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Agriculture : réalité et perspectives (Suite et fin)

par Slemnia Bendaoud *

Mais comment y parvenir ?

La réponse à la question posée est d'agir simultanément à travers les axes :

- De la généralisation et l'accélération de la mise en œuvre de la concession et accession à l'exploitation des terres agricoles relevant du domaine public ;

- De dépouillement du secteur de l'agriculture de toutes les entraves bureaucratiques et autres formules de soutien détourné de sa réelle destination ou utile vocation ;

- De la disponibilité des pouvoirs publics à encourager les fellahs à investir dans des créneaux de la « souveraineté alimentaire », sans jamais interférer dans le marché comme on le constate à présent à travers des « prix administrés », en optant plutôt leur libre commercialisation, mais aussi en pensant en faveur d'autres formules de soutien de leurs prix au stade de la consommation au profit des couches de population défavorisées ;

- De l'encouragement de l'agriculture de montagne dans son aspect bio pour les produits susceptibles d'être éligibles à l'exportation, grâce à leur caractère d'être très hâtifs, plus rémunérateurs, moins coûteux et bien souvent très peu concurrencés par des produits étrangers ;

- De la préparation du sol et des différentes opérations liées à son exploitation par les pouvoirs publics dans les zones du sud du pays, connues à travers leurs énormes potentialités agricoles, à l'effet d'y installer en formules associatives le produit de nos universités et autres grandes écoles (les jeunes ingénieurs) spécialisées dans la formation en agronomie ;

- De la création et mise en place de toute l'infrastructure de soutien nécessaire à l'exportation des produits agricoles, notamment au sein des zones de l'intérieur et du sud du pays, tout en les dotant de moyens aratoires, de collecte, de stations de fret et d'expédition, d'avions-cargos, de centres de traitement, de contrôle de qualité sur site, de conditionnement et même d'approche en termes de « trading », marketing, publicité et autres moyens de promotion de la production agricole nationale ;

- De la reconquête systématique des marchés internationaux grâce à la réhabilitation de nos produits agricoles, autrefois labellisés, qui faisaient naguère la fierté de notre économie rurale et de ses vaillants paysans ;

- De l'anticipation des pouvoirs publics à encourager à travers plusieurs formules les investissements de nature à absorber et surtout valoriser le produit agricole algérien à l'effet de mieux le préparer à se conformer aux standards internationaux, de sorte à très rapidement devenir compétitif grâce à l'amélioration de sa qualité et autre forme liée à sa présentation sur les étals du marché ;

- De la faculté des responsables de l'agriculture à aller vers l'accroissement substantiel de la superficie exploitée, en vue de sensiblement augmenter l'offre nationale en produits agricoles, avec cependant la présence d'esprit du souci de l'intégrer dans des schémas d'une économie moderne et compétitive ;

- De l'obligation de penser, de réaliser et d'entretenir, à l'instar des réseaux de pêche déjà existants, tout un ensemble de fermes aquacoles modernes, à l'exemple de ce qui est réalisé par nos voisins de la Méditerranée, pour y cultiver les espèces et variétés de poissons propres à notre rivage et à fort potentiel économique halieutique ;

- De la réflexion profonde au sujet de l'apport du système associatif paysan, et notamment l'apport des CUMA (coopératives d'utilisation du matériel agricole) dans l'organisation de la collectivité des fellahs en de petites coopératives spécialisées intégrées à des groupements d'intérêt commun (GIC), susceptibles de renforcer leur cohésion et de conjuguer leurs efforts pour les concentrer sur des objectifs communs ;

- De l'obligation des responsables du secteur de l'agriculture à mieux valoriser, sélectionner et améliorer les races et espèces locales dans l'optique d'en faire de vrais produits du terroir, compétitifs et très représentatifs du symbole de notre production nationale à l'étranger ;

