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Concurrence, régulation et développement de l'emploi en Algérie

par Boutaleb Kouider*

Le laboratoire de recherche Gouvernance publique et économie sociale (GPES) de la faculté des sciences économiques et de gestion, université Abou Bakr Belkaïd, Tlemcen, dirigé par notre collegue et vieil ami le professeur Ahmed Touil, a organisé une journée d'étude sur une problématique d'importance sous l'intitulé «Concurrence, régulation et développement de l'emploi en Algérie», en date du 18 Avril 2018.

Cette journée d'étude fait suite à quatre autres qui ont traité respectivement dans la 1ère édition « des politiques sociales », suivie de « problématique du rendement des dépenses publiques à caractère social », dans la troisième « de l'emploi des jeunes » et la quatrième édition, « étude et analyse du déficit budgétaire », dont les communications après avoir été évaluées et corrigées sont publiées dans la revue du laboratoire, revue qui devrait intéresser tous les cadres gestionnaires aupres des institutions chargées de la mise en œuvre des politiques sociales de l'Etat.

Ceci étant, cette cinquième journée d'étude, comme tant d'autres organisées régulierement par la faculté des sciences économiques et de gestion de l'université de Tlemcen, dans le cadre des activités des laboratoires, est passée presque inaperçue. Pourtant, avec la présence du professeur Ahmed Touil, directeur du laboratoire GPES, initiateur de la journée d'étude, de notre doyen Mohamed Benbouziane qui accorde beaucoup d'importance à ce type de manifestation scientifique, de notre collègue et vieil ami le professeur Nasreddine Beddi, de Nasreddine Hammouda (un des meilleurs sinon le meilleur statisticien économiste, spécialiste incontesté de marché du travail et des mouvements migratoires), de la jeune et dynamique Lamia Benhabib, consultante indépendante et chercheure associée du GPES; de notre collègue Amel Choutri, directrice du laboratoire LEZINRU près l'université Bordj Bou Arreridj, de notre dynamique collègue Bouchouar Radia, co-organisatrice de cette journée d'étude, ainsi que de nombreux jeunes docteurs et doctorants, venus présenter des conférences sous l'oeil vigilant des chercheurs aguerris sus cités, l'insert n'était pas des moindres. C'est ce qui nous a motivés à en livrer, même tardivement, ce modeste compte rendu.

L'objectif poursuivi à travers cette journée d'étude, était de fournir des éléments de clarification et de cadrage pour des débats autour de cette problématique de la régulation concurrentielle du marché du travail qui constitue une préoccupation permanente pour les économies occidentales et émergentes, et qui s'impose par conséquent chez nous aussi compte tenu des dérèglements notoires et le manque d'efficience dans le fonctionnement du marché du travail.

Il faudrait par conséquent bien comprendre les enjeux d'une telle régulation et la somme d'efforts nécessaires en termes de changements institutionnels, de gouvernance et d'efficience. Et c'est l'objectif poursuivi par les initiateurs de cette journée d'étude.

La pertinence du thème retenu est par conséquent incontestable. Comme le souligne la plaquette introductive au colloque. « l'examen des économies, telle celle algérienne, ne laisse pas percevoir de manière précise et la concurrence et la régulation. Si la concurrence se pose comme régulateur du marché des biens et services, l'intervention et l'intermédiation publique se manifestent de manière accentuée sur les marchés du travail, monétaire et financier. Au point de croire que les marchés sont indépendants les uns des autres. Aussi est-il nécessaires d'approfondir l'analyse au niveau du marché du travail dans ses relations avec les autres marchés. Faut-il en ce sens rappeler que les caractéristiques générales de l'économie algérienne sont entre autres : une économie importatrice, où l'investissement public connaît un pic très important conjugué à un secteur privé très mercantile, une intermédiation publique outrancière dans le marché du travail ».

Le laboratoire G.P.E.S. a ainsi le mérite d'avoir        organisé cette journée d'étude sur cette importante problématique totalement occultée dans les débats publics et suscitant tres peu de travaux académiques et d'éclairage théorique et empirique, pourtant très utiles pour les décideurs afin de réduire les incertitudes et rationaliser les politiques publiques en matiere de régulation du marché du travail.

Si la concurrence constitue incontestablement l'aiguillon de l'efficacité économique, elle n'est cependant ni spontanée, ni automatique. La théorie économique (d'essence authentiquement libérale) montre en fait que le problème économique fondamental réside dans son organisation. Cette organisation de la concurrence est conditionnée par plusieurs mesures qui incombent au législateur, parmi lesquelles, eu égard au marché du travail, l'imposition de codes et normes de travail (code du travail). En Algérie, pays en transition à l'économie de marché, les pouvoirs publics ont déjà pris beaucoup de mesures visant à assurer une régulation conforme aux principes édictés par les institutions internationales, en l'occurrence l'Organisation Internationale du Travail. Cependant, comme il a été relevé au cours des débats qui ont été très animés autour de la question de l'efficience des dispositifs institutionnels de régulation, un long chemin reste à parcourir dans la mesure où le problème de l'efficience de ces dispositifs requiert des évaluations périodiques scientifiquement établies pour améliorer constamment la résolution des problemes recontrés. Cela releve de la lancinante question de l'évaluation des politiques publiques, encore quasi inexistante chez nous alors que sous d'autres cieux, elle est constitutionalisée, par conséquent obligatoire, et entreprise pour améliorer l'efficience des processus décisionnels.

L'évaluation des politiques publiques, qui devrait être systématique, a surtout un côté pédagogique en dévoilant les insuffisances et les erreurs à ne plus reproduire, de participer aux débats qui concernent le devenir du pays, montrer que l'université s'interpelle d'elle-même comme partie prenante, sans doute plus que par le passé, pour dresser des états des lieux, des diagnostics et des éclairages scientifiquement établis afin d'orienter les processus décisionnels.

