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Aïn Temouchent - Logement social : une longue et douleureuse histoire

par Saïd Mouas

Après une série d'opérations de relogement visant à éradiquer les habitations précaires, nombreuses dans la commune de Sidi Ben Adda notamment au douar Chaffaa, une ancienne mechta située à la sortie nord du village, voilà le moment venu de penser à l'aménagement et à la restucturation des espaces démolis.

C'est dans cette perspective d'intégration urbaine que les autorités de la wilaya viennent d'initier un volontariat d'envergure ayant pour but de nettoyer les sites rasés dans le cadre du recasement des familles vivant dans des conditions difficiles. Plusieurs directions ont été mises à contribution ainsi que leurs personnel et moyens logistiques afin d'assainir les assiettes de terrain recouvertes de détritus et de gravats et les préparer de ce fait à recevoir des équipements publics. Supervisé par le secrétaire général de la wilaya, M. Ahmed Mébarki, représentant le wali, et ce en présence du chef de la daïra d'Aïn Temouchent et du P/APC de Sidi Ben Adda, l'opération qui a mobilisé, outre les cadres techniques de l'administration locale, plusieurs associations de protection de l'environnement, a été bien accueillie par la population qui a prêté main forte aux bénévoles. D'ailleurs, il est de notoriété que les élites de Sidi Ben Adda ont souvent, à travers des actions de volontariat, fait preuve d'un remarquable sens civique au sein de l'association écologique « Khadra».

En attendant que le douar Chaffaa soit complètement démoli et son emplacement réellement intégré au POS (plan d'occupation des sols) de Sidi Ben Adda, l'histoire de ce piton niché au fond de l'oued voisin, vers lequel les colons dès 1945 refoulaient les indigènes, demeure gravée dans les mémoires. Un goulag rural avec ses «rues» en pente, ravinées par la pluie et «où la Jeep même n'aimait pas s'aventurer» (mémoires d'un bidasse français). En 2015, en plein hiver glacial, 74 familles avaient pris possession de leurs nouveaux lo¬gements. De même qu'au Haï Mestari, à Aoubellil, perpétuellement menacé par les inondations, 30 familles verront leur sort s'améliorer, en cette meme année, grâce à la réception d'un projet d'habitat social auquel sont venus s'ajouter d'autres par la suite.

Ces grabas ou guetnas, l'équi¬valent rural des bidonvilles, ont fourni le gros de la main-d'œuvre des colons. Ils ont continué à fai¬re partie du paysage urbain dans la plupart des communes de la wilaya et les quelques améliorations apportées se limitaient souvent au raccordement de l'eau et de l'électri¬cité. Dérisoire compensation pour des populations habituées à man-ger leur pain noir et qui atten¬daient de goûter aux fruits de la liberté. Aujourd'hui, l'espoir est permis et l'éradication de ces cloa¬ques, d'un autre âge, est en bon¬ne voie. En plus du logement social, un important programme d'habita¬tions rurales a été lancé. En l'espace de dix ans, pas moins de 16.000 logements visant à éliminer les dispa¬rités territoriales ont été livrés. Au nom des prin¬cipes d'équité et de justice sociale, le soleil a commencé à se lever sur les Guetnas. Il ne subsistera, dès lors, de ces poches de misère que le souvenir d'une rude existence que ces mansardes désormais détruites allaient lentement atténuer. Autrefois, un petit tas de brindilles et de sarments posé près du petit four à pain, une courette étroite donnant accès à l'unique pièce en toub, un brasero mal éteint pour les soirs d'hiver et un panier en osier où trônent quelques légumes près d'une table basse qui attend d'être débarrassée de ses usten¬siles de cuisine.

Le gourbi sert de refuge au «meskine» qui trimait chez Roumegous, Charuis, Bastier ou Orcière, ces riches colons des Trois Marabouts, un village perché sur un vieux cratère. Aujourd'hui, la fontaine a remplacé la cruche, l'ampoule le quinquet et le gaz le feu de bois où cuisait la galette d'orge.

La majorité des ouvriers agrico¬les habitant le douar survivait à la lisière du village. Acceptant leur sort comme une fatalité. El-Mektoub. Dans une correspondance re¬trouvée dans les «cahiers de chicayas (doléances)» des SAS (sections administratives spéciales), on peut lire: «Un ouvrier agricole a eu le bras coupé chez monsieur R. et n'a pas tou¬ché de pension, il vit au douar Chaffaa avec 2 enfants de 1 à 2 ans, dans le plus grand dénuement, par la charité de ses voisins... » «Mon¬sieur R. a refusé de me payer les 2 jours que j'ai travaillés et mon con¬gé, il m'a renvoyé le 25 mai 1959 et je travaille chez lui depuis avril 1958».

L'univers des centres de regrou¬pement n'avait rien à envier aux ghettos décrits dans la littérature de l'après-guerre. La région d'Aïn Témouchent, terre du vignoble, a souffert des appétits des colons qui ont accaparé les meilleurs domaines par l'expropriation (90% des terres recensées en 1960), poussant ainsi les musulmans à la misère. Des tribus entières comme les Ouled Zaïr et les Ouled Khalfa qui furent dépossédées et pourchassées, contraintes finalement à se réfugier dans les montagnes sté¬riles pour survivre. Les propriétai¬res européens encourageaient la création de ces «favellas» pour¬voyeuses de main-d'œuvre à bon marché ! A l'écart de la ville d'Aïn Témouchent, longeant la route d'Oran, a surgi «El-Graba», le «vil¬lage nègre» de 15.000 habitants (recensement de 1960), rebaptisé «Douar Moulay Mustapha», ré¬serve de chômeurs et d'ouvriers agricoles mais néanmoins bastion nationalis¬te.

D'autres «cités indigènes» ver¬ront le jour. Lefaubourg Chabat, à Laferrière (Chaâbat El-Leham), fau¬bourg Sidi Saïd à Rio Salado (El-Malah), El-Guetna, De Malherbes (Aghlal) ou encore le douar Chentouf, excroissance du superbe do¬maine des Keroulis, le richissime manoir des Germaine. La plupart des douars de la localité vivaient dans des conditions inhumaines. Le douar Moulay Mustapha était assimilé à un véritable camp de concentration, derrière ses barbe¬lés, «des visages faméliques pre¬naient le frais avant huit heures du soir, heure du couvre-feu », un village «entièrement aux mains du FLN », écrivait à l'époque un correspondant du journal «Le Monde». Bâties durant la période de co¬lonisation aux portes des villes, les «concentrations musulmanes» se retrouvent présentement absor¬bées par le développement urbain, devenant, de ce fait, de véritables plaies incompatibles avec les évolutions architecturales.

Toutes les communes que compte la wilaya ont bénéficié de pro¬grammes de relogement dans le cadre de la résorption de l'habitat précaire (RHP) et les vieux quar¬tiers, hérités de la colonisation, sont appelés à disparaitre. Une œuvre de longue haleine à laquel¬le l'administration entend donner une impulsion déterminante si tant est que la crise du pétrole n'impacte pas ce processus de réhabiltation de la campagne, intervenu, force est de le reconnaitre, assez tardivement.

Offrir un cadre de vie décent au citoyen et rajeunir le bâti pour l'insérer dans les plans de modernisation des villes, revient en somme à corriger des options qui auraient dû naturellement faire partie des priorités au lendemain de l'indépendance car ces ilots de misère continuent par endroits de survivre aux côtés de quartiers huppés, accentuant le sentiment d'injustice sociale.