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Les dix raisons de la distorsion du cours du dinar entre l'officiel et sur le marché parallèle de la devise (1ère partie)

par Abderrahmane Mebtoul*

Selon la Banque d'Algérie, le cours officiel du dinar entre le 19 et 23 juillet 2018 est 118,0761 dinars un dollar et 137,0864 dinars un euro. Selon Forex, le cours sur le marché parallèle est d'environ 214 dinars un euro et 173 dinars un dollar, soit un écart moyen de 56%. Quelles sont les principales raisons du cours de la devise sur le marché parallèle ? Il existe en Algérie depuis des années, allant en s'amplifiant, des distorsions entre le taux de change officiel du dinar et celui sur le marché parallèle entre 40/50%. Le square Port Saïd à Alger, certaines places à l'Est et à l'Ouest sont considérées comme des banques parallèles à ciel ouvert, fonctionnant comme une Bourse où le cours évolue de jour en jour selon l'offre et la demande et les cotations au niveau mondial du dollar et de l'euro. Ce marché noir joue comme assouplisseur à un contrôle des changes trop rigide. Il existe des données contradictoires sur le montant qui se serait échangé, annuellement, sur le marché parallèle algérien.

1.- Selon le FMI dans son rapport de juillet 2018, en 2022, les réserves de change permettront moins de 5 mois d'importation et en 2023 estimées à 12 milliards de dollars avec moins de 3 mois d'importation. A ce niveau, les réserves de change tenant la cotation du dinar algérien à plus de 70%, la Banque d'Algérie sera contrainte de dévaluer le dinar officiel à environ 200/220 dinars un euro avec une envolée du cours sur le marché parallèle qui fluctuera en fonction du taux d'inflation entre 300/400 dinars un euro. Mais beaucoup plus si le taux d'inflation dépasse les 20/30%. En cas d'hyperinflation de plus de 100%, nous nous retrouverons dans le scénario vénézuélien ou le dinar officiel fluctuerait entre 1.000% l'euro et sur le marché parallèle à plus de 2.000% du fait d'une masse monétaire excédentaire en circulation ne correspondant pas au niveau de production locale. C'est que les réserves de change qui tiennent la valeur du dinar algérien, qui étaient presque de 195 milliards de dollars début 2014, ont clôturé 96 milliards de dollars (hors DTS) fin 2017 et hors réserves d'or, l'Algérie possédant 173 tonnes d'une valeur, au cours de l'once actuel, d'environ 7 milliards de dollars et allant vers 85/87 milliards de dollars fin 2018 avec le risque d'épuisement 2021/2022. Pour 2017, dans le cadre de la loi de finances 2017, le niveau est proche de 75 dollars sur la base des dépenses et du déficit clôturé. Pour 2018, il faut un baril d'environ 100 dollars, pour ne pas puiser les réserves de change et éventuellement les augmenter, au vu de la loi de finances complémentaire de 2018, approuvée le 5 juin 2018 par le Conseil des ministres prévoit une enveloppe de 500 milliards dinars supplémentaires (environ 4,4 milliards de dollars) en autorisations de programme, de la dépense publique actuelle, des dépenses improductives, des subventions généralisées sans ciblage, des surcoûts et une mauvaise gestion pour ne pas dire corruption.

Il s'ensuit que la croissance devrait ralentir très fortement dès 2020, en provoquant une augmentation du taux de chômage. Elle se traduira aussi par la persistance des déficits budgétaires et surtout des déficits externes qui vont éliminer progressivement toutes les marges de manœuvre dont dispose l'Algérie. Pour le FMI et la majorité des experts internationaux, les slogans politiques sont insensibles aux lois économiques applicables dans tous les pays et l'Algérie ne fait pas exception. Le recours à la planche à billets pour financer le déficit budgétaire aura un impact négatif à terme, qui, selon la Banque d'Algérie, les montants prêtés au Trésor seraient de l'ordre de 5.723,1 milliards de dinars à fin mars 2018. Certes, la poussée inflationniste n'est pas encore perceptible en 2018 et la croissance tirée essentiellement par la dépense publique devrait être de 3% en 2018, contre 1,6% en 2017. Mais pour le FMI, ce ne sont que des mesures conjoncturelles sans vision stratégique, le financement non conventionnel représentant 23% du PIB qui aura permis le financement au premier trimestre 2018. Mais ce mode de financement aura aussi atteint ses limites à partir de 2020 avec des taux d'inflation élevés, risque de la dérive vénézuélienne, et de chômage record risquant de dépasser 2020/2022 les 15% avec plus de 25/30% pour les jeunes. Les mêmes projections sont reprises récemment par la note de conjoncture du Trésor français qui influe sur la note de la Coface.

