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Pourquoi cette levée de boucliers contre les actions, pourtant positives, du ministère de la Culture ? (1ère partie)

par Chaïb Aïssa-Khaled*

Après celle contre les actions du ministère de l'Education nationale, voilà que ceux dont le projet est que l'Algérie n'ait jamais de projet reprennent leur bâton de pèlerin et le brandissent comme a fait Damoclès de son épée, contre les actions pourtant positives du ministère de la Culture qui œuvre pour l'amarrage, d'ailleurs longtemps laissé pour compte, de la société algérienne à l'ordre culturel qui est en train de faire le sort des nations.

A propos de cet ordre culturel universel. Le ministère de la Culture, étant un ministère de la République algérienne dont la religion est l'Islam, l'ordre culturel auquel il s'amarre est fondamentalement respectueux des commandements dictés par le Saint Coran et des Hadiths du Prophète Mohamed QLSDDSSL, ces principes sur lesquels s'est établie la «Sira Ennabaouia» et devrait s'établir «Sirat Echou'oub El Islamia», la conduite des peuples musulmans. Il est cependant tout à fait clair que la promotion de la culture engagée par ce ministère n'a jamais été celle du divertissement païen comme le croient certains de nos concitoyens. Aussi, elle n'a jamais été celle d'un un «morceau de culture», celle de la chanson, (tel qu'il est communément admis), mais celle d'une culture envisagée dans tous ses modules, (les arts lyriques, dramatiques, cinématographiques, plastiques, archéologiques, chorégraphiques, littéraires).

Cela dit et se croyant incarner l'intelligentsia algérienne et inspirés par leur dirigisme obtus, xénophobe et prohibant universalisme, progrès, modernité, goût pour l'esthétique, liberté, pragmatisme et démocratie, le souci des promoteurs de «l'échec recommencé» est que la société algérienne, musulmane par essence, (chose qu'ils ne veulent pas admettre), sombre dans le déni intolérable qu'ils élèvent au rang d'hygiène de vie et qu'ils cautionnent du reste. Se complaisant dans cette nostalgie que distille encore dans leur tréfonds, dans leur secret, les années 1992 et s'érigeant en complices zélés des auteurs de cette période et avant de vouloir interdire les galas culturels programmés par le ministère de la Culture pour donner un goût «sucré» aux soirées chaudes de l'été et tenter de laminer la monotonie, ils se sont attaqués à la statue de Aïn Fouara, cette chose inanimée qui, pourtant, a une âme qui s'attache à l'âme des Sétifiens. (Cette attaque n'est pas seulement le produit d'une mégalomanie perverse, mais surtout la manifestation d'une frustration inassouvie).

Ce pan de la société algérienne qui ne cesse de confondre le bien avec sa volonté n'est qu'un agrégat d'individus, (fussent-ils des députés de partis politiques), qui, mal armés intellectuellement, manquent de savoir-faire* et de savoir-être*. Ils subissent les flagellations de la «narcose» qui les envoûte et celles des forfaits majeurs générés par la pauvreté de leurs esprits et l'impuissance de leurs personnalités qui les taraudent. Ils n'arrivent pas à émerger et se résignent à avoir des contacts avec le progrès que par des liens de consommation immédiate et sans plus. Ils se résolvent, alors, «à avoir l'air d'avoir l'air alors qu'ils n'ont pas l'air du tout» -Jacques Brel. En conséquence, inspirés par leurs seuls instincts de base, le fantasme, ils se complaisent dans leur condition de mammifères agressifs et s'engloutissent dans leurs confusions.

*Le savoir-faire consiste à savoir observer, interpréter les donnes, procéder à des déductions, formuler des prévisions, émettre des hypothèses, classer, communiquer, planifier, combiner.

*Le savoir-être est un mode de penser et d'interpréter de mieux en mieux élaboré.

Mal armés culturellement, ils sont convaincus qu'ils sont parfaits, irréprochables, puissants, au-dessus de tout soupçon, sereins. Adoptant une attitude de défense contre un monde qu'ils considèrent hostile, leurs idées et leurs actions sont teintés non seulement de volonté égoïste et de fierté mal placée, mais aussi de peur intense. Ils cachent toujours leurs intentions. Pour eux, progresser dans leur existence, c'est faire de leurs délires l'expression de leurs lois. Angoissés à l'idée de perdre le contrôle sur ce qui les entoure, ils s'en font une fausse conception.

