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Touati, c’est plus facile !

par Kamel DAOUD

Eté dur comme une pierre sur la tête. Le ciel est une sueur sur la nuque et le corps la moitié d’un mur sur les épaules. Il faut chercher de l’ombre comme on cherche, depuis 62, une solution au pays. Les arbres sont comme les derniers fuyards face au déboisement national. Les sujets du jour, du pays, vous immobilisent comme des dizaines de ronds-points. Première piste pour un bon sujet de chronique : Ouyahia ou l’homme qui a avalé tous ses os, depuis 1990 et qui peut vous dire que la terre est plate en 90, la terre est ronde en 95, la terre est une semelle en 2000 et la terre est un complot et un triangle en 2018. L’homme qui peut soutenir toutes les positions et n’en avoir aucune. Le premier répondeur automatique de la nation. Etrange intuition du chroniqueur : si cet homme est si verbeux, c’est que son pessimisme est total. Sa parole est destinée, obscurément, à convaincre un homme qui ne le croit pas depuis des décennies : lui-même.

Autre sujet : la Coupe du monde de football en Russie. C’est à dire l’équipe tunisienne qui prie avec ferveur, comme pour provoquer de la pluie dans les vestiaires. L’idée de Dieu ayant servi aux illuminations mystiques, aux fables anciennes, aux livres sacrés, aux lois, temples et philosophies, elle sert maintenant à jouer au ballon. Peut-on dégrader l’idée du divin jusqu’à faire d’Allah un arbitre qui peut tricher pour faire gagner les gens qui prient sur les gens qui s’entraînent ?

Fabuleux abîme du bigotisme que ces prières aux vestiaires, ces prosternations sur le gazon. Abaisser l’idée d’un créateur à celui d’un supporter de football ? Impliquer le divin dans un score est la pire insulte que l’on peut faire à la raison ou même à ses propres raisons. Que valent, alors, ces signes ostentatoires de la bêtise ? Elles sont preuves de la conscience morte du joueur, du croyant, de «l’arabe» organique, du fervent. Croire qu’on peut gagner un match en priant les yeux fermés, en se croisant les bras dans les vestiaires et les jambes dans son pays, est la dernière étape de nos défaites depuis la chute de Grenade, date fétiche du désespoir dans le monde dit «musulman». C’est, aussi, le triomphe de ce populisme magique qui veut les plus grandes mosquées du monde, les bras les plus courts face aux chantiers les plus urgents, l’histoire la plus glorieuse mais au passé, convertir le monde à La Mecque mais se réfugier à Oslo, rêver du paradis et jeter ses poubelles par la fenêtre, «libérer» la Palestine mais avec la salive et en lapidant les siens propres. Le Mondial en cours, ayant au moins prouvé une thèse théologique non négociable : Dieu ne joue pas au foot avec les «arabes», ni avec les étoiles. Bien sûr, on va rétorquer que les «autres» prient aussi. Mais c’est presque toujours pour consolider une ferveur, retrouver une foi et une confiance, pas pour que Dieu joue à notre place. Passons.

Le vrai sujet du jour est Merzoug Touati, ce blogueur condamné à sept ans de prison pour intelligence avec ennemi. Traduire un Skype, une discussion avec un Israélien. La presse conservatrice en a fait le traître du pays et le régime en fait un cas d’exemple contre les blogueurs locaux. Résultat : après la «nekba», les désastres militaires, les guerres perdues avec la langue longue, les défaites technologiques et diplomatiques, la poignée de main durant l’enterrement de Hassan 2, vite censurée, les vantardises et le commerce sur le dos des cadavres palestiniens, sous l’enseigne des islamistes et du Calife de Turquie, on a trouvé le coupable parfait de nos antisémitismes simplistes et déguisés et de nos solidarités sélectives : Merzoug Touati. C’est Nasser qui perd, mais c’est Merzoug qui paye. Ce jeune Algérien, même pas né à l’époque de la guerre panarabe, paiera de sept ans de prison toutes les défaites des autres et leurs bavardages. C’est plus facile, moins coûteux et c’est un signe pour les autres blogueurs du pays.

Oui c’est le sujet du jour, du siècle même. A méditer car ce jeune prisonnier est le reflet de nos sorts. Nous nous sommes tous condamnés en le condamnant à notre place.