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Réfugiés, immigration : les grandes hésitations de l'Europe

par Pierre Morville

L'errance navrante au cours du mois de juin du bateau Aquarius qui transportait plus de 600 réfugiés africains, rejeté par différents pays européens pour finir par trouver un port d'accueil en Espagne, a relancé avec vivacité les débats dans les milieux politiques sur les capacités d'accueil des pays européens, et plus généralement sur tous les sujets concernant l'immigration.

Dernier épisode : la crise politique qui a, début juillet, secoué en Allemagne le gouvernement de Mme Merkel. Ce gouvernement repose sur une alliance entre l'Union chrétienne-démocrate (CDU, le parti d'Angela Merkel) et son allié bavarois, l'Union chrétienne sociale, formation beaucoup plus conservatrice (CSU). Le leader de cette dernière formation, Horst Seehofer, a menacé de démissionner de son poste de ministre de l'Intérieur, si le gouvernement de Mme Merkel ne durcissait pas sa politique d'immigration. Lors des conflits en Syrie, en Irak et en Libye, la chancelière avait surpris sa propre opinion publique en prônant une politique très ouverte d'accueil en Allemagne, des réfugiés fuyant ces différents conflits. Cette période est terminée. Angela Merkel, pour sauver son gouvernement, a nettement durci sa politique d'accueil. L'accord entre les deux formations prévoit notamment que les demandeurs d'asile arrivant en Allemagne mais déjà enregistrés dans un autre pays de l'Union européenne soient renvoyés dans le premier pays d'accueil et en cas de refus de celui-ci, les réfugiés seraient alors placés dans des «zones de transit» situées à la frontière de l'Autriche. Faut-il que l'Autriche soit d'accord, ce qui ne semble évidemment pas le cas. Herbert Kicki, ministre de l'Intérieur autrichien et membre du parti d'extrême droite, le FPÖ, a immédiatement répliqué, cité par Le Monde : «Si l'Allemagne pense qu'on peut refouler des gens vers l'Autriche en foulant aux pieds le droit international, alors nous expliquerons aux Allemands que nous n'accueillerons pas ces gens-là».

Depuis 2015, l'arrivée de migrants ou réfugiés arrivés en Europe par la mer sont estimés à 1,6 million de personnes. Un chiffre qui pourrait être relativisé au regard de la démographie européenne : au 1er janvier 2017, la population de l'Union européenne (UE) est estimée à 511,8 millions d'habitants par Eurostat. Selon les chiffres de 2016, toujours d'Eurostat, quelque 700.000 réfugiés ont déposé une demande en Allemagne. Ils sont 125.000 à l'avoir fait en Italie, 40.000 en Autriche, 30.000 en Hongrie et seulement environ 10.000 en Espagne. Avec 100.000 demandes enregistrées en 2017 (contre 75.000 en 2016), la France se situe donc dans la moyenne haute en matière de demandes déposées. Mais l'Italie reste le principal point d'entrée en Europe des réfugiés marins, même si une minorité choisit de rester en Italie. Le flux constant des réfugiés dans ce pays reste donc très important suscitant des réactions d'inquiétude, voire xénophobes dans la population italienne. L'Italie s'est finalement dotée d'un gouvernement, trois mois après des élections parlementaires «marquées par une volonté populaire d'un grand coup de balai. Dirigé par un juriste inconnu, Giuseppe Conte, ce gouvernement est une coalition entre les deux forces politiques qui avaient bénéficié du vote «anti-système» : les populistes du Mouvement 5 Etoiles (M5S) et la Ligue, parti d'extrême droite. A eux deux, ils ont recueilli plus de 50% des voix», comme le rapporte Musli Man, sur le site Mediapart.

La montée des mouvements d'extrême droite est sensible dans toute l'Europe et notamment en France où Marine Le Pen, la dirigeante du Front national, a recueilli 34% des voix lors du second tour de l'élection présidentielle qui l'opposait à Emmanuel Macron. C'est un succès inquiétant, même si l'on sait qu'il y a eu une abstention record lors de ce scrutin (un électeur sur quatre ne s'est pas déplacé, il s'agit de la plus forte abstention pour un second tour depuis l'élection présidentielle de 1969). Toujours est-il que le Front national est définitivement installé dans le paysage politique français.

Conséquence ou non de cette montée de la xénophobie, les différents gouvernements de gauche ou de droite qui se sont succédé ont mis en place des mesures croissantes de contrôle dans le domaine de l'immigration ou de l'accueil des réfugiés. Et la «rétention», c'est-à-dire la mise en prison ou dans des zones fermées sous contrôle, sans décision de justice et la libre disposition de l'Etat, est devenue d'une grande banalité. «L'année 2017 a été marquée par une forte augmentation du nombre de personnes placées en rétention en métropole et par des violations des droits qui ont atteint un niveau inégalé depuis 2010», constate le rapport annuel sur les centres et locaux de rétention administrative, rapport établi par six associations qui interviennent dans ces lieux d'enfermement. Au total, 46.800 personnes y ont été enfermées, dont 26.474 en métropole (+ 10% par rapport à 2016) et 20.383 outre-mer, ce qui fait de la France «le pays qui a le plus recours à l'enfermement» de l'Union européenne.

Cette réalité souligne un peu plus l'hypocrisie consternante dont a fait preuve Emmanuel Macron lors de la dernière polémique qu'il a eue avec les dirigeants italiens. Ces derniers se sont indignés des déclarations du président français, selon lesquelles l'Italie «ne vit pas une crise migratoire mais une crise politique» alimentée par «des extrêmes qui jouent sur les peurs». Macron a critiqué l'Etat italien pour son absence de générosité vis-à-vis des réfugiés tout en lui fermant solidement les portes de l'accès en France à ces mêmes réfugiés ! «Si pour l'arrogant président Macron cela n'est pas un problème, nous l'invitons à cesser ses insultes et à prouver sa générosité par les faits en ouvrant les nombreux ports français et en cessant de refouler hommes, femmes et enfants à Vintimille», à la frontière franco-italienne, lui a répliqué le ministre italien de l'Intérieur Matteo Salvini.