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Agriculture : réalité et perspectives (1ère partie)

par Slemnia Bendaoud *

I. Aperçu historique de la vocation :

Si la réussite de toute chose dans la vie mérite sacrifice, le mérite à travailler la terre nous commande de lui faire tous les sacrifices du monde réunis.

Au cœur de toutes les terribles expéditions ou extraordinaires conquêtes et des guerres les plus meurtrières, la terre reste un impact et facteur identitaire des peuples et nations dans ses aspects incontournable, non négligeable et inaccessible.

Libérée par le sang de nos martyrs, notre terre a vraiment bien soif de voir son monde suer dans l'effort dédié à son profit ou investi pour son travail, dans le but de mériter son confort.

Le rapport de l'homme à la terre ne se conçoit jamais en dehors de cette relation viscérale qui lie l'être humain à son territoire dont il tire son identification, culture, gloire et personnalité. Il lui en procure bien souvent fierté, identité, raison d'être et surtout pérennité à travers l'Histoire. Raison pour laquelle l'homme lui reste tout le temps redevable.

L'agriculture, comme métier de base, y est d'ailleurs au centre de cette union sacrée. Car, comment donc ne pas s'appuyer dessus en vue d'assurer d'abord sa sécurité alimentaire avant d'en faire un véritable cheval de bataille de son économie ?

La vocation agricole de l'Algérie est une donnée incontestable. Il s'agit là d'une réalité tangible, incontestable. Absolument incontournable ! Son Histoire la plus ancienne en fait d'ailleurs référence. Elle en atteste, à la fois, de son authenticité et de sa capacité à s'y ressourcer.

La symbolique est encore là : ne fut-elle pas autrefois baptisée du nom de « grenier de Rome» ?

Comment surtout expliquer comme il se doit cette intime relation ancestrale entre l'homme et la terre ? Comment plutôt justifier ce revirement total de la société algérienne à s'écarter de cette Grande culture de notre Dame Nature à tenter si souvent de rompre ce cordon ombilical qui faisait autrefois toute la force de nos aïeux et tribus les plus anciennes ?

A ce sujet, une seule hypothèse fait l'unanimité : une terre qui ne nourrit plus assez convenablement ses habitants les pousse inévitablement et tout naturellement à ne plus penser qu'à l'abandonner. Mais l'homme a toujours été attiré par la paix que suscite la terre. Et comment donc se fait-il qu'une terre aussi généreuse en moissons abondantes et fort pourvoyeuse de richesses agricoles soit si faiblement considérée et si inconsciemment négligée ?

De ce dilemme ainsi exposé entre, d'une part, un potentiel avéré, depuis des lustres reconnu comme tel et un travail de la terre en deçà des exigences de ses performances, enregistré sur le terrain, d'autre part, doit nécessairement découler la bonne formule qui aide à trouver la solution adéquate à cette si étrange équation.

Un manque d'imagination assez flagrant et très récurrent comme celui que nous connaissons actuellement, conjugué à fortiori à une absence d'initiative aussi prolongée, telle que celle que nous vivons présentement, ne peuvent l'un dans l'autre que logiquement mener vers une très sérieuse altération des rapports entre l'homme et la terre, dans leurs relations communes de donner à manger à leur monde et d'assurer sa pérennité sur son sol.

Tenter de cerner, comme il se doit, cet épineux problème autant dans son essence même, profondeur et autres implications que dans ses nouveaux enchevêtrements et autres logiques prolongements, revient à surtout mieux considérer l'esprit humain dans son rapport avec la terre et environnement naturel de mouvance.

Qui mieux que la terre natale peut à lui tout seul -et souvent contre tous- disposer de cet effet d'aimant qu'il exerce avec force et grande précision sur l'être humain pour finalement le pousser à ces retours aux sources, parfois instantanés, définitifs, impulsifs, intempestifs ou tonitruants, d'abord aux siens, ensuite à la grande famille et à la maison, à un moment où la raison, elle, lui dicte un tout autre choix ? Comment ne pas reconnaître à notre pays cette ancestrale vocation alors qu'il n'y a pas si longtemps il fut ce pourvoyeur de nombreux pays européens en denrées alimentaires de base : principalement les céréales ?

Que s'est-il passé depuis pour que la donne ait eu à changer si rapidement -et dans le mauvais sens !- pour assister de nos jours à cette tendance complètement inversée, faisant de l'Algérie un pays importateur en puissance de ces mêmes produits céréaliers après qu'il en fut naguère l'un de grands pourvoyeurs des marchés européens ? Faut-il encore rappeler que même traditionnellement exploitées, sans l'apport d'un quelconque itinéraire technique, nos terres agricoles arrivaient à suffisamment produire, en maraîchage comme dans d'autres filières agricoles, pour non seulement répondre aux besoins du marché local mais surtout dégager un excédent appréciable pour l'exportation ?

Encore travaillées selon des méthodes archaïques et rudimentaires, nos terres agricoles ne produisent plus cette richesse escomptée qui était la leur et restent donc tributaires des caprices du ciel, quant à leur rendement et capacités de favorablement répondre aux besoins en nourriture de ses populations.

Cependant, passer si rapidement du statut de producteur excédentaire et donc exportateur par excellence à celui de simple de consommateur dont le faible niveau de production en produits agricoles n'arrive même pas à couvrir les besoins de son marché national ; cela demande réflexion à tous les niveaux et sphères du pouvoir. Déjà au tout début des années soixante-dix du siècle dernier, l'Algérie faisait connaissance avec cette maudite dépendance du pays vis-à-vis des marchés étrangers sur le plan alimentaire à procédant à l'importation de quelque un million de tonnes de produits céréaliers pour pouvoir répondre à la demande de son marché intérieur.

L'une des causes principales à sa colonisation par la France, non encore avouée officiellement par l'oppresseur d'autrefois, ne réside-t-elle pas dans son subtil « refus déguisé » en vue de se dérober de son ancien créancier et fournisseur céréalier ? Très maladroitement d'ailleurs traduit en ce fatal coup d'éventail par cette dernière colonie, de sorte à ne jamais honorer ses dettes relatives à ses achats de produits céréaliers, dont elle reste redevable à ce jour envers l'Algérie ?

Pays-continent, s'il en est, l'Algérie regorge de ressources naturelles, très peu ou pas suffisamment exploitées à bon escient dans les temps présents. La raison essentielle à ce constat amer réside probablement dans la dépendance de l'économie algérienne du revenu engrangé par le produit de ses hydrocarbures dans le financement de l'économie des autres secteurs d'activité du pays dont l'agriculture justement, et durant un temps assez long.

Elle découle surtout du peu d'intérêt accordé au développement accéléré, intégré et multiforme de son agriculture, en appoint et substitut à ces mêmes hydrocarbures à un moment où les prix du « brut » avaient atteint les sommets de « sa gloire commerciale ». A un certain moment, le décalage fut très fort entre une agriculture, parent pauvre du développement, et une industrie considérée comme la reine de l'économie algérienne.

Secteur stratégique dont dépend justement notre sécurité alimentaire, l'agriculture algérienne a plus que jamais besoin de « décréter ses états généraux », et faire sa nécessaire « toilette » dans le seul but de réhabiliter ce segment de développement qui peut, à lui seul, assurer à la Nation sa pérennité et indépendance économique.

Sur une tranche de temps évaluée à plus de cinq décennies (de 1962 à ce jour), l'Agriculture algérienne est donc passée par différentes étapes et schémas d'organisation qui n'ont pu malheureusement mettre en valeur ses indéniables atouts pour y impulser un développement qui s'articulerait autour de ses principales caractéristiques et opportunités avérées. Le constat que l'on en fait est loin d'être satisfaisant. Cependant, le retard pris dans la mise à profit des opportunités offertes par ce secteur d'activité demeure important. Un rééquilibrage des leviers de notre économie s'impose à présent que les prix des hydrocarbures ne sont plus intéressants.

La réorientation de l'économie algérienne s'impose de droit à l'effet de nous concentrer sur certains segments stratégiques de nos métiers ancestraux, mais surtout de faire valoir nos produits du terroir sur les marchés internationaux. Seul secteur à même de suppléer sinon se substituer de manière durable et très profitable aux produits des hydrocarbures, l'agriculture algérienne demande à être prise à bras-le-corps pour être désormais mieux considérée, plus développée afin de s'intégrer dans une démarche économique globale où elle constituera le pivot autour duquel viendront se greffer les différentes fonctions de sa mise en œuvre et accompagnement.

Le diagnostic opéré sur pièce ou sur le champ explique en grande partie le pourquoi de cette anachronique position et peu enviable situation qui durent encore dans le temps. Il nous renvoie à désormais mieux considérer en amont deux paramètres jugés comme essentiels dans l'explication de ce constat négatif.

Il s'agit de lutter à travers des moyens appropriés (scientifiques et techniques) contre des conditions climatiques défavorables et plus contraignantes, caractérisées essentiellement par un climat sec, très froid en hiver et très chaud en été, mais aussi générateur d'un faible taux de pluviométrie, aggravé par une politique agraire tatillonne ne reposant que très partiellement sur une stratégie globale de développement sur le long terme.

Sur ce même chapitre, on enregistre, en dépit de tous les gigantesques efforts déployés en amont au sein de ce secteur, un manque d'infrastructures de soutien à l'exploitation agricole, notamment en matière de moyens logistiques nécessaires au traitement, au stockage sous froid, au conditionnement et à la transformation de ses produits destinés à la consommation intérieure ou à l'exportation.

Au même titre que le secteur de l'industrie, celui de l'agriculture a lui aussi connu à son tour, à la faveur de la promulgation de la loi 87/19, son très compliquée ou peu opportune opération chirurgicale qui consistait à morceler l'assiette de son foncier pour diviser et déchiqueter les autrefois grands domaines autogérés en de toutes petites exploitations agricoles individuelles et collectives (EAI et EAI).

Et pourtant Dame Nature nous a tout le temps bien gâtés et longtemps bercés par sa bénédiction au point de nous offrir à profusion le produit de sa providence ; ce que de nombreuses nations espèrent en avoir ou tout juste rêver de goûter à ce plaisir de disposer :

- D'un climat aussi favorable que le nôtre et surtout très varié qui arrive par la magie des combinaisons du Ciel à rassembler en une seule journée les quatre saisons de l'année, à travers ses nombreuses contrées et différentes régions, caractérisées essentiellement par des microclimats isolés, très distingués et très contrastés ;

- D'une luminosité supérieure à la normale (pas moins de 250 jours ensoleillés dans l'année) de sorte à favoriser l'émergence d'une poussée et naissance tout à fait naturelles mais aussi une croissance des plus hâtives, saine, proportionnée et ordonnée des plantes et végétations des produits agricoles, en sus de la garantie à la base de certaines propriétés pédologiques héritées tout naturellement de la clarté de l'univers véhiculée par ce phénomène ;

- D'une richesse exceptionnelle que traduisent ses innombrables ressources naturelles dont quelques-unes, situées au sud du pays, sont restées malheureusement à ce jour encore inexploitées ou peu valorisées, pour des considérations d'éloignement et de coût de revient jugé comme trop élevé ; sinon par la faute à une mentalité collective qui s'appuie dans son raisonnement économique sur une autosuffisance de l'exploitation des gisements de pétrole devenus alors plus rémunérateurs et plus faciles à contrôler leur gestion ;

- Une étendue de territoire géographique (le plus grand en Afrique) que constitue un foncier agricole important et très diversifié, à différentes textures de sol, afin de permettre la culture ainsi que l'émergence de toutes les démonstrations des espèces de maraîchage et d'arboriculture qui s'intègrent dans l'exploitation judicieuse de ses atouts naturels indéniables ;

- Une position géographique des plus privilégiées, reconnue comme étant vraiment stratégique, dans son rôle de vecteur important mais aussi dans son aspect de plaque tournante en matière d'échange d'expérience et de produits agricoles entre deux aussi grands continents, liant tout particulièrement les pays de la rive Nord de la Méditerranée à ceux de l'Afrique dans toute la dimension de sa profondeur géographique, à travers notamment sa « transsaharienne» en cours d'achèvement ;

- Une disponibilité presque permanente d'énergie renouvelable, solaire et éolienne, en mesure d'impulser une vraie dynamique au développement du secteur agricole, notamment au sein des zones à fort potentiel agricole dans les zones des Hauts-Plateaux et du Grand Sud du territoire national notamment.

A suivre

*Agriculteur, auteur, traducteur