Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Vacances, discours politique et cités-dortoirs: De la Tunisie aux «parkings» algériens

par Ghania Oukazi

  Entre les autorités tunisiennes qui malmènent les Algériens aux frontières et les Algériens dont le comportement offusque, il y a une relation évidente de cause à effet.

L'effet, c'est en général le second qui provoque le premier. Les témoignages d'Algériens sur de telles situations ne manquent pas en ces temps où les frontières Est de l'Algérie ne désemplissent pas. Il est connu que les vacances d'Algériens en Tunisie sont devenues une tradition en raison des prix d'hébergement jugés plus ou moins raisonnables comparés à ceux pratiqués dans d'autres pays. «Je suis arrivé au poste frontalier vers les coups de 4h du matin, j'ai dit Salam au douanier tunisien, il ne m'a même pas répondu, il faisait une tête horrible», raconte Iskander, un jeune qui a programmé de passer ses vacances en Tunisie en compagnie de sa mère. «Quelques minutes après, le douanier revient pour nous parler en s'excusant et, surtout, en nous expliquant que la grande majorité des Algériens qui veulent passer la frontière nous manquent de respect, s'énervent et veulent être les premiers, ça perturbe beaucoup notre travail», raconte le jeune vacancier. Iskander et sa mère sont allés vers une station balnéaire réputée pour ses grands hôtels et ses belles plages. «Un soir, deux Algériens sont venus pour prendre des chambres, le réceptionniste leur explique qu'ils bénéficient de services différents, parce que, leur a-t-il dit, les prix de vos chambres sont différents. Les deux Algériens l'insultent et le rouent de coups; la police est appelée pour les embarquer. C'est malheureux de voir de tels comportements de la part de nos compatriotes», se désole-t-il. «Les scènes qui font rougir de honte ne manquent pas», selon lui. Les restaurants des hôtels qui offrent des buffets peinent à «se débarrasser» d'Algériens qui remplissent des assiettes à ras le bord «juste pour le plaisir de gâcher la nourriture». Un père et ses deux enfants, raconte Iskander, ont pris une vingtaine de pièces de petite pâtisserie dans une seule assiette, ils ont croqué un bout de chaque pièce et ont laissé tout le reste, c'est indécent, elkhssara ! Un autre vacancier, qui était dans un hôtel dans une banlieue de Tunis, fait savoir aussi qu'«un soir, le restaurant offrait des grillades, un Algérien voulait en avoir bien plus que ce qui était admis, le serveur refuse, l'Algérien commence à crier : j'ai payé avec mon argent, tu es là pour me servir !»

Impunité contre délits

Pis, dans des bars restaurants d'hôtels, il est écrit, précisent nos interlocuteurs, «Pas de boissons alcoolisées pour les Algériens». Explication : «dès la fin de l'après-midi, les Algériens commencent à boire, à 22h, ils sont complètement souls et les bagarres commencent». Autre comportement «très algérien», à la vue de couples étrangers (souvent russes), «les Algériens appellent les responsables de l'hôtel pour leur dire qu'ils n'acceptent pas de voir des couples enlacés, nous sommes des musulmans». Commentaire évident, «à l'heure où les Tunisiennes tiennent la dragée haute aux autorités pour consacrer l'égalité entre hommes et femmes dans les questions d'héritage, les Algériens sont choqués par une femme qui porte un maillot de bain (?) », s'insurgent des universitaires. Des Algériens pensent des Tunisiens qu'«ils ont changé après leur révolte contre Ben Ali, ils sont devenus nerveux, fainéants, agressifs même, les hôtels ne sont plus aussi propres qu'avant, le service s'est dégradé (?)». De ce côté-là de chez nous, les «délits» des vacanciers ne manquent pas. Plages sales, eau de mer devenue dépotoir tout autant que le sable parsemé de sacs en plastique, de canettes et d'autres détritus de tout genre, les disputes, les insultes qui fusent parce que des jeunes désœuvrés qui se sont improvisés en «managers» imposent aux estivants de payer pour avoir une table, un parasol et des chaises. «Le ministre de l'Intérieur sait qu'il ne suffit pas d'élaborer des lois, il faut un Etat répressif pour les faire respecter», souligne un sociologue. Il est rare que les chercheurs algériens tentent d'expliquer les comportements «dépressifs» de beaucoup d'Algériens dans des situations banales. Les sociologues semblent se contenter de l'absurdité du discours politique qui, «même quand il s'agit d'un crime comme celui perpétré contre un jeune dans un parking, des responsables affirment que ce sont des actes étrangers à notre société», se lamente un père de famille. «Actes étrangers par rapport à quelle morale, celle qui a poussé les Algériens à s'entre-tuer durant de longues années sans qu'aucun sociologue n'ait pu expliquer les raisons ou les causes de toute cette haine, ces tueries, tout le sang qui a coulé, d'hommes, de femmes, d'enfants, de bébés (?) !» s'exclame un professeur d'université. Les dérives du discours politique ne datent pas d'aujourd'hui. «Le peuple est le seul héros», a été l'une des plus dangereuses entreprises au lendemain de l'indépendance.

