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Le gaz de schiste n'est pas un poison mais son mode d'exploitation le rend poison

par Reghis Rabah*

L' entretien qu'a accordé le PDG de Sonatrach au Quotidien d'Oran paru le dimanche dernier et conduit en questions totalement ouvertes et bien ciblées avec habilité par la journaliste, lui a au moins permis de vider son cœur sur ses déboires lors de son passage à BRC et sa condamnation pour espionnage qu'il juge infondée jusqu'à ce qu'il ne veuille plus en parler car ces souvenirs lui ont fait « éclipser » son sourire habituel.

Cela se comprend, pourvu qu'il ne garde pas rancune pour conduire le mastodonte dont il a la charge vers la ruine car c'est une mamelle qui fait nourrir tous les Algériens en attendant les jours meilleurs. Il confirme le prix d'achat de la raffinerie d'un montant de 700 millions de dollars auxquels il faudra ajouter prés de 210 millions de dollars de l'engagement ferme de Sonatrach auprès des autorités siciliennes pour dépolluer prés de 360 hectares en attendant bien entendu de recevoir l'aval de l'organe de concurrence. Ce qu'on peut retenir et cela éclaircit de nombreuses zones d'ombres sur cette acquisition que l'infrastructure de la raffinerie n'a rien à voir avec les trois terminaux de chargement et confirme les chiffres données par le quotidien Français « les Echos » pour une bagatelle de 120 millions d'euros soit 144 millions de dollars en attendant son exploitation qui débutera à partir de janvier 2019. Non seulement nous ne rapprochons des 2 milliards de dollars mais ce que confirme Ould Kaddour s'éloigne des chiffres donnés par le représentant de l'Etat en l'occurrence le ministre de l'énergie dans un entretien accordé au doyen des quotidiens nationaux El Moudjahid le 12 mai soit trois jours après la signature de l'accord où il évalue l'ensemble de l'achat à 570 millions de dollars après précise t-il prés d'une année de négociation que le gouvernement algérien a mené avec son homologue Italien.

On comprend par là que si la discussion sur cet achat n'a pas été uniquement limitée de société à société, l'aspect assainissement de la situation fiscale d'Esso Italiana et surtout celui écologique devait être le plus important dans cette affaire. Si l'on se réfère aux chiffres donnés par Ahmed Mezighi, son proche conseiller lord de la conférence dédiée à ce sujet, le chiffre d'affaire attendu durant les 12 années d'exploitation serait de 1,53 milliards de dollars. De ce montant il faudrait déduire toutes les charges fixes et variables dont le transport aller retour de la cargaison de la matière première envoyée depuis le port de Skikda pour revenir sous forme de carburant pour la consommation interne. Après paiement des impôts et dans le scenario le plus pessimiste pour arriver à une probabilité élevée, le résultat net ne dépasse pas les 80 millions de dollars ce qui signifie que le délai de récupération des capitaux engagés pourrait dépasser de loin la période d'exploitation.

En supposant que les équipes de cette raffinerie coachées par ce dynamique PDG vont raffiner à pleine capacité soit 10 millions de tonnes par an, avec un taux de conversion moyen de 45% en essence et 22% en gas oïl, on obtiendra l'année 2019 une disponibilité de 4,5 millions de tonnes d'essence et 2,2 millions de gas oïl. Ceci est un scenario qui tend vers l'impossible car très optimiste, mais prenons le quand même. La consommation attendue pour 2018 est de l'ordre de 5 millions de tonnes pour l'essence et 12 millions de tonnes pour le gas oïl. Il est fait référence ici au chiffre 2016 publié par l'Agence de Régulation des Hydrocarbures avec une croissance annuelle de 7%. Peut être qu'on aurait résolu le problème de la consommation de l'essence mais en aucun cas celui du gas oïl qui non seulement ne change rien à la facture d'importation mais aussi celui qui tire notre industrie vers le haut. Il faut préciser par ailleurs que ce n'est pas le citoyen moyen qui consomme le gas oïl mais les gros transporteurs et les industriels. De l'autre côté, la situation en Europe diésélisée à prés de 60% offre de l'essence bon prix à l'exportation et en importe du gas oïl dont les prix flambent et pour lequel Augusta ou pas, l'Algérie aura à en importer inévitablement. Donc, ce n'est malheureusement pas les 25 années d'étude ou un diplôme de génie chimique qui va convaincre mais incontestablement ces chiffres là.

Sonatrach A-t-elle une expertise pour fracturer la roche mère ?

Les ressources en gaz du schiste du Sahara algérien sont connues depuis longtemps. L'intrusion des gaz de schiste sur la scène énergétique algérienne et mondiale aujourd'hui est imputable principalement à son mode d'exploitation. Ces hydrocarbures longtemps ignorés car réputés inaccessibles le sont devenus grâce au développement et au perfectionnement de la fracturation hydraulique en forage horizontal, un dada des entreprises américaines. En outre, relativement proche chimiquement du gaz naturel, sa transformation n'exige apparemment pas d'ajustements techniques considérables pour pouvoir être traité par des installations existantes. Les coûts associés au gaz de schiste se situent donc à l'amont de la filière plus qu'à l'aval.

Or, on fait tout en Algérie par les sociétés des services, Sonatrach est restée à la traine parce qu'elle n'avait pas réussi à capitaliser, consolider et fertiliser l'expérience, le savoir et le savoir faire pétrolier et gazier donc même si elle exploite ses ressources schisteuses, cela se fera au bénéfice des para pétrolières pour leur plan de charge. Maintenant, la population du Sud et particulièrement celle d'In Salah n'a jamais pris les ressources non conventionnelles comme un poison mais s'élève contre cette façon de rester un terrain d'essai à chaque fois qu'on échoue dans une démarche de développement économique. Elle se demande pourquoi les décideurs s'entêtent-ils à privilégier les énergies fossiles à tout prix comme seule solution économique du pays. Par ces visions erronées, ils mettent en danger les générations futures. Gaz de schiste ou pas, ces sources d'énergie se tarissent inexorablement et que tôt ou tard, ils seront impérativement mis devant leurs responsabilités.

