Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Troubles psychiatriques : maladies ou manifestations surnaturelles ?

par Amani Moulay Ali*

Nous avons constaté dans notre pratique quotidienne au niveau des urgences psychiatriques du CHU d'Oran que la grande majorité des patients atteints de maladies mentales vont d'abord consulter des thérapeutes traditionnels (marabouts ou exorcistes) avant de venir chez le médecin psychiatre et cela après une longue période d'évolution de la maladie et souvent dans un état grave. Ainsi, nous avons voulu étudier la question pour savoir ce qui pousse les Algériens à s'orienter plus vers ces thérapeutes au lieu d'aller voir un médecin.

En ce sens, nous avons réalisé une enquête de terrain auprès des parents de malades atteints de schizophrénie. On leur a posé plusieurs questions.

Parmi elles, nous avons voulu savoir comment les parents ont interprété les premiers symptômes de la maladie chez leur enfant. Et les résultats ont montré que 71% des parents ont interprété les symptômes de la schizophrénie chez leur enfant comme une possession par un djinn, 20% comme la conséquence d'une sorcellerie, 4% comme les conséquences d'un mauvais œil et 5% seulement comme une maladie mentale.

Aussi, nous avons trouvé que dans 82% des cas, la première action des parents pour aider leur enfant malade, était d'aller voir des marabouts ou des exorcistes.

Par ailleurs, la durée moyenne entre l'apparition des symptômes de la maladie et la consultation chez le psychiatre était de 11 mois.

Aussi, notre étude a montré que les parents ont été très affectés par la maladie de leur enfant et certains d'entre eux ont même développé des dépressions ou des troubles anxieux suite à cela.

Ces résultats peuvent être expliqués par le fait que les Algériens sont mal informés sur les maladies mentales et leurs symptômes. En effet, les maladies mentales sont un sujet tabou dans notre société. Contrairement aux autres maladies, peu de médias parlent des maladies mentales, leurs symptômes et leur traitement.

Ce comportement des parents peut, aussi, être expliqué par l'influence des idées et des croyances culturelles algériennes comme la sorcellerie, la possession et le mauvais œil, de même que par de mauvaises interprétations de la religion. En effet, en essayant de convaincre les parents qu'il s'agit d'une maladie et non d'une possession ou d'une sorcellerie, l'argument qui revient à chaque fois c'est que « la sorcellerie et les djinns sont décrits dans le Saint Coran ». Alors que dans notre religion, l'islam, il n'y a aucun texte qui attribue des symptômes psychiatriques aux djinns ou à la sorcellerie !

En ce sens, je dénonce certaines chaînes de télévision qui font la promotion des charlatans, qui prétendent guérir les maladies par l'exorcisme, le lait de bouc, les serpents ou encore des appareils électroniques pour chasser les djinns ! Ils leur offrent une large audience auprès de la population pour diffuser des pensées moyenâgeuses et dangereuses au lieu d'inviter des médecins et des scientifiques pour informer et orienter les malades.

Aussi, j'invite les intellectuels, les vrais imams et ceux qui ont fait des études universitaires islamiques à se manifester et à dénoncer ces personnes et ces comportements décadents.

Et ce qui est étonnant, c'est que même les personnes instruites ont recours à ce type de thérapeutes. Je cite le témoignage de deux parents. Le premier de monsieur M. Mohamed, professeur universitaire en mathématiques, qui dit « je n'ai jamais cru aux histoires de sorcellerie et de possession mais quand mon fils est tombé malade je suis allé voir l'exorciste en premier ». Le deuxième est celui de monsieur M. Ahmed fonctionnaire de l'Etat : « je n'ai pas voulu emmener mon fils chez un psychiatre pour qu'on ne dise pas de lui que c'est un fou ».

Donc une autre explication à ce comportement est que les Algériens n'acceptent pas la maladie mentale de leur enfant et préfèrent croire qu'il s'agit d'une manifestation surnaturelle que d'une maladie mentale qui a des représentations sociales et culturelles négatives et qui peut être à l'origine d'une honte (la folie). Ce qui explique, en partie, les conséquences psychologiques sur les parents comme la dépression et l'anxiété.

