître plus en s'appuyant sur ce qu'ils savent déjà. Ce besoin s'articulera bien entendu, autour de leur besoin de créer et de participer à la promotion d'une vie sociale et civique ouverte sur la modernité, le progrès et la démocratie libératrice. Ils n'agiront plus, dès lors, en usant d'arguments fallacieux, figés ou isolés. Ils useront d'une dynamique culturelle se voulant évolutionniste et que doit animer le monde des idées progressistes.

Notons au passage qu'aucune hiérarchie ne peut être précisée a priori parmi ces besoins, (besoin de connaître et besoin de créer), puisque leurs objectifs se mêlent et suscitent la nécessite de sauver l'Algérie de la dépression et de la stagnation. Une action culturelle intelligente devant être l'instrument aidant à l'amélioration du savoir-être et à la performance du savoir-faire, est à cet effet une nécessité impérieuse.

Au plan pédagogique, les objectifs de l'éducation culturelle mise en œuvre ne peuvent être correctement atteints que si leur spécificité, s'agissant de leur amarrage à la dynamique économique et sociale mondiale en mouvement, n'est pas altérée. Cette altération, si elle venait à se produire, elle matérialisera incontestablement les effets dévastateurs d'un état d'équilibre, raté. Incapables, dès lors, d'accompagner un ordre social établi les Algériennes et les Algériens s'encoconneront dans leur impuissance à composer avec les choses de la vie et s'engloutiront dans cette compilation de difficultés et d'intérêts qui les inspirent à prendre le large vers d'autres contrées. Se complaisant dans leur inculture, ils deviendront vulnérables à tout ce qui tentera de les naniser pour les asservir. Se mettant désormais « à la remorque de l'autre», ils feront du statut de dominé une affectation définitive.

*Directeur de l'Education, professeur-chercheur INRE