Un voyage de reconnaissance est prévu.

Que va faire apprendre un voyage touristique d'une dizaine de sudistes en Argentine, au canada et encore aux Etats Unis ? Va-t-il pouvoir les rassurer sur la consommation d'eau de la fracturation hydraulique estimée en moyenne à 15 000 m3 par puits et impérativement douce pour revenir chargé de sel de la formation ? Même si le sable est en abondance dans le sud les autres adjuvants chimiques qui y sont utilisés lors du Fracking des centaines le sont pour la plupart toxiques, voire cancérigènes. Ceci est établi et avéré par une association américaine de la santé et de l'environnement ASEF, ces jeunes vont- ils pouvoir la rencontrer ? De quelle manière peut ?on les convaincre que la roche souterraine fracturée ne libère pas des substances toxiques, comme de l'arsenic, des métaux lourds (plomb, mercure etc.) ou encore de la radioactivité naturelle.

Ainsi, les polluants s'infiltrent dans les nappes phréatiques et contaminent l'eau que l'on consomme qui constitue pour la population sa seule ressource pour leur développement local quelque fois négligé par les pouvoir publics étant donné l'éloignement d'une oasis à une autre. Outre la contamination de l'eau, les techniques d'extraction du gaz de schiste ont aussi un impact sur l'atmosphère. Les techniques de forage utilisent des combustibles fossiles tels que le pétrole, qui participe à la pollution et au réchauffement de la planète. Comment peut-on aussi leur démontrer au prix où se situe le baril conjugué au coût de l'exploitation de cette ressources non conventionnelle le bénéfice énergétique mis en avant par ceux qui défendent ce projet, ainsi que leurs intérêts qui demeure insignifiant par rapport aux

risques que l'on fait prendre aux populations. Au lieu de modérer la consommation énergétique, on l'amplifie par approche encore une fois fossile. Auront ?ils l'occasion de visiter l'Institut National Américain des Sciences de la Santé Environnementale (NIEHS) qui a dressé un état des lieux paradoxal à l'approche Trump. En effet les chercheurs de cette institution ont prouvé qu'il existe des risques potentiels pour la santé publique dus au développement du gaz de schiste, tout en notant un manque criant d'études épidémiologiques qui permettraient de sortir du doute sur leur réalité et l'ampleur de ces risques potentiels. Tout ce qu'on peut faire pour agrémenter cette randonnée touristique c'est de leur répéter la même chanson : vos gisements sont situés loin des nappes phréatiques et encore plus des agglomérations alors ! Vous ne risquez rien. Tout ce qui va se passer, dans le cas où ce vœu se réalisera est qu'après avoir bien mangé et visité de beaux endroits envieux par rapport à leur quotidien, ils iront au siège de l'Agence Internationale de l'Energie (AIE) pour écouter le discours de son directeur qui répétera ce qu'a dit son collègue en septembre 2012, Didier Houssin, directeur des marchés et de la sécurité énergétique « nous disposons de plus de deux cents années de réserves de gaz, contre seulement quarante-cinq années pour le pétrole. Nous avons été les pionniers de l'eldorado de l'or noir et n'avons pas l'intention d'y renoncer » Sous entendu, vous irez avec nous que vous le vouliez ou non. En effet, les Etats Unis, non seulement soutiennent les producteurs du gaz de schiste mais les subventionnent lorsqu'ils sont en difficulté pour un seul objectif : être le premier producteur et exportateur du brut et gaz.

Par comparaison, l'exploitation des gaz des schistes au Canada et en Argentine est encore embryonnaire. Les gaz de schiste sont l'objet d'une forte défiance de la population, attisée par la découverte économiquement exploitable il y a moins d'une décennie. Le Parti québécois récemment réélu pourrait prochainement décréter un moratoire, promis pendant sa première campagne. Aujourd'hui, il n'y a pas de régulation fédérale sur l'exploitation des gaz de schiste. Le gouvernement d'Ottawa pourrait néanmoins intervenir à la suite des résultats d'une étude environnementale très préoccupante. Pour l'Europe, la majorité des pays ont pris la décision de ne pas s'aventurer sur le mode de la fracturation hydraulique. La Pologne le fait pour un choix contraignant : ou la dictature de Poutine ou le gaz de schiste et pour leur souveraineté cela se comprend. Pour le reste des pays, La question des « gaz de schiste » est venue dans le débat public dans le monde en général et l'Algérie en particulier avec la publication par l'Agence Américaine d'Information sur l'énergie (EIA), en avril 2011, de chiffres tendant à démontrer que l'Algérie occuperait la 3éme place dans les reserves de gaz de schiste et serait l'un des pays les mieux doté en qualité dans cette ressource. Bien que ces chiffres aient été, depuis lors, révisés à la baisse, ils font état de ressources extrêmement importantes mais n'ont pas manqué de donner de l'eau à la bouche aux décideurs pour en faire un futur vecteur de croissance peut être même dans le seul souci de perpétuer l'économie de rente par un abandon progressif de la transition énergétique promise. Pourtant, dans sa lettre lue par le ministre de l'énergie, le président de la république n'a pas manqué d'insister pour surseoir à l'exploitation du gaz de schiste et mettre tout le paquet sur le conventionnel sur un domaine minier de plus de 1,5 millions de km2 exploité à moins de 5%.

*Consultant, Economiste Pétrolier