Ils ne peuvent, par conséquent, affronter le rigorisme de la raison, la sévérité de la vérité, les limites de la liberté, l'impartialité de la justice, la rigueur de la justesse et la gestion de la puissance. Quand bien même à l'abri du besoin, ils se livrent en pâture aux injures du temps. Se contentant de confondre le bien avec leur volonté, ils sont réduits à de vulgaires humanoïdes. Ils ne peuvent donc échapper aux tourments que génèrent ces choses de la vie qui se répartissent entre la servitude et la liberté, entre l'équité et l'injustice, entre la faiblesse et la puissance. Cette réalité a, indubitablement, imprimé dans leur comportement général un appauvrissement par dégénérescence, si bien que même s'ils tenteraient d'afficher un instinct culturel, quand bien même religieux et parce qu'incapables de s'y ancrer, ils continueront à survivre à l'intérieur d'eux-mêmes.

Se limitant à nourrir une platitude culturelle démesurément insensée, ils ignorent que ce sont «le savoir, le savoir-faire et le savoir-être qui distribuent les cartes de la richesse et de la puissance» -Président Abdelaziz Bouteflika. Cependant et combien riches et puissants, ils n'arrivent pas à s'horrifier des affres du ghetto des laissés pour compte qu'ils se sont taillés dans la chimère et dans la dérision. Mal armés socialement, ils désarment face aux conditions de l'amarrage au troisième millénaire.

A propos de l'amarrage aux exigences du troisième millénaire

Provoquer cet avènement c'est faire en sorte que s'expriment les perspectives d'une action culturelle universelle, cette action éducative qui apprend aux hommes à se déterminer, objectivement et sans ambages, de l'intérieur d'eux-mêmes au lieu de se limiter à y survivre en se faisant les victimes expiatoires de leur condition pour certains et les chantres de la négation de l'homme, pour d'autres. Elle est cette éducation qui contribue à l'éducation du caractère et du comportement et à l'enrichissement de la personnalité. Elle permet au savoir acquis de créer le savoir-faire. Elle assure à l'esprit une souplesse et une fonctionnalité de mieux en mieux confirmées dans ses compétences générales et dans ses qualifications spécialisées. Elle lui apporte la preuve de sa validité.

Elle développe donc cette culture universelle qui, quelles que soient les prises de positions politiques, les tendances idéologiques ou les inclinations philosophiques d'un individu ou d'une société donnée, reste cette latitude dont devra disposer l'esprit pour pouvoir extrapoler ses aspirations du présent sur un idéal futur, pour pouvoir participer au règne de l'ordre et de la justice avec perspicacité et sans détour. De la sorte il accomplira avec conviction, mais circonspection, son pas libérateur.

Cette action culturelle universelle, inspirée par les commandements du Saint Coran et les principes qui animent la «Sira Ennabaouia» et orchestrée par Monsieur le Ministre de la Culture de la République algérienne, est ce capital idéo-spatio-temporel dont le souci est de ne pas se figer dans un temps qui passe. Elle ne se limitera pas alors à subir passivement le problème des idées. Elle sera le socle sur lequel se définira leur utilité et la rampe de lancement de leur exploitation potentiellement utile. Devant donc être, sans cesse, actualisée mais sans faire table rase du passé, (car il ne peut être possible que l'idéal de demain soit original de toutes pièces), la nécessité de revisiter nos traditions et nos meurs, à travers des manifestations culturelles multiformes, est établie.

L'action culturelle universelle reste, pour monsieur Mihoubi comme pour tout esprit qui refuse d'être contrarié dans ses entreprises par une intelligence dispersée et par une volonté étroite, le moyen le plus efficace à mettre en œuvre pour assurer à tous l'accès à l'outil essentiel de la vie qu'est la compréhension de soi et celle des autres et donne à tous la possibilité de conquérir :

*une expression sociale capable d'animer de façon universellement valable la condition qui leur permettra d'évoluer au rythme de l'international, sans inquiétude et sans trouble, et de se mêler au monde, sans gêne et sans complexe ;

*la perspective de gérer le tumulte de la modernité dans lequel ils se meuvent, sans erreur et sans illusion.

