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Retrait des USA de l'Accord sur le nucléaire iranien: Un tournant dans une possible nucléarisation du Moyen-Orient (Suite et fin)

par Medjdoub Hamed *

3. L'irruption de la crise nucléaire nord-coréenne permet à Donald Trump de rebondir sur la scène nationale et internationale

En 2017, un nouveau président est élu, c'est le milliardaire Donald Trump qui hérite cette situation moyen-orientale où les États-Unis ont perdu la main au profit de la Russie. Si, au Moyen-Orient, l'