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Ramadhan en Algérie

par Tawfiq Belfadel

Il ne s'agit pas dans ce texte d'un article scientifique sur le mois sacré de Ramadhan mais d'une sorte de tranche de vie nourrie d'humour et inspirée par ce que l'on voit dans les rues pendant ce mois.

Ramadan est le mois où toute sorte d'exagération se manifeste : de sommeil, de silence, d'achats, de crachats, et surtout de coupures d'électricité et de connexion.

C'est le mois où beaucoup de personnes commencent à se brosser les dents et à faire les cinq prières ; les mosquées, moins peuplées auparavant, suffisent à peine.

C'est le mois où les réseaux sociaux sur internet deviennent des sites de fatwas pour tant d'internautes et les profils deviennent ainsi des espaces de versets et de prières.

C'est le mois où beaucoup d'hommes laissent pousser la barbe et sortent leur blanche djellaba, où beaucoup de femmes cessent de porter les collants et les jeans moulants, et où tant d'épouses conseillent le mari de finir avec les cigarettes.

C'est le mois où les trottoirs deviennent, dans certaines villes, des centres culturels : les gens essaiment çà et là pour jouer au domino, pour médire, pour juger un fait relatif à la religion, ou pour parler des logements que l'Algérie vient de distribuer à ses enfants.

C'est le mois où les ronds-points, dont certains sont carrés, deviennent des parcs de loisirs, attirant ainsi les gens par un gazon qui refuse de pousser.

C'est le mois où, après le Tour de France, commence le tour de mobylettes (surtout la nuit) en Algérie. La règle de ce tour est de déranger avec plaisir le gens en conduisant sans casque et sans papiers une mobylette qui fait plus de bruit qu'un avion.

C'est le mois où n'importe quoi se vend et où le nombre de baguettes pétries par les boulangers dépasse le nombre de la population.

C'est le mois où tant de commerçants changent de métier sans pour autant changer les papiers : le mécanicien profite pour vendre fruits et légumes, le cafetier vend les gâteaux maghrébins tels Zelabia, Chamia, et d'autres pâtes qui n'ont ni goût ni nom.

C'est le mois où tant de personnes perdent du poids et se trouvent ainsi trahies par leurs propres vêtements. Puisque les pantalons glissent tout seuls, on se trouve ainsi obligé d'ajouter un trou dans la ceinture.

C'est le mois où les gens se bagarrent pour un rien en sortant les armes blanches et les dictionnaires d'insultes ; de loin ça ressemble à une séance de tournage d'un combat médiéval.

C'est le mois où l'on voit à la télé certains sketchs qui font rire, non par le scénario, mais parce qu'ils ne font pas rire alors que le rire est leur essence. Exemple : un acteur ramené de la rue qui oublie ses phrases et commence à trébucher sur les mots comme un vieux devant une jeune fille. Autre exemple : un acteur qui lui-même rit avant de parler et, risquant de gâcher le tournage, avale son rire et fait semblant de tousser. Bref, une technique de jeu très difficile que Molière et Feydeau? ne maîtrisaient pas !

Après ramadan, les habitudes changent et les masques tombent?