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Union européenne: Le temps des incertitudes

par Bruxelles : M'hammedi Bouzina Med

Avec l'avènement d'un gouvernement dit «populiste» en Italie et la levée de barrages douaniers contre l'industrie européenne des USA de Trump, l'Europe tressaillit et craint pour sa propre cohésion.

Coup dur pour l'Europe ce jeudi: l'arrivée d'un gouvernement italien anti Union européenne telle que conçue par l'élite bureaucratique de Bruxelles et l'entrée en vigueur des taxes douanières américaines sur l'acier et l'aluminium en attendant celles sur l'industrie automobile. Suffisant - et ça se comprend - pour que les «leaders» de l'UE, en particulier la France et l'Allemagne, brandissent les périls qui pèsent désormais sur la démocratie dans la maison Europe et le libre échangisme économique transatlantique. Ainsi, tout ce qui ne cadre pas avec la logique des technocrates de Bruxelles, au plan économique comme au plan politique, est considéré comme une menace contre les intérêts des peuples et leur avenir.

En Italie, la nouvelle coalition au pouvoir formée par le Mouvement 5 étoiles (M5E) et la Ligue du nord fait l'unanimité à Bruxelles contre elle. Qualifiée d'association «d'extrême droite et populiste» elle fait craindre une déflagration du fragile équilibre qui règne encore au sein des institutions européennes. L'Europe craint la politique anti-austérité et anti-migratoire revendiquée par l'Italie. Qu'espérait Bruxelles en abandonnant l'Italie seule face aux flux migratoires auxquels elle faisait face, seule, depuis les «printemps arabes» et la destruction de la Libye et de la Syrie ? Faut-il rappeler les barrages élevés aux frontières italiennes par la France de Sarkozy lors des arrivées massives de migrants à partir de la Libye que le président français a bombardée et disloquée ? L'Italie criait à la solidarité européenne votée à Bruxelles sans obtenir d'écho.

Il y eut plus grave: l'incursion de policiers français en territoire italien à la poursuite de migrants subsahariens sans mandat rogatoire, ni avis des Italiens. L'Italie a vécu - et vit - cette délicate situation dans une conjoncture économique des plus difficile sans bénéficier d'une aide financière conséquente. Pire, elle paye rubis, sur l'ongle les intérêts de sa dette aux Allemands et Français creusant davantage son déficit public sans endiguer un taux de chômage endémique. Du coup, l'issue du vote ne pouvait être que «contestataire» de cette politique européenne qui l'enfonce chaque jour plus dans le marasme économique. Autrement dit, le vote italien était prévisible par les «experts» de Bruxelles. L'impasse italienne est due principalement à la valeur «Euro» surévaluée dès le départ par rapport à la lire italienne. C'est le cas aussi de la drachme grecque et de la peseta italienne.

Ce n'est pas un hasard que ce sont ces trois pays qui pâtissent le plus au plan de la compétitivité et des déséquilibres budgétaires et vivent des taux de chômage insupportables. C'est que la monnaie «Euro' a été alignée à sa création sur la valeur la plus forte, c'est-à-dire le mark allemand, dans l'espoir de tirer les autres vers plus de compétitivité. Erreur fatale et qui explique d'ailleurs la très bonne santé de l'Allemagne devenue «prêteuse» aux autres voisins européens. On comprend mieux qui a mis son véto contre le ministre italien, Paolo Savona, dans la première composition gouvernementale italien et qui voulait faire sortir l'Italie de la zone euro. Même avec l'éviction de ce ministre anti euro, l'Europe se tient le ventre. Comme elle a la fièvre avec la décision américaine de taxer fortement l'acier et l'aluminium européens.

Ce ne sont que «6 milliards de dollars annuels», explique l'ex-patron de l'OMC Pascal Lamy pour apaiser la peur des européens. Certes, mais combien d'entreprises sous-traitantes, d'emplois directs et indirects en Europe, principalement en France et en Allemagne ?

La courbe du chômage pointe déjà le nez vers le haut d'autant plus que la prochaine salve de Donald Trump tient en ligne de mire l'industrie automobile allemande et française. Et ce n'est pas la riposte européenne de taxer le bourbon américain, fromages et autres biscuits et pâtes dentifrices qui comblera les pertes encourues. Cette guerre commerciale aura au moins le mérite de mettre au grand jour les «amitiés «factices euro-américaines. Peut-être que les Européens réfléchiront plus d'une fois et de façon plus réaliste à l'avenir avant de s'engager avec les USA dans des périples guerriers hors de leurs frontières dans les causes géostratégiques américaines et qui ne les concernent pas directement.

Quant à la question italienne, elle devrait servir de leçon - après les cas hongrois, polonais, tchèque, autrichien - pour comprendre enfin que la construction européenne ne peut se faire sans l'aval et le choix de ses peuples. C'est le fondement même du principe démocratique. Tout «populiste» qu'il soit.