- De l'innovation en matière d'élevage du cheptel laitier (introduction de la production du lait de chèvre dans le fermage), en raison des spécificités propres à certaines régions montagneuses et steppiques, en mesure de servir d'appoint à la collecte du lait de vache, plus coûteux et dont le fermage reste peu accessible au petit fellah ;

- De la recherche multiforme et très poussée à apporter aux produits agricoles jugés comme très puissants ou performants, capables à travers leur volume ou leur prix à l'exportation de convenablement tenir la comparaison avec des tiers, sinon à les suppléer durant leur période d'absence pour raison de saisonnalité sur les marchés européens (le cas des primeurs, des produits du terroir, ceux en hors saison, etc.);

- De la stratégie de motiver nos chercheurs et agronomes à mieux s'investir dans des créneaux de recherche tendant à créer, améliorer et constamment développer la génétique de nos semences, plants, races et espèces animales sur lesquels doit reposer l'avenir du secteur agricole ;

IV- L'impératif de mécaniser et l'obligation de standardiser :

Se projeter dans l'optique de privilégier notre consommation alimentaire à base de produits agricoles manufacturés, présuppose déjà une suppression progressive du vrac jusqu'à totalement les exclure d'une quelconque place sur l'étalage (du moins pour les produits à très large consommation). D'où la nécessité de mettre en œuvre de manière rapide et très réfléchie toute une infrastructure de chaînes équipées de lignes de calibrage, de traitement, de conditionnement et de mise sous emballage de nos produits agricoles concernés.

Faut-il également rappeler que le vrac constitue manifestement ce « produit encore brut » qu'il s'agit de dépouiller de ses nombreux déchets et corps étrangers, pour ensuite le brosser, le calibrer et éventuellement le laver, bien avant de le présenter dans son emballage approprié au consommateur, en sus de l'identification et de la traçabilité dont il doit faire l'objet, lesquelles sont obligatoirement indexées au colisage et qui tiennent lieu de support à son exposition et mise en vente aux différents stades de sa distribution.

La mécanisation de l'agriculture, autant en amont (labour, travail de la terre, récolte) qu'en aval (traitement, manipulation, stockage et conditionnement), permet de progressivement élever le produit algérien au niveau des standards internationaux ; paramètres qualitatifs exigibles quant à son placement assuré et garanti sur les marchés internationaux.

Dans l'intervalle de se hisser à ce niveau de performance pour sa mise en conformité aux normes internationales exigées en la matière, notre agriculture est dans le devoir de s'inscrire dans ce schéma de développement qui lui assure, à la fois, sa mécanisation quant aux travaux du sol mais aussi la standardisation de ses produits au stade de leur commercialisation.

Car le vrac est aujourd'hui considéré comme un produit brut. Tel un produit agricole semi-fini ! Il est destiné dans certaines sociétés consommatrices exclusivement aux industriels de l'agroalimentaire, plus connus sous la dénomination de transformateur.

Aussi la vente sur champ de l'exploitation de tout produit agricole donné est devenue une pratique assez rare, dès lors que les traiteurs, intermédiaires incontournables de toutes les filières, sont les acteurs principaux tout indiqués pour s'occuper de cette tâche. Et même si en Algérie ces métiers-là restent méconnus ou tout nouveaux au niveau de certaines filières et régions spécifiques, il n'en demeure pas moins que leur développement reste intimement lié à celui de la mécanisation des méthodes d'exploitation et équipements de cueillette et moissons utilisés par l'agriculteur.

Du fait que leur métier exige d'eux d'intervenir directement sur site (c'est-à-dire sur le champ de l'exploitation) en leur qualité de maillon régulateur de la sphère de transformation, stockage et distribution.

Loin de constituer un intermédiaire supplémentaire qui allongerait déraisonnablement la chaîne de production et de distribution du produit concerné, il (le transformateur) participe de manière active et surtout durable à l'absorbation d'un tonnage considérable de nature à plus que jamais pousser l'agriculteur à systématiquement étendre au maximum les superficies cultivées, en vue de répondre à ses besoins chiffrés et contractualisés.