2.-Concernant la distorsion entre le cours sur le marché parallèle et le cours officiel, je voudrais faire quelques remarques afin d'éviter des débats stériles, renvoyant à l'étude réalisée sous ma direction pour l'Institut français des Relations internationales IFRI (décembre 2013). Comme il y a lieu de ne pas confondre le montant de devises échangé sur le marché parallèle avec l'importance de la sphère informelle dont les méthodes de calcul donnent des taux différents: masse monétaire en circulation, poids dans le PIB et importance au sein de la structure de l'emploi. L'essence réside dans les dysfonctionnements des différentes structures de l'Etat, du fait de l'interventionnisme excessif de l'Etat qui fausse les règles du marché, ce qui contraint les ménages et opérateurs à contourner les lois et les règlements. Ainsi lorsque les autorités publiques taxent (fiscalité excessive) et réglementent à outrance ou en déclarant illégales les activités du libre marché, il biaise les relations normales entre acheteurs et vendeurs. En réaction, les acheteurs et vendeurs cherchent naturellement les moyens de contourner les embûches imposées par les gouvernements. Lorsqu'un gouvernement veut imposer des règles et des lois qui ne correspondent pas à l'état réel de la société, cette dernière enfante ses propres lois qui lui permettent de fonctionner. Le fondement d'un contrat doit reposer sur la confiance.

Au niveau de la sphère informelle, il existe des contrats informels plus crédibles que ceux de l'Etat car reposant sur la confiance entre l'offreur et le demandeur. Que l'on visite l'Algérie profonde et on verra des milliers de contrats établis par des notables crédibles au niveau de différentes régions du pays en présence de témoins. Devant le fait accompli, l'Etat officiel a souvent régularisé ces contrats (notamment dans le domaine du foncier et de l'immobilier). L'Etat doit se cantonner sans son rôle de régulateur stratégique et non fausser les règles de libre concurrence. Dans les pays à économie administrée, on délivre des autorisations (comme autrefois en Algérie les licences d'importation que certains nostalgiques voudraient rétablir) qui permettent à ceux qui ont des relations de les vendre mais au cours du marché s'alignant sur le cours du marché parallèle donnant à ces personnes qui ont des relations donc des rentes sans contreparties productives. Le marché parallèle de devises n'échappe pas à ces règles générales avec la cotation administrative du dinar. On a vu par le passé que lorsque le cours du dollar baissait et le cours de l'euro haussait, la Banque d'Algérie dévaluait pour des rasions politiques à la fois le dinar par rapport tant au dollar que vis-à-vis de l'euro alors que le dinar dans une véritable économie de marché devait s'apprécier par rapport au dollar. Pourquoi cet artifice comptable ? La raison essentielle est qu'en dévaluant le dinar par rapport au dollar, nous aurons une augmentation artificielle de la fiscalité des hydrocarbures qui fluctue, en fonction des cours, entre 60/70% du total fondement d'une économie rentière. Car les recettes des hydrocarbures sont reconverties en dinars, passant par exemple de 70 dinars à 115 dinars un dollar; idem pour les importations libellées en monnaies étrangères, les taxes douanières se calculant sur la partie en dinars, cette dévaluation accélérant l'inflation intérieure.

Tout cela voile l'importance du déficit budgétaire et donc l'efficacité réelle du budget de l'Etat à travers la dépense publique et gonfle artificiellement le fonds de régulation des recettes calculé en dinars algériens. L'inflation étant la résultante, cela renforce la défiance vis-à-vis du dinar algérien où le cours officiel administré se trouve déconnecté par rapport au cours du marché parallèle qui traduit le cours du marché.

A suivre

*Professeur des universités, expert international