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Le fret maritime : les compagnies étrangères dictent leur loi

par M. Bouabida *

Lors de la journée d'information sur la logistique organisée à Alger vers la fin du mois de juin 2018 par le Forum des Chefs d'Entreprises (F.C.E), le fret maritime en Algérie et notamment son contrôle par des compagnies étrangères a été débattu par les participants.

Ce volet continue à constituer une hémorragie de devises pour le pays avec une prise en charge timide. Il est caractérisé par des surcoûts liés aux frais de manutention, les frais liés aux surestaries des navires et conteneurs. Le tonnage à l'import réalisé par les ports algériens a connu une hausse importante durant ces dix dernières années, passant de 37 millions de tonnes en 2011 à 52 millions de tonnes à fin 2016. La flotte algérienne qui se compte sur le bout des doigts n'assure qu'une faible partie du transport de cette réalisation enregistrée chaque année. Cette situation a placé notre pays dans une position défectueuse voire même à la merci des transporteurs étrangers qui profitent de cette position de faiblesse de la compagnie maritime nationale et notamment de ses moyens de transport maritime, pour proposer des prix exorbitants à destination de nos ports et qui pèsent lourdement sur l'économie nationale. Ce sont 97 % des marchandises destinées à l'Algérie qui sont assurées par des compagnies étrangères de transports maritimes. Les armateurs fixent leurs tarifs non seulement en fonction des conditions du port de destination mais également en tenant compte des risques de séjour prolongé de leur bateau. Il en est de même pour les assurances. A cela s'ajoutent les pénalités comme celles des surestaries alourdissant ainsi la facture que payera le réceptionnaire et en dernier ressort le consommateur.

L'Algérie a été secouée par la crise économique depuis que les prix du brent ont connu une baisse. Cette conjoncture a fait réagir les pouvoirs publics à prendre certaines mesures pour faire face à cette crise. Nous citerons ici quelques unes : Suppression de l'importation de certains produits, production locale de certains produits à l'import (médicaments, semence, etc.), suppression des importations de véhicules avec obligation aux concessionnaires de procéder au montage sur place, etc. Il est à noter dans ce sens que l'Algérie veut reprendre sa place parmi les pays disposant d'une flotte importante et assurant le transport de sa marchandise par ses propres moyens réduisant ainsi le coût annuel du fret qui est de 1,6 milliard de dollars dont 97 % revient aux compagnies maritimes étrangères.

Il faut rappeler dans ce sens que durant les années 1970/1980 l'Algérie était classée parmi les 50 premiers au niveau mondial avec une flotte algérienne composée de plus de 80 navires tous types confondus. Avec cette flotte il faut reconnaitre que l'Algérie assurait à l'époque plus de 30 % des échanges extérieurs. Aujourd'hui, la part de l'Algérie dans le transport maritime est très faible et les armements étrangers qui assurent le transport des cargaisons algériennes imposent leurs conditions. La flotte algérienne a connu une baisse importante due à l'âge limite dans la majorité des cas dépassant les 30 ans sans avoir pensé à son renouvellement. Devant cette faiblesse de la flotte nationale le transport maritime qui reste le mode le plus utilisé dans le commerce international soit 75 % du commerce mondial en volume bien sûr, en Algérie ce sont environs 95 % des marchandises importées qui transitent par les ports.

Afin de réduire la facture du fret, l'État a arrêté un programme de renforcement de la flotte nationale de transport maritime par l'acquisition de 25 navires répartis entre les compagnies maritimes de la C.N.A.N. L'objectif de ce programme est que le transport de la marchandise algérienne soit assuré par la flotte nationale sachant que le coût annuel du transport de la marchandise algérienne s'élève à environ 1,6 milliard de dollars. Ce programme ambitieux va normalement faire passer la part de la flotte algérienne dans le transport maritime de 3% à 30 % d'ici l'année 2020 selon les prévisions du département ministériel en charge du problème.

Ce programme est déjà en marche puisque plusieurs navires ont été déjà réceptionnés dans ce cadre à savoir, le « STIDIA», «TIMGAD»,?.. Nous estimons que le renforcement de la flotte nationale n'est pas une fin en soi. Il faudrait aussi que les ports soient au même rythme, célérité dans les déchargements avec des cadences de déchargements appréciables, augmentation du rendement portuaire notamment pour le conteneur, qui reste le plus faible en méditerranée, le travail de nuit et durant les week-ends doivent être imposés, régler le problème des occupations des postes à quai par les navires en saisie conservatoire qui constituent des manques à gagner très importants pour les entreprises portuaires et provoquent une hausse de surestaries pour d'autres navires en attente, priorité d'accostage pour les clients qui s'engagent à opérer en 3ème, voire 4ème shift et les jours fériés même si leur navire arrive en dernière position (il faut aussi avoir le courage), révision du règlement de la commission de placement des navires qui est obsolète (promulgué en 1987), entre autres... Nos ports sont restés tels qu'ils étaient transférés aux Autorités portuaires algériennes en 1962. Certains ports ne disposent même pas de rampe RO-RO pour les navires conçus à cet effet. Il arrive que les marchandises destinées à un port soient déroutées vers un port voisin pour les débarquer, ce qui engendre des frais supplémentaires à payer par l'opérateur.