Débattre aujourd'hui de cette action culturelle ne doit pas signifier s'extasier à la manière de poètes taris ou de philosophes arides devant ce qui fut la splendeur et la magnificence de la civilisation algérienne à ses âges d'or, mais s'interroger à la façon d'inquisiteurs avertis sur les causes de son déclin et pour quels motifs elle s'est ainsi flétrie. La réponse à cette question ne relève pas des dédales de théories abstraites et d'autant fumeuses. Elle est dans la mise à nu d'un ordre sectaire établi autour de l'asservissement de l'homme par l'homme et qui a été outrageusement pétrie d'influences que certains ont tenté d'élever au rang de normes. (Parmi ceux-ci, il y a ceux qui s'érigeant, au nom de la mégalomanie, en chefs de guerre, adulent ceux qui leur emboîtent le pas pour en faire des conquérants, d'autres, dégustant le nectar du pouvoir qu'ils se sont auto-conféré, veillent à ce que le peuple algérien soit mis sous coupe réglée).

Débattre aujourd'hui de cette action culturelle, c'est aussi débattre de cette défaite culturelle orchestrée, dix années durant, par ce conglomérat de planqués passés pour maîtres dans l'art de faire semblant et qui s'étaient évertués à vouloir réduire l'Etat algérien un Etat de second ordre et faire de leurs concitoyens une offrande à l'erreur.

De toutes façons, approfondir nos investigations en quête d'une réponse mieux cernée et nous laisser prendre en parallèle à l'illusion de la complainte passionnée, comme de coutume, ou nous abandonner à des mythes simplistes ou encore animer la présomption, c'est faire fausse route.

Ce qui est certain c'est que les Algériennes et les Algériens doivent apprendre à transcender leurs dilemmes, à réanimer leur conscience humaine de façon lucide et engagée et à s'investir dans la promotion d'une idéologie éducative et culturelle de laquelle surgiront des femmes et des hommes qui sauront gérer la puissance et la complexité des obligations que leur créent les choses de la vie*, des femmes et des hommes qui sauront parler de revanches en annexant les victoires sur l'ignorance, l'adversité, l'injustice, l'impuissance et la faiblesse, à leur cause, là est l'essentiel.

Cependant, ce paradigme éducatif et culturel s'obligera à préciser les objectifs et les finalités de son enseignement et à les orienter dans cette optique.

*Les choses de la vie. Elles se répartissent entre la servitude et la liberté, entre l'équité et l'injustice, entre la faiblesse et la puissance. C'est une compilation de difficultés et d'intérêts.

Aujourd'hui, il faut qu'ils comprennent que la puissance ne peut être que de la culture, de la science et de la liberté et que seules la culture, la science et la liberté peuvent défendre leur droit à une citoyenneté certaine et sans frontières. Cependant, ils ne doivent plus être traqués par le népotisme de sous-sociétés boutefeux qui, vaille que vaille, se laissent aller sur la pente d'une imagination idéologique féconde en subtilités superflues, qui ne savent rien faire d'autre qu'étouffer une flamme, déjà vacillante, du savoir-être et une énergie fantasque du mieux-être, pour ne produire qu'une culture asthénique n'approchant que timidement le concept du jugement méthodique, du raisonnement logique, du respect de la liberté de l'autre et l'avènement du goût, de l'esthétique et de la morale et qui a délesté des générations entières de leur essentiel humain réduisant de facto la notion du rationnel à de banales résurrections idéologiques en hâtant, en eux, une prise de conscience hébétée.

A ce titre, il est impératif que l'action culturelle porteuse de renaissance ne perde pas de vue que la société algérienne ne veut plus demeurer fragmentaire, qu'elle ne peut plus se contenter de puériles initiations culturelles, qu'elle veut vivre des instants où l'ardeur de la lutte empêchera tout recul. Qu'elle veut s'élever du rôle d'apôtre sans auditoire pour inaugurer des voies nouvelles à l'avènement de l'esprit qui refusera de faire des courbettes à la fatalité.

