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Zidane l'Algérien: Et s'il prenait en main notre équipe nationale ?

par Abdelhak Benelhadj

Madrid 13h11. Conférence de presse convoquée dans la précipitation. L'Espagne s'arrête. Au Parlement, qui examinait une mention de censure contre le Premier ministre. Menacé de perdre son poste M. Rajoy est déjà " sur la touche ". Une seule nouvelle courre les allées et les travées : Zidane quitte le Réal !

La nouvelle allait parcourir toute l'Europe et le monde du football. De Moscou à Rio, de Munich à Milan, de Barcelone à Paris...

La décision de l'entraîneur du Réal de Madrid de partir, au moment même où la Castille (de Bernabeu) planait au-dessus du monde footballistique, a surpris (et sans doute attristé) tout les aficionados de la " Maison Blanche ".

Trois coupes consécutives pour lui et son équipe qui engrange la 13ème de son histoire[1], un record qui restera pour longtemps une référence, une limite. Jamais aucun entraîneur ne l'a réalisé avant lui. En deux ans et demi, il a fait pleuvoir les records qu'aucun club n'avait connus avant le sien.

Il tombe sous le sens, que n'est pas une bonne nouvelle pour l'entraîneur qui lui succèdera, ni pour le club lui-même, en fin de cycle, qui devra entamer une reconstruction laborieuse, avec un nouveau management et de nouveaux joueurs. Mais ça, c'est une autre histoire.

On aurait dû se souvenir que le contre-pied c'est le métier de Zidane...

Il y a des entraîneurs que l'on vire, c'est la majorité du genre et il y a Zidane le héros que l'on veut retenir et qui s'en va, au moment même où beaucoup auraient été heureux de se rester pour profiter de leurs succès.

A la fin de la conférence de presse, standing ovation des journalistes. Chapeau l'artiste !

Et après ? Les chausse-trappes et traquenards ne manquent pas

Naturellement, les alternatives à ce départ n'ont pas tardé. Les " professionnels " et les " experts " en histoires écrites à l'avance n'ont pas manqué d'hypothèses.

Et tout aussi naturellement, en France, c'est aux Bleus qu'ils ont immédiatement pensés.

Remplacer D. Deschamps est une hypothèse farfelue puisqu'il est aux manettes et le restera jusqu'en 2020. Il vient d'être reconduit dans ses fonctions par la direction du Football français.

Cela n'a pas rebuté certains cyniques qui vont jusqu'à imaginer ce qu'il adviendrait de " DD " si l'équipe de France faisait naufrage en Russie dans les prochaines semaines, ouvrant ainsi les portes à un remplaçant...

Le football étant un sport si populaire, si... politique qu'il est rare qu'un sélectionneur survive longtemps à ses contre-performances. Que de piques ont garni de si célèbres têtes... pour sauver tant d'autres. Le train-train ordinaire des dirigeants qui tuent les entraîneurs pour durer.

En sorte que le départ de Zidane de Madrid serait un cauchemar pour Deschamps et une pression supplémentaire sur ses épaules lors de la prochaine compétition mondiale. Gare à l'accident !

Pourtant, le retour de Zidane en France serait une grosse erreur de sa part. Aujourd'hui tout le monde l'adule et célèbrent ses succès. Mais en réalité tout ce monde d'hypocrites l'attend au tournant pour le " flinguer " à la moindre occasion.

Zidane n'a rien à gagner en France. Rien que des coups à prendre.

Ses succès sont indigestes dans un pays où les gens comme lui sont indésirables, comme le sont tous ceux qui ont les mêmes origines ou qu'on a accusé d'avoir renié les mêmes normes identitaires : les Benzema, les Nasri, les Ben Arfa et même les Ribéry, les Cantona, ... presque tous expatriés.

Même si Giroud n'est pour rien en cette affaire qui dépasse, et de loin, le cadre sportif, ce sont toujours les Giroud qu'on préfère.[2]

Lorsqu'à la faveur du dernier but marqué par ce joueur lors du match de préparation de l'équipe de France contre l'Irlande, les UNE ont affiché : " Désormais Giroud a rejoint Zidane ", qui n'a pas eu envie de se rouler par terre de rire ?

Le pauvre algérien binational de service qui a été sélectionné est tombé dans un vrai piège à c.... Il n'a peut-être pas compris qu'il était est là seulement pour cocher une case. Pour donner l'illusion d'une équipe représentative " multicolore " qu'on voudra - fut-ce contre les faits - à tout prix monocolore. A l'exception des matchs de gala où on le montrera pour l'escamoter, il fera tapisserie sur le banc de touche pendant le reste de la compétition.

A l'évidence sans les footballeurs africains et ultramarins, il n'y aurait pas d'équipe de France. En tout cas pas cette équipe de France avec son palmarès.

Alain Finkielkraut, avec d'autres spécialistes de l'entourloupe, débordant le Front National sur sa droite, engagée en une cause identitaire qui en cache une autre, n'a décidemment rien compris à railler l'équipe " Black-black-black ", sans l'élémentaire reconnaissance que la France lui doit.[3]

Zidane a trouvé en Espagne une hospitalité, une bienveillance, une affection, certes rigoureuse et ombrageuse mais équitable, qu'il ne trouvera jamais en France où partout le terrain est piégé.

Il n'a sûrement pas besoin de conseils. Il sait où il en est. Il connaît la valeur et la qualité du tapi rouge (sang) que ses " amis " français lui déroulent à Paris. Ce qui se cache dessous et les savonnettes qu'il y a dessus.