Sa présence allègera sensiblement le fardeau des petits fellahs qui ne savent, les pauvres, encore à quel saint se vouer pour complètement se débarrasser de leur produit, faute de circuits de distribution cohérents et performants et aussi de prix intéressants, au moment des récoltes, lesquelles coïncident le plus souvent avec l'arrivée des grandes chaleurs estivales.

Mais se préparer à reconquérir un quelconque territoire à recouvrer ou un prestige à faire de nouveau valoriser requiert toute une nouvelle dynamique à impulser au secteur et surtout une stratégie d'approche à mettre sur place.

En apport à l'action interne à mener (impact sur les sols, la révision des méthodes et ses techniques culturales, les itinéraires techniques à conduire et ou à respecter, la réorganisation des branches d'activité, l'instauration de circuits de distribution fiables et très souples, la présentation du produit agricole aux différents stades de sa distribution -gros, demi-gros et détail- dans son aspect manufacturé), la valorisation de nos produits agricoles à l'étranger passe par une approche commerciale des plus pointues, grâce au retour aux comptoirs commerciaux au niveau des zones à forts échanges avec de nombreux partenaires étrangers, en sus du concours précieux lié à la mise en œuvre de toutes les nouvelles techniques de marketing qui doivent accompagner pareilles initiatives.

Comme quoi : savoir produire des produits agricoles manufacturés de premier choix est une chose ; savoir les placer sur les marchés extérieurs en est une autre.

V- De la nécessité de l'Algérie à vraiment croire en l'or vert :

Nul doute que la vieille Histoire constitue la mémoire des jeunes générations. La recouvrer devient dès lors une obligation, en vue d'assurer la pérennité de la Nation. S'y investir totalement à l'effet d'en améliorer les aspects perfectibles, se situe dans le prolongement du travail accompli par nos aïeuls.

De l'enchaînement de toutes ces actions relevant de plusieurs générations dépend cette raison évidente de vraiment bien croire en l'or vert. Dans la perspective d'ouverture de ces nouveaux horizons, un travail préparatif de longue durée attend de pied ferme les différents acteurs de notre secteur agricole.

Se concentrer sur l'exploitation judicieuse de nos meilleurs atouts constitue déjà un vrai gage de réussite pour toutes les actions que nous entreprenons. Mais croire en nos véritables possibilités ne symbolise-t-il pas cette clef de voûte qui nous ouvre la voie à la réalisation de nos projets futurs ?

Il reste que la volonté qui doit accompagner et encadrer nos actions sur le terrain des opérations demeure un préalable important dans toutes nos projections futuristes. Ne dit-on pas que la ténacité est la clef de la réussite ? Et pour l'avoir, il s'agira de bien y croire ! Il faut être armé de cette « grinta » des grands et vaillants entrepreneurs qui entretient la « flamme de l'espoir », née d'une indéfectible fibre nationaliste.

Trouver le vrai substitut aux hydrocarbures en ces produits agricoles requiert de notre part une tout autre mentalité que celle ayant prévalu dans notre quotidien jusqu'aux temps présents. Cette démarche nous impose d'être désormais plus offensifs, plus agressifs, vraiment entreprenants et totalement engagés dans ce grand projet d'avenir. Telle est donc la seule voie qui garantit une agriculture qui produit de la richesse au lieu de vivre au crochet du produit des hydrocarbures, qui réalise de la plus-value au lieu d'en consommer une bonne partie de celle dégagée par les autres secteurs d'activité, qui s'impose comme la cheville ouvrière de notre économie plutôt que de dépendre des tiers, et surtout de l'étranger. Recouvrer notre vocation agricole demeure un impératif de tout premier ordre. Une entreprise qui est plutôt dans nos cordes. A charge pour nous de nous organiser de la meilleure façon possible afin de faire valoir notre détermination à puiser aux fins fonds de nos tripes et de notre histoire ancienne cette volonté inébranlable de nous prendre désormais nous-mêmes en charge.

Il s'agit maintenant de tourner définitivement cette vieille page de l'or noir (sans jamais la déchirer car encore utile pour les futures générations) afin de mieux se préparer à conjuguer nos efforts, en vue de réussir à rapidement basculer dans le berceau et giron de l'or vert.

Cependant, se projeter dans ce nouvel univers -qui n'est nullement un saut dans le vide- implique de notre part un grand sacrifice à consentir mais aussi un tout nouveau comportement qui aura la latitude de vraiment bousculer nos habitudes d'entreprendre et de réflexion.

Il y a lieu d'évacuer de notre imagination ce sentiment de vraiment compter sur ce gros pognon soustrait à la rente pétrolière ou même celui produit par la sphère de la spirale de la spéculation propre à l'agriculture, lesquels conjugués à eux-mêmes ou l'un dans l'autre auront tout le temps agi dans le sens de tenir en otage le développement de notre secteur agricole.

Dans la mesure où de nombreux opérateurs privés, ayant trop longtemps sucé les mamelles du soutien du secteur agricole jusqu'à en devenir de vrais barons du monopole de certains produits agricoles, tentent encore par des moyens peu orthodoxes d'imposer ce statu quo qui arrange leurs affaires et fructifie leur argent.

Et si le challenge en vaut la chandelle, il n'en demeure pas moins que l'épreuve difficile qui attend les acteurs du secteur de l'agriculture leur impose d'aller à la recherche de ce sang nouveau, seul à même de mettre en échec ces vieilles habitudes qui ont la peau dure !

S'il est admis qu'il nous faut de l'intelligence pour gagner honnêtement de l'argent, il nous faut, par contre, de la culture pour aller le chercher là où il se trouve. Et lorsque notre agriculture en regorge, il n'y a qu'à explorer ces niches d'opportunités qui ne demandent qu'à être exploitées.

Le retour des produits agricoles algériens au sein de cette très relevée sphère des grands échanges commerciaux aura pour effet de mieux les préparer à la compétition, tenant compte à la base, bien évidemment, de leur valeur nutritionnelle et autres avantages liés à leur climat et sol de leur culture de grand choix.

Une projection aussi sérieuse est condamnée à s'appuyer sur les expériences déjà réussies en Algérie, en vue d'en constituer le véritable noyau autour duquel viendront s'articuler et se greffer d'autres expériences en phase d'expérimentation, à l'effet de constituer ses prolongements naturels. Un constat mérite tout de même à rappeler, au sujet de ce qui prévaut dans les temps présents au sein de notre agriculture :

Jadis grande exportatrice à travers le monde entier du fruit de son labeur assaisonné à la sueur de ses valeureux paysans d'antan, elle se voit, de nos jours, confinée dans le rôle de servir de réceptacle à ces semences de produits agricoles déclassés lui parvenant de l'Occident, ce qui risque à terme de pourrir son sol béni et déclasser ses grandes performances économiques, autrefois imposées de droit au niveau des grands marchés mondiaux du secteur de l'agroalimentaire.

Croire en cet or vert vraiment salutaire pour le devenir du pays implique un retour aux sources. Un retour engagé et vraiment déterminé à redorer un blason terni par ces mauvaises pratiques ou solutions qui auront beaucoup nui au secteur de notre agriculture, afin de désormais en faire la cheville ouvrière et porte-étendard de notre économie.

Voir grand, à hauteur de l'immensité de la dimension du territoire que nous avons, ne doit jamais nous effrayer dans notre démarche à entreprendre, à charge pour nous de savoir en exploiter judicieusement tout cet énorme potentiel que recèle ce pays-continent, notamment dans le secteur relevant de l'exploitation de son foncier agricole.

Se réapproprier une aussi ancestrale vocation, si chère à notre longue Histoire, ne revient-il finalement pas à récupérer quelque chose d'intime : une partie de soi-même ?

L'économie en a vraiment besoin. L'Histoire en est témoin !

*Agriculteur, auteur, traducteur