Le choix de cette thématique comme celles des précédentes n'est donc pas fortuit, il procède d'une volonté de prospecter les problèmes qui concernent le devenir du pays, montrer que l'université s'interpelle d'elle-même comme partie prenante, sans doute plus que par le passé, pour dresser des états de lieux , des diagnostics et des éclairages scientifiquement établis afin d'orienter les processus décisionnels

Ceci étant dit, de nombreuses communications furent présentées en langue arabe essentiellement mais aussi en langue française, durant cette journée du 18 Avril 2018.

C'est le directeur du laboratoire G.P.E.S,, notre collègue Ahmed Touil qui a présenté la conférence introductive où il a brillamment exposé le problématique au plan théorique mais arrivé à l'évaluation du fonctionnement du marché du travail, il n'a fait que mettre en exergue certaines déficiences sans dresser un tableau d'évaluation fondé sur les criteres habituels d'évaluation des politiques publiques (pouvait-il le faire en l'absence de données émanant d'une institution d'évaluation présentement inexistante).

Suivirent d'autres communications où la redondance des propos étaient inévitable. Pour notre part, nous avons axé notre intervention sur la question des salaires. Au lieu de nous étendre dans des généralités nous avons opté de traiter une phalange, sans doute une des plus importantes de la problématique de la régulation du marché du travail, à savoir les salaires. Le salaire en tant qu'instrument de regulation du marché du travail (emploi et revenus) est un probleme fondamental que « non seulement l'actualité met au premier plan des préoccupations des acteurs économiques mais aussi que l'histoire de la pensée économique a toujours placé au cœur de ses problématiques ». Le salaire en tant que coût pour les employeurs (entreprises) et en tant que revenu et pouvoir d'achat pour les employés (les salariés) a toujours préoccupé les théoriciens autant que les gouvernements pour des ajustements permettant une bonne régulation du marché du travail dont les enjeux demeurent l'emploi et son corrolaire le chômage.

La complexité de la détermination des salaires d'equilibre réside dans le fait qu'elle embrasse les intérêts fondamentaux non seulement des employeurs mais également des employés, des syndicats, des gouvernements? Ces intérêts n'étant pas totalement convergents, loin s'en faut, d'où la nécessité de déterminer un équilibre délicat constamment remis en question et réajusté sous l'influence de l'évolution des conditions économiques, sociales et politiques.

Quelle a été la politique de régulation salaraiale en Algérie et quel a été son degré d'efficience en termes d'équilibre du marché du travail (maximisation de l'emploi et minimisation du chômage ? Telle est la question centrale à laquelle nous avons tenté de répondre dans cette contribution, où nous avons en fait repris synthétiquement l'argumentaire théorique et empirique que nous avons longuement développé dans un ouvrage publié par l'OPU en 2013 sous le titre « Politique des salaires : fondements théoriques et analyse empirique de l'expérience algérienne ».

Que nos jeunes collègues dont nous n'avons pas cité, nous excusent pour cela, tous méritent d'être félicités, d'abord pour la qualité des communications qu'ils ont présentées même si elles n'étaient pas toutes d'un niveau scientifique très élevé, compte tenu sans doute du manque de maturité, mais la volonté de s'instruire et de progresser étaient nettement perceptible. Pour la discipline aussi dont ils ont fait preuve en étant attentifs aux commantaires et critiques exprimés par les chercheurs aguerris présents dans la salle de conférence. Des débats animés ont suivi toutes interventions où les jeunes doctorants ont été quelque peu secoués pour leur rappeler les règles méthodologiques de la production scientifique. Débats où nous avons observé les interventions remarquées et applaudies de notre collegue venue de l'université de Bordj Bou Arreridj. Quant au professeur Nasreddine Hammouda, il observait attentivement et jaugeait la qualité et la pertinence des analyses proposées en se gardant toutefois de bousculer les jeunes chercheurs.

A noter aussi les interventions tout aussi fortes et remarquées de notre vieil ami Beddi Nasreddine qui, comme à son habitude, ne laissait rien passer et exprimait ses critiques sur tout ce qui ne cadrait pas avec la philosophie économique libérale dont il est devenu le chantre.

Notons toutefois qu'il s'agissait de débats entre universitaires dans la mesure où les responsables à tous les niveaux qui sont chargés de gérer les institutions dédiées au developpement de l'emploi et de la gestion du chômage étaient absents. Ce qu'on ne peut que regretter. C'est en effet à l'occasion de ces séminaires et journées d'études, comme nous ne cessons de le répéter, que le rapprochement de l'université avec son environnement constitué de toutes les institutions publiques et privées peut se réaliser et se renforcer. On aurait aimé écouter les responsables chargés de la gestion des institutions dédiées au developpement de l'emploi,.. répondre aux critiques formulées par les universitaires en matière de conception, de réalisation et d'évaluation des politiques publiques consacrées au développement de l'emploi et de la lutte contre le chômage. Hélas, rien de tout cela. Est-ce un manque d'information et de communication ou est-ce la motivation qui est absente chez nos gestionnaires ?

Pour conclure ce compte rendu, on peut dire que la régulation concurrentielle du marché du travail devrait constituer un objectif primordial de l'action des pouvoirs publics. Comment garantir l'équilibre du marché du travail, comment gérer le chômage et notamment celui des jeunes, comment concevoir et appliquer une politique des salaires conséquente au plan macroéconomique et microéconomique en termes d'efficience (productivité, sécurité?).

Les solutions existent, pour peu que nos gouvernants puissent manifester de l'intérêt à ce genre de manifestations scientifiques et prendre en ligne de compte les recommandations qui y sont formulées.

* Dr - Université de Tlemcen