Zidane l'Algérien

Il y aurait bien cependant un défi pour lui à relever. Une idée à lui suggérer.

Dans laquelle il aurait tout à gagner et rien à perdre.

Pourquoi Zidane ne serait-il pas convaincu de défendre les couleurs algériennes et de prendre en main une équipe aujourd'hui en perdition ? Ce serait dans la continuité de ses actions généreuses qu'il prodigue discrètement au village de petite Kabylie (Aguemoun) d'où est originaire sa famille.

Personne n'a oublié cette scène mémorable, en mars 2010 où, au cours d'un tournoi à Alger, Zidane paradait le drapeau algérien flottant au-dessus de sa tête et sur ses épaules. " Je suis fier d'être algérien " avait-il lancé à la foule de jeunes qui criaient son nom en décembre 2006.[4]

Même les technocrates " pragmatiques " de chez nous, à la remorque des dernières modes, convertis au " numérique ", à l'" économie de la connaissance ", aux " start-up ", à la " raison managériale "... enfin à toutes ces quincailleries qui font la joie des enfants et des adolescents attardés, seraient satisfaits.

Zidane c'est le nec plus ultra de l'" intelligence sportive ". Une pointure ! C'est ce qui se fait de mieux sur le " marché ".

Certes, en Algérie, peut-être plus qu'en France, le monde du football est lui aussi piégé, l'incompétence et les états d'âme en plus.

Zidane aura 40 millions de sélectionneurs dans le dos.

Le président de la Ligue et le ministre en prime.

Mais, à la différence de ceux qui l'ont précédés, il sera inaccessible, hors de portée des boutiquiers et des magouilleurs de toutes espèces qui étouffent et parasitent le sport algérien.

De plus, l'équipe nationale est aujourd'hui au fond du gouffre et ne pourra qu'être meilleure. Certes, comme dit l'adage, on peut toujours creuser...

Evidemment, cette affaire n'a plus rien à voir avec le football et si peu à voir avec le sport.

Il coule de source qu'un front (le mot est faible) sera ouvert sur l'autre rive de la Méditerranée. On ne le veut pas, c'est vrai. Comment peut-on sérieusement songer à confier l'équipe de France à quelqu'un qui n'a jamais voulu chanter la Marseillaise ? Mais dédaigner de Clairefontaine quelle offense !

Si Z. Zidane prenait la tête de l'équipe nationale de son (autre) pays, ce ne serait pas uniquement pour en améliorer les résultats et combler de fierté une jeunesse algérienne désespérée, et pas seulement à cause du football ou du sport.

Ce serait aussi pour continuer son match avec l'histoire.

Il rejoindrait en cela le destin des Mekhloufi, Benbarek, Zitouni, Bentifour...[5] Ces hommes ont fait un choix qui dépasse le cadre sportif dans un contexte différent mais similaire.

Bien entendu, il faudrait bien que Zidane en saisisse le sens et le veuille. Il faudrait aussi qu'on le lui propose et qu'on l'en persuade. Avec un projet sérieux et crédible.

Il y aurait toutefois une condition bien plus difficile à satisfaire :

Y aurait-il, parmi ceux qui ont le destin du pays en charge, des hommes clairvoyants pour comprendre la portée d'une telle utopie et aider à sa réalisation ?

En attendant Godot

Par-delà les mers et le cas Zidane, la communauté algérienne expatriée compte de nombreux talents désireux d'apporter leur concours aux efforts de développement de leur pays. Cependant, l'Algérie n'a aucun Godot à attendre. Foin des hommes providentiels, le pays possède déjà les capacités humaines nécessaires que seule l'imbécile cécité empêche de voir et de valoriser.

Ce n'est qu'à ce prix que l'Algérie serait le mieux à même de tirer parti des richesses expatriées et trop longtemps abandonnées.[6]

Notes :

[1] Les suivants sont à 7 pour l'AC Milan et à 5 pour le Bayern, le FC Barcelone, et Liverpool... et encore moins pour les autres.

[2] O. Giroud (discret et néanmoins sportivement efficace) subit une pression insupportable. Son opposition à K. Benzema est artificiellement créée et sciemment entretenue par des médias (dont le quotidien sportif français bien connu) qui savent très bien les enjeux qu'elle représente.

[3] Interrogé en novembre 2005 par le journal israélien Haaretz sur les violences urbaines en France, le philosophe s'en prend vivement aux " noirs ", aux " Arabes " et à l'islam. Il ajoute que l'équipe de nationale " black-black-black " de football est la risée de l'Europe.

[4] Abdelaziz Bouteflika lui avait décerné, lors de sa visite, la médaille " El Athir ", la plus haute distinction de l'Ordre du mérite national. La polémique algéro-algérienne mineure qui avait émaillé cette visite a été vite oubliée. A raison.

[5] Salués et soutenus en leur temps par R. Kopa, J. Fontaine et R. Piantoni qui vient de disparaître en ce 26 mai.

[6] Le président Zeroual a créé, à la faveur des élections de 1995, des structures où cette Algérie-là était représentée. Ces structures ne plus que souvenir. Même le Secrétariat d'Etat créé à cette fin a été discrètement liquidé. Attention : les politiques discriminatoires que subissent les communautés étrangères en Europe fabriquent des Algériens " malgré-eux ". Demain, des politiques intelligents dont l'Europe est aujourd'hui dépourvue (et cela peut arriver très vite), comprendraient l'intérêt que ces populations représentent. Il n'est pas certain alors que ces changements seraient à l'avantage de l'Algérie, du Maghreb et de tous les autres pays qui négligent leurs concitoyens expatriés.