Aussi, cette action culturelle s'érigera en rempart face aux forfaits majeurs et aux dénis intolérables animés par tous ceux qui n'aspirent qu'à faire de l'homme une négation de l'humain, un animal «privilégié» et destiné à n'être qu'un instrument aux mains d'aventuriers chagrins, sans vergogne et revanchards. Elle s'évertuera plutôt à en faire un instrument confié à lui-même et qui se refuse de se réfugier dans un discours-carotte sans issue et dans une idéologie «ménopausée». Ne s'identifiant plus à un vulgaire divertissement, ne se limitant plus à un infantilisme pernicieux, ne s'inspirant plus d'un progrès à rebours, cette action culturelle deviendra un moyen didactique qui formera l'esprit qui refuse de dépérir par dégénérescence au profit de l'émergence d'instincts insolites.

Philosophie d'une éducation culturelle créatrice de renaissance

Une culture créatrice de renaissance ne peut être qu'un espace civilisationnel en perpétuel devenir dans lequel s'élaborent, de mieux en mieux, le savoir-faire et le savoir-être nécessaires aux hommes pour échapper aux tourments que suscite la part obscure du moi* qui est en chacun d'eux et pouvoir ainsi être utiles à leur cité. Engendrant un pôle d'idées-forces où s'associent la connaissance scientifique, l'art et la morale pour se continuer et non pour s'entrechoquer, elle permet d'acquérir la maîtrise de soi dans la gestion des approches qui aideront à déterminer le sens dans lequel devra évoluer une civilisation humaine porteuse d'avenir et à énergiser son ascension.

*Etre tourmenté par la part obscure du moi, c'est être conscient de ses peurs et de ses défenses, tenter de reconnaître et d'accepter ses sentiments, s'évertuer à vivre dans le respect, la sollicitude et la compassion pour soi et pour autrui.

Bien pensée et bien comprise, elle devient une habitude qui préside à la vie. Puisant sa substance dans le complexe éducatif et cognitif auquel doit obéir l'homme, (à la fois individu indépendant et membre de la communauté), elle balisera de mieux en mieux son cheminement dans une existence qui se veut de plus en plus raffinée. Cela dit, éduquer les mentalités à savoir traiter avec les choses de la vie, c'est leur apprendre à comprendre le pourquoi et le comment des choses pour s'extraire de la confusion des idées, de l'impasse de l'inexactitude et du cloaque de l'incohérence et se concilier avec l'authentique, et ce pour ne plus déclasser leur rôle civilisateur. Edifier un tel complexe c'est, en somme, élargir le champ de conscience de tout un chacun et lui permettre de réorganiser ses pensées, de formuler de nouvelles préoccupations, (ambitions, aspirations, besoins et contraintes), pour enfin choisir de nouvelles options de vivre et d'évoluer. Les réfractaires à cet avènement de l'esprit qui ne fera pas des courbettes à la fatalité seront condamnés à l'arriération.

Etant l'apanage originel de la société humaine et son patrimoine par essence, l'homme citoyen du monde, veillera à ce que l'action culturelle ne s'appauvrisse et ne dépérisse sous le joug de manifestations farfelues. Fort de ce coefficient de confort qu'elle distillera, ce dernier valorisera sa fonction sociale, développera son harmonie avec lui-même et avec les « autres », parachèvera son état d'équilibre et trouvera des solutions nouvelles pour réformer un mode de vie carencé par les turpitudes que génèrent les choses de la vie si elles sont mal gérées. Soucieux dès lors de ne plus vivre à l'intérieur de lui-même et de s'extraire de l'invincible chantage des sentiers battus, il ne cèdera plus à l'émergence de réflexes extravagants. Il émargera, pour ce faire, à une éducation culturelle qui lui apprendra à ne plus mépriser la réflexion et ses objectifs, à ne plus sacraliser l'ignorance et les maux qu'elle engendre, à ne plus se fier à ses intuitions, à admettre, convaincu, qu'il existe entre les hommes un avenir commun. Qui lui apprendra, en somme à ne plus trébucher à reculons. Dès lors, il éprouvera le besoin d'aller à l'avant des impressions qui tendront à l'envahir et ne soumettra plus la résolution des situations-problèmes qui tenteront de l'assiéger, à la discrétion du hasard mais au crible de sa raison. Il ne négligera plus son amarrage à l'universalité. Il saura goûter. Il saura se comporter. Il saura envisager des ajustements structurels, c'est-à-dire qu'aux moments propices, il saura s'arrêter, relire les conjonctures sociales qui prévalent, discerner les urgences et proposer les virages et les tournants qui s'imposeront.

A suivre

*Directeur de l'Education, professeur-chercheur INRE