Les bateaux ne peuvent faire escale dans tous les ports. Les ports sont confrontés à plusieurs contraintes qui les empêchent d'achever leurs missions. Ces obstacles sont liés principalement en premier lieu à leur faible tirant d'eau et en second lieu à des équipements mal adaptés aux navires. Les tirants d'eau qui étaient largement suffisants il y a des décennies, dans certains ports, ne répondent plus actuellement à la taille des navires. Cette situation oblige les armateurs étrangers qui touchent les ports algériens à recourir aux navires de petites tailles considérés comme non économiques et engendrent des pertes importantes pour le réceptionnaire algérien qui supporte les taux de fret très élevés. Ces faibles tirants d'eau constituent également des obstacles pour les opérateurs qui sont obligés d'alléger les navires transportant leurs cargaisons notamment pour le vrac, céréales, etc., dans un port voisin avant de le ramener vers le port choisi (A proximité du silo à céréales par exemple), ce qui contraint cet importateur de payer des frais supplémentaires sur le total de la cargaison importée y compris celle ayant fait l'objet d'un allègement.

L'évolution très rapide des échanges a démontré les difficultés de l'outil portuaire à faire face à la nouvelle situation économique du pays et à s'adapter aux nouvelles exigences du commerce maritime international dicté par la mondialisation. Cette faiblesse ne se limite pas à une seule contrainte mais à certaines insuffisances à différents niveaux dans les ports. Elles vont de la faiblesse des moyens de manutention en passant par la qualité des prestations et leur efficacité sur le terrain en prenant conscience que chaque heure perdue par un navire en rade ou à quai a ses répercussions négatives sur le coût du fret. Elles touchent les caractéristiques techniques des ports: la faiblesse des tirants d'eau et des longueurs des quais, l'insuffisance des surfaces d'entreposage. L'infrastructure réceptionnée par les autorités portuaires en Algérie en 1962 n'a pas connue d'évolution, extension ou autre, et de ce fait elle ne peut répondre à la taille des grands navires et/ou à fort tirant d'eau.

La faiblesse des cadences de déchargement influe également sur le séjour des navires tant à quai qu'en rade d'où la facturation des surestaries. Rappelons que les surestaries sont une pénalité payée à l'armateur du navire par le réceptionnaire. Quand le navire est libéré plutôt que prévu, le réceptionnaire peut percevoir une prime appelée «dispasch money» mais cette opération semble malheureusement être ignorée par nos importateurs et exportateurs en charge du commerce extérieur.

Le port est un lieu de transit, les marchandises doivent être enlevées dans les délais courts ou transférés vers les ports secs s'ils existent. Quant aux navires à quai, leur souffrance constitue l'une des faiblesses qui favorisent la hausse du fret à payer par les importateurs en raison des défaillances sus citées du port. « Un navire perd de l'argent quand il est au port et en gagne quand il est en mer », comme l'a évoqué l'armateur marseillais Christian Garin. Ce qui voudrait dire clairement que c'est seulement lorsqu'il transporte sa marchandise que le navire gagne de l'argent, raison pour laquelle les armateurs ont toujours ce souhait de quitter le port le plus rapidement possible.

Aujourd'hui l'Algérie s'engage vers le courant de la mondialisation et l'ouverture aux marchés étrangers. A cet effet, il a été décidé de créer un port d'envergure mondiale qui traitera 25 millions de tonnes de marchandises annuellement et 6,3 M.EVP et disposera de 24 postes à quai dont 11 dédiés pour le conteneur. Ce futur port de Hamdania situé à 03 kilomètres de la ville de Cherchell va coûter au trésor selon les estimations la somme de 3,2 milliards de dollars U.S soit approximativement la somme que l'Algérie a payé en surestaries durant la seule année de 2016. Le port de Hamdania, une fois achevé, pourra être desservi par des bateaux de plus en plus gros, il offre des tirants d'eau importants et sera équipé de moyens de manutention performants. Il permettra de connecter l'Algérie avec l'Asie du Sud-Est, l'Amérique et l'Afrique et de faire face au volume du trafic maritime en direction de l'Algérie. Les caractéristiques de ce port laissent apparaitre que ce port devienne un «hub» vers l'Europe et l'Afrique de l'Ouest, interconnecté au réseau ferroviaire et autoroutier africain et permettra le transbordement des navires en provenance des grandes routes maritimes. Il sera le second port africain après Tanger Med (9 millions EVP). Appelé «Projet du siècle», il s'agit donc d'un méga port doté des infrastructres et des technologies les plus développées qui optimisent les différentes fonctions portuaires à grande échelle.

Enfin le programme de renforcement de la flotte nationale arrêté par le gouvernement a dépassé les 25 %. Son objectif est d'augmenter le transport maritime par des navires algériens soit 30 % du fret total d'ici 2020. Avec cette cadence d'acquisition de nouveaux bateaux, la bataille de la récupération du fret maritime semble être gagnée.

* Ex-Commandant du Port de Mostaganem/Cadre dirigeant.