«Il faut qu'on ait le courage de reconnaître nos défauts»

Les chercheurs répertorient les conséquences : «Aujourd'hui, tout Algérien a un Etat dans sa tête, il n'obéit qu'à sa propre logique, quitte à contredire le sens même de la vie». Pour nos interlocuteurs : «Il faut qu'on ait le courage de reconnaître nos défauts, il faut qu'on se dise les tristes vérités en face, un problème bien cerné est à 50% résolu». L'histoire de l'Algérie, aussi lointaine soit-elle, fait part de violentes agressions, invasions et autre, colonisation des territoires. Les conséquences sur le comportement des citoyens ne peuvent qu'être des plus néfastes. Si Noureddine Bedoui affirme que «l'Algérie est un pays qui a des institutions qui fonctionnent», les réalités vécues quotidiennement démontrent le contraire. «Sinon, est-il possible que des citoyens déposent leurs sacs-poubelles à n'importe quelle heure de la journée devant et non dans les bennes à ordures alors que le camion de ramassage passe le matin ?» s'interroge l'agent d'une APC. En l'absence d'une autorité ferme et permanente, les quartiers algériens pataugent dans les ordures, vivent au rythme de vacarme et disputes très souvent sous l'effet de psychotropes. Le ministre de l'Intérieur a avoué que la création d'un corps de police de proximité ou police communale lui tenait à cœur. Il a surtout affirmé que «le texte est en préparation, il sera finalisé l'année prochaine, il faut beaucoup d'argent et toute une organisation pour que cette police puisse voir le jour». Pourtant, son existence est plus que nécessaire. Elle est devenue impérative face à la détérioration des conditions de vie au niveau des quartiers et des cités-dortoirs nouvellement réalisées. L'absence d'autorité compétente pour établir l'ordre a des conséquences désastreuses sur le cadre de vie et l'environnement de l'ensemble du pays. Il est clair que l'Algérien a besoin d'être encadré, d'être rappelé à l'ordre et d'être sanctionné. L'impunité semble, comme souvent souligné, être consacrée en loi.

Dès l'apparition des parkings sauvages «payants» sous le diktat de jeunes délinquants en général, l'autorité légale a failli à ses responsabilités. Le laisser-faire s'est imposé, narguant toutes les lois et réglementations. Daho Ould Kablia, alors ministre de l'Intérieur, avait avoué dans une interview parue dans ces colonnes en avril 2012, que «la wilaya d'Alger a été tenue d'entreprendre un travail d'étude pour trouver une solution à ce problème de jeunes qui s'imposent comme gardiens de parkings et rackettent les citoyens. Des efforts ont été faits mais il y a tellement de jeunes qui sont inemployés ou sous-employés qui prennent des libertés pour défier la réglementation et la loi et s'imposer aux citoyens. C'est un problème qui trouvera son issue vraisemblablement à moyen terme. Il y a déjà un texte réglementaire mais c'est la mise en œuvre qui demande un travail de préparation». Sept ans après, aucune institution n'a pu empêcher les jeunes de racketter les usagers jusqu'à les tuer?