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L'état du monde, le monde dans tous ses états (*)

par Nadir Marouf (*)

Il y a des dates symboles qu'on ne saurait oublier. Celle du cinq juillet requiert bilan et rétrospective. Je voudrais, pour ma part, contribuer à cet événement par une très courte réflexion (une fois n'est pas coutume...) sur ce qui semble être une des préoccupations majeures du moment.

J'ai lu récemment un papier publié par ce quotidien, dans lequel la société dite civile pourrait voir d'un mauvais œil un article plaidant pour les droits du peuple sahraoui à recouvrer sa souveraineté sur son sol et, par voie de conséquence, se soumettre å l'idéologie du Prince, autrement dit au pouvoir de notre propre pays ! Ainsi, toute critique portant sur l'état du monde qui corrobore la thèse officielle de notre chancellerie serait suspecte de collusion avec «l'ennemi intérieur». A moins que j'aie mal compris le sens de ce papier, le citoyen, voire l'intello désireux de s'exprimer dans l'espace public est interdit de se prononcer sur l'état du monde dès lors que son jugement sert de porte-voix au politiquement correct.

Cette thèse me paraît exagérément sévère, dans la mesure où la convergence du jugement du citoyen lambda avec celle du Prince n'exclut nullement la «critique interne». Si l'on porte un regard panoramique sur le monde qui nous entoure, on assiste, hélas, à des situations où les grandes puissances de la planète surfent sur les lacunes, volontaires ou non, des sociétés post-coloniales, notamment celles du monde arabe et de l'Afrique. La présence de Macron à la réunion de la CDEAO est justifiée par les investissements, entre autres militaires, de la France qui s'octroie un rôle d'observateur privilégié. A ce titre, la position marocaine sur le Sahara Occidental s'en trouvera renforcée, sachant de surcroît que bon nombre de pays de l'AOF sont réduits à une allégeance explicite ou implicite eu égard aux contrats noués avec les entreprises françaises. De la même manière, pour rester dans le cas français, la vente d'armes à l'Arabie Saoudite, au Koweit ou à l'Egypte, pour ne citer que ces pays, contribue de manière flagrante à l'entreprise d'anéantissement du peuple yéménite. Sous prétexte de lutter contre le terrorisme islamiste, certaines puissances occidentales contribuent à le renforcer d'une manière ou d'une autre.

Les discours officiels de ces Etats servent bien souvent de paravent aux multinationales, qui détiennent le vrai pouvoir de décision. Le précédent que constitue l'affaire du cimentier «Lafarge» et sa prétendue éviction cachent à peine des complicités secrètes au niveau du Quai d'Orsay. On peut citer d'autres exemples du même tonneau. Au Proche et Moyen-Orient, le deal passé avec l'Occident est de contenir l'Iran dans ses retranchements, même si les six pays signataires (7 - 1) de l'accord sur le nucléaire semblent résister au chantage de Monsieur Trump. Il convient toutefois de suivre de près ce bras de fer. Mais il s'avère d'ores et déjà qu'à moins d'une re-configuration révolutionnaire de la géopolitique du XXIe siècle qui pousserait l'Europe à se rapprocher de la Russie, de la Chine et de l'Inde (mettant fin à une bi-polarité qui devait en principe disparaître avec la destruction du mur de Berlin), le mouvement brownien des alliances et contre-alliances de circonstance profiteront à l'Oncle Sam. Trump, en voulant rencontrer Poutine, n'est-il pas en train de barrer la route à une éventuelle recomposition des rapports de force ? Nul n'est devin pour prédire l'avenir, mais il est clair aujourd'hui que le tandem ISRAËL-USA poursuivra sa machine de guerre sans répit.

Dans un tel paysage mouvant, une constante s'impose: l'ennemi juré, c'est l'Iran. En quoi, la religion chi'ite est-elle dommageable à l'Occident chrétien ? Pourtant, c'est dans la sphère sunnite que se sont déployées les idéologies de la violence contre «l'ennemi de l'extérieur», même si le sunnisme d'obédience malikite n'est nullement responsable de ces débordements liberticides.

A l'évidence, les puissances occidentales ont toujours été prêtes à absoudre l'idéologie wahhabite nonobstant son caractère «barbare» å leurs yeux, car, pétrole oblige, ces «bédouocrates» restent de bons clients, prêts à venir à la rescousse financière des donneurs d'ordre et à remplir les bons de commande. Même les clubs sportifs, footballistiques notamment, se félicitent de leur mécénat.

Alors de quoi l'Iran est-il coupable ? Rappelons que l'Irak de Saddam Hussein a été armé principalement par les Etats-Unis pour envahir l'Iran dans les années 80. Une fois le sale boulot terminé, Saddam a été non seulement lâché, mais anéanti.

Ainsi s'est pratiquée la guerre par Etats interposés, la religion servant de prétexte, dont la résonance culturelle est néanmoins forte dans les pays d'Orient et sa manipulation toujours possible å moindres frais.

Le dilemme iranien ne peut s'expliquer que par le fait que, malgré sa situation économique difficile, malgré les boycotts tous azimuts, ce peuple reste le seul encore debout, le seul à tenir tête pour restituer sa dignité, enfin le seul à préoccuper l'Etat d'Israël. L'Amérique de Trump est décidée à prêter main forte à ce dernier aussi longtemps que l'Iran ne s'est pas couché. Dans ce bras de fer insensé, les roitelets arabes assurent l'intercession logistique.

Par ce bref rappel, j'espère avoir apporté la pédagogie toute simple que critique externe et critique interne sont dialectiquement liées.

*Universitaire