Cette étude a aussi montré que ce comportement entraîne un retard de diagnostic et de prise en charge de la maladie et altère ainsi son pronostic. En effet, plus la prise en charge est précoce, plus on a de chance de guérir la maladie et inversement.

En ce sens, des campagnes médiatiques d'information sur la schizophrénie, ses symptômes et sa prise en charge sont nécessaires afin que les parents puissent reconnaître plus tôt la maladie et faire le bon choix de soins, améliorant ainsi le pronostic et évitant les complications de la maladie, d'où l'idée de cet article.

Nous allons essayer ainsi de répondre à certaines questions que les parents peuvent se poser :

Qu'est-ce que la schizophrénie ?

La schizophrénie est une maladie mentale qui fait partie des psychoses. Elle touche 1% de la population. Elle débute à l'adolescence et au début de l'âge adulte. Les deux sexes sont atteints de la même façon.

Contrairement aux idées reçues, on ne naît pas schizophrène, on le devient. Ainsi, un adolescent ou un adulte jeune qui est apparemment tout à fait normal, qui est étudiant ou qui travaille, qui a des amis, des relations sociales, qui est en bonne santé mentale peut d'un seul coup ou progressivement basculer vers la maladie.

Quels sont les symptômes de la maladie ?

Des difficultés de concentration, un fléchissement scolaire, un désinvestissement des activités habituelles et un isolement. Par exemple, un étudiant aura du mal à se concentrer dans ses études, il aura des mauvaises notes. Petit à petit, il va abandonner ses activités et ses hobbies comme faire du sport ou sortir avec ses amis. Il va passer ses journées à la maison, souvent seul. Il va aussi désinvestir son hygiène corporelle. Il ne va plus se laver, ne coupera plus ses cheveux ni rasera sa barbe sans l'insistance de son entourage.

Les délires : c'est des idées ou des pensées qui sont fausses, qui peuvent être bizarres, mais le malade est convaincu qu'elles sont réelles. Par exemple, il peut croire qu'il est un prophète, qu'il est suivi et persécuté par des agents secrets de l'Etat, qu'il est possédé, ensorcelé, que ses parents ne sont pas ses vrais parents ou encore qu'il a des pouvoirs surnaturels.

Les hallucinations : c'est des perceptions pathologiques. Ainsi, les malades atteints de schizophrénie peuvent entendre des voix que seuls eux peuvent entendre, voir des personnes, des animaux ou créatures que seuls eux peuvent voir. C'est pour cela qu'on voit ces personnes parler toutes seules, mais en fait elles parlent avec des interlocuteurs imaginaires.

Les troubles du comportement : comme des sourires sans raison apparente, des états d'agitation, un comportement agressif, notamment envers la famille, ou des fugues.

Quelles sont les causes de cette maladie ?

La schizophrénie est une maladie multifactorielle. Elle a des causes héréditaires et génétiques. En effet, plus il y a des personnes atteintes de cette maladie dans la famille plus on a de chance de l'avoir. Des causes neurobiologiques, notamment un dérèglement au niveau des neurotransmetteurs. Des causes psychologiques, comme le stress et les traumatismes psychiques. C'est pour cela que cette maladie peut être déclenchée par des évènements stressants, comme la préparation du bac, un mariage ou un échec personnel ou professionnel.

Est-ce que cette maladie se traite ?

Oui cette maladie se traite, et nous avons la chance en Algérie d'avoir tous les derniers médicaments pour traiter cette maladie et sont pris en charge par la Sécurité sociale. Ainsi, on obtient une rémission complète des symptômes de la maladie chez la majorité des patients. Ils peuvent ainsi retrouver leur état de santé antérieur.

Par ailleurs, on informe la population d'Oran que le service des urgences psychiatriques du CHU d'Oran accueille les malades et leurs familles 24 h/24 et 7 j sur 7. Nous les invitons ainsi à se rapprocher de notre structure dès les premiers symptômes de la maladie.

* Maitre de conférences en psychiatrie, faculté de médecine d'Oran - Médecin chef du service des Urgences psychiatriques, CHU d'Oran