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20 ans pour le meurtre d'un Camerounais à Tafraoui

par M. Nadir

Malgré de brillantes plaidoiries, appuyées sur de solides preuves à décharge, les avocats des accusés Dj. n'ont pas réussi à obtenir l'acquittement de leurs clients des chefs d'accusation de meurtre avec préméditation sur la personne d'Angel Marcel Alain, Camerounais de 32 ans, découvert mort sur le bord de la route entre Oued Tlélat et Tafraoui. Les avocats avaient pourtant de sérieuses raisons d'espérer, le représentant du ministère public n'ayant lui-même requis aucune peine contre les trois mis en cause, se contentant de réclamer du tribunal l'application de la loi. Retour sur un procès pas comme les autres.

Dénonciation de crime

En novembre 2016, le dénommé Dj. Houari, 45 ans, se rend à la brigade de la gendarmerie de Tafraoui pour annoncer avoir assisté à la séquestration, la torture et le meurtre d'un Subsaharien commis quatre mois plus tôt par son oncle Adelkader et ses deux cousins Mahieddine et Abderrahim dans leur ferme de Tafraoui. Il raconte que son oncle et ses deux fils avaient retenu le migrant dans une étable pendant trois jours, le rouant de coups jusqu'à ce qu'il meurt : «Ils l'avaient entravé à un pilier avec des chaînes servant au bétail et l'ont battu pendant trois jours parce qu'ils lui réclamaient 20 millions de centimes», explique Houari en avouant avoir pris part à une partie de ce crime en aidant son cousin Mahieddine à se débarrasser du corps. «Ils voulaient le brûler mais je le leur ai suggéré de jeter le corps au bord d'une route», affirme encore Houari. A la mi-juillet 2016, les gendarmes de Tafraoui avaient, en effet, reçu un appel anonyme les avertissant de la présence la dépouille d'un migrant sur le bord de la route menant de Tafraoui vers Oued Tlélat. Un corps en état de décomposition avancé sera, en effet, trouvé à l'endroit indiqué. Il est transféré à la morgue pour autopsie.

Les suspects rejettent les accusations

Interpellés, Dj. Abdelkader, 66 ans, ses deux fils Mahieddine, 29 ans, et Abderrahim, 36 ans, nieront en bloc les faits qui leurs sont reprochés. Non, ils n'ont pas séquestré un migrant, non, ils ne l'ont pas torturé et non, ils ne l'ont pas tué. «C'est un coup monté de Houari. Depuis 15 ans, un différend nous séparent de lui et des ses cousins parce qu'ils se sont accaparés un terrain m'appartenant sur lequel ils ont construit une maison. Nous avons porté l'affaire devant la justice en son temps et je viens de porter plainte pour le vol d'une pompe à eau d'une valeur de 180.000 DA», expliquera le père Abdelkader en disant sa conviction que cette dénonciation mensongère participe d'une volonté de règlement de comptes.

Les enquêteurs interrogeront également R. Bloufa, 48 ans, employé comme gardien dans la ferme de la famille Dj. Il confortera les accusations portées par Houari en affirmant avoir vu Abdelkader, ses deux fils et Houari amener à la ferme un homme de couleur et le mettre à l'étable. Comme il dira avoir entendu les hurlements d'un homme se faisant torturer provenant de l'étable en question au moment où les quatre hommes s'y trouvaient avec le migrant. Cependant, lors de l'interrogatoire sur le fond, il reviendra sur ses déclarations et soutiendra que c'est Houari qui l'a forcé à produire ce faux témoignage sous peine de l'incriminer lui aussi.

L'autopsie a parlé

Entre-temps, l'autopsie effectuée en juillet par le médecin légiste sur le corps du Camerounais a dévoilé plusieurs détails troublants. D'abord, l'état de décomposition avancée de la dépouille contredit les déclarations de Houari selon lesquelles la victime serait morte le 18 juillet 2016. Ensuite, les vêtements trouvés sur le mort étaient radicalement différents de ceux décrits par Houari : il ne portait pas une abaya et un pantalon noir mais plutôt un pull jaune, une ample chemise bleue et un bermuda. Et surtout, l'examen médico-légal n'a pas trouvé trace de contusions, traumatismes ou blessures pouvant être provoqués par des coups assénés par une barre de fer tel que Houari l'avait affirmé. Enfin, conclusion capitale pour la suite de l'enquête, le médecin légiste n'a pas été en mesure d'attester que le défunt a succombé à une mort violente, encore moins un meurtre.

Malgré tout, les quatre suspects seront inculpés de meurtre avec préméditation suivant les articles 254, 255, 256, 257 et 261 du code pénal et R. Bloufa sera poursuivi pour non-dénonciation de crime conformément à l'article 181.

«Un règlement de compte», selon Dj. Abdelkader

A l'audience, Dj. Houari maintiendra ses allégations en multipliant les détails sordides sur la manière avec laquelle le Camerounais aurait été accroché au palan de l'étable, ses hurlements de douleur provoqués sous les coups portés par Abdelkader et ses fils. Il racontera également, avec des gestes très évocateurs, comment le supplicié était affalé sur le pilier, incapable de tenir debout, et comment, après avoir succombé à trois jours de violences, le mort a été installé sur le siège arrière de la Chevrolet Sail pour être emmené et jeté en bord de route à trois heures du matin de ce juillet 2016.

Dans leurs dépositions, les suspects continueront de nier le meurtre et accuseront Houari de vouloir se venger du différend portant sur la portion de terre et de la plainte portée pour le vol de la pompe à eau. «Si j'avais voulu me débarrasser de quelqu'un, pourquoi serais-je allé demander l'assistance d'un cousin qu'un différend me sépare de lui depuis bientôt 15 ans, alors que j'ai six fils ?», s'est interrogé Abdelkader en jurant être innocent des faits qui leurs sont reprochés.

R. Bloufa, atteint d'un cancer, réitérera ses déclarations selon lesquelles il avait fait un faux témoignage sous la menace de Houari.

Une question demeurera cependant sans réponse : pourquoi Houari s'est-il impliqué lui-même, risquant ainsi la peine capitale ?

Le parquet réclame l'application de la loi pour le père et les fils

Dans son bref réquisitoire, le représentant du ministère public requerra la peine capitale contre Dj. Houari, 5 ans contre R. Bloufa, et, fait rare dans les annales de la justice, l'application de la loi contre les trois autres accusés, considérés pourtant comme étant les principaux mis en cause dans cette affaire de meurtre avec préméditation.

Dans leurs différentes plaidoiries, les avocats de la défense s'appuieront sur le rapport d'autopsie dont les conclusions mettent à mal les assertions de Dj. Houari ?surtout qu'elles n'évoquent pas de meurtre- remarqueront que l'accusation se base uniquement sur les déclarations de Houari et ne présente aucune preuve matérielle reliant leurs clients à Angel Marcel Alain et qualifient les accusations de Houari de divagations. Ils demanderont l'acquittement pur et simple de leurs clients.

Alors que l'avocat de R. Bloufa plaidera également l'acquittement de son mandant qui «a produit un faux témoignage sous la menace de Houari», le défenseur de celui-ci, manifestement dans une position inconfortable, jettera presque le doute sur la crédibilité de son client et plaidera l'application de la peine. Après délibérations, le tribunal criminel considérera, à la surprise générale, que le témoignage de Dj. Houari est crédible et déclarera tout les accusés coupables des faits qui leur sont reprochés. Il condamnera tous les membres de la famille Dj. à 20 ans de réclusion criminelle et R. Bloufa à deux ans ferme.