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La seule, la vraie, la grande question en Algérie (ou ailleurs)

par Kamel DAOUD

Comment sauver ses enfants ? On reconnaît la durée de vie d’un pays à la réponse à cette question. Pas seulement d’ailleurs : dès que cette question est posée, le compte à rebours est déclenché sous la peau. Il reste discret, poli dans sa formule, habillé d’un drapeau ou d’une vantardise, mais il est là. On peut continuer à se mentir mais l’instinct filial reprend le dessus et fait exploser la vérité sous les conjugaisons.

Cette question terrible se pose en Algérie pour chacun depuis quelques années : dans le choix de l’école, du pays, des fruits et légumes, de la vie après l’adolescence. C’est le procès le plus violent fait au nationalisme le plus menteur. Chacun y pense, en secret, sous l’unanimisme ambiant. Sauver ses enfants des prêcheurs, des cagoulées en tchador qui conduisent les voitures masquées comme des ombres, des charlatans, de la violence ambiante, des insultes et des herbes mortes. On peut crier à la haine de soi chez le chroniqueur, mais ceux-là mêmes qui s’en font les champions sont les premiers à mettre leurs enfants dans des bulles puis à les exiler pour continuer à clamer l’hymne national et à pendre les différents.

Sauver ses enfants.

C’est la définition avancée par le chroniqueur il y a quelques temps : un pays n’est pas le lieu du drapeau, mais l’endroit où l’on rêve de voir grandir ses propres enfants. Et quand un pays en arrive à discuter uniquement des cuisses des femmes, des réserves de change qui restent à manger et de l’importation de viande pour contrer les rages du ramadan, des fatwas et « imameries », de caméras cachées barbares, c’est qu’on est une réserve, ou un estomac ou une cellule morte et barbelée.

Dure de le dire et l’écrire. La raison ? La vanité est puissante. Le narcissisme des élites est ravageur, la susceptibilité post-coloniale est devenue une pathologie signe de l’asociabilité internationale.

Voilà, il fallait le dire. Crûment : tant qu’on ne veut pas que nos enfants restent ici, grandissent et vivent, nous ne pouvons pas dire que nous avons un pays ou que nous en avons encore un sous la main, le pied et l’échine quand on dort. Tout le reste est blabla, ministère des Moudjahidine, discours lus à la place de Bouteflika, GIA idéologiques et médiatiques, licences de taxi, ANSEJ, mandats à vie et à mort et ablutions pour se laver les mains de ses propres responsabilités.

On peut aussi résoudre le problème en n’ayant aucun enfant. Mais la vie y aura le sens d’un pneu crevé.

On y cèdera à la folie de réclamer des ancêtres à chaque mot et se croire éternel.