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L’école m’a sauvé la vie

par Mohamed Sidibay*

NEW YORK – Quand ma famille a été tuée, je ne savais pas encore nouer mes lacets. Ma vie de petit garçon en Sierra Leone, ces années que j’aurais dû passer à jouer et à profiter de l’insouciance, je les ai vécues à combattre dans une guerre qui n’était pas la mienne. Mon enfance a été un cauchemar, qu’il m’a toujours semblé impossible de fuir.

Mais lorsque la guerre a officiellement pris fin en 2002, j’ai trouvé les moyens de commencer à vivre. Parmi les outils les plus essentiels, une opportunité m’a été offerte que je n’aurais jamais pu imaginer en tant qu’enfant soldat de neuf ans, empli de haine et illettré : l’école.

Je suis la preuve vivante du pouvoir transformatif de l’éducation. En étudiant sans relâche, et grâce à ma bonne étoile, j’ai pu terminer le lycée puis l’université. Dans seulement quelques mois, j’entrerai en classe supérieure à la Fordham University School of Law, une destination inimaginable pour les enfants soldats de mon pays.
Mais au cours de mon bref parcours scolaire, une question m’a toujours suivi : pourquoi tant de choses reposent-elles sur la chance ? Après tout, l’éducation devrait être un droit humain universel. Si seulement c’était aussi simple.

Aujourd’hui, plus de 260 millions d’enfants ne vont pas à l’école, et plus de 500 millions de jeunes filles et garçons effectivement scolarisés ne reçoivent pas une éducation de qualité, comme le relève la Commission international sur le financement des opportunités éducatives dans le monde. En 2030, plus de la moitié des enfants de la planète en âge d’aller à l’école
– environ 800 millions – manqueront de l’apprentissage nécessaire pour s’épanouir et décrocher un emploi sur le marché du travail de demain.

La résolution de cette problématique nécessite des ressources financières. Pourtant, alors même que l’éducation constitue sans doute le meilleur investissement qu’un État puisse consentir pour offrir un meilleur avenir à sa population, le financement de l’éducation est bien trop faible à travers le monde. L’éducation ne représente en effet que 10 % du total de l’aide internationale pour le développement, contre 13 % il y a dix ans. Pour placer ces chiffres en perspective, les pays en voie de développement perçoivent chaque année seulement 10 $ par enfant dans le cadre de l’aide internationale pour l’éducation, montant à peine suffisant pour couvrir l’achat d’un manuel scolaire. À l’ère des véhicules autonomes et des réfrigérateurs intelligents, cette pénurie de financements est tout simplement inacceptable.

Depuis plusieurs années, je défends trois initiatives pour l’éducation à travers le monde : la Commission internationale sur le financement des opportunités éducatives dans le monde (la Commission pour l’éducation), le Partenariat mondial pour l’éducation (PME), et le fonds Education Cannot Wait (ECW). Je le fais avec passion, car ces différentes organisations œuvrent collectivement en direction d’un seul objectif : lever des financements pour offrir une éducation de qualité à tous les enfants, partout dans le monde, afin que l’épanouissement ne soit plus seulement une question de chance.

L’un des meilleurs moyens d’y parvenir consiste à soutenir la Facilité financière internationale pour l’éducation, une initiative menée par la Commission pour l’éducation, susceptible de débloquer le plus grand investissement mondial jamais observé en matière d’éducation. Les jeunes du monde entier comprennent ce qui est en jeu. Ce mois-ci, les jeunes ambassadeurs du programme Global Youth ont adressé une pétition, signée par plus d’1,5 million d’enfants dans près de 80 pays, au secrétaire général des Nations Unies António Guterres, pour appeler l’ONU à soutenir cette facilité de financement.

En exploitant environ 2 milliards $ de garanties auprès des donateurs, cette facilité de financement entend lever 10 milliards $ de nouveaux fonds disponibles pour les pays qui en ont le plus besoin. S’il était largement adopté, ce programme pourrait permettre aux pays en voie de développement d’offrir une éducation de qualité à des millions d’autres enfants, y compris aux réfugiés, au jeunes filles, et aux anciens enfants soldats comme moi.

On entend souvent les dirigeants politiques expliquer que les jeunes sont les leaders de demain. C’est vrai, nous le sommes. Mais sans soutien financier, ces belles formules ne sont d’aucune utilité. Autrement dit, le monde doit s’unir pour financer une éducation de qualité pour tous. D’ores et déjà appuyée par la Banque mondiale, plusieurs banques de développement régionales, le PME, le fonds ECW et de nombreuses branches de l’ONU, la Facilité financière internationale pour l’éducation compte parmi les meilleurs moyens d’y parvenir.

Il y a vingt ans, intégrer une école de droit m’aurait semblé un rêve impossible. Aujourd’hui, grâce à mes efforts acharnés, aux aides mondiales, et par une chance incroyable, mon avenir apparaît plus prometteur que jamais. Mais mon histoire ne doit pas rester une exception. Pour permettre à chacun de bénéficier d’une éducation de qualité, et de suivre le chemin qui s’est ouvert à moi, la simple chance ne doit plus faire partie de l’équation.

Traduit de l’anglais par Martin Morel
*Compte parmi les jeunes ambassadeurs de la Commission internationale sur le financement des opportunités éducatives dans le monde. -Il est également défenseur de la paix dans le cadre du Partenariat mondial pour l’éducation, et ancien ambassadeur pour la paix dans le cadre de l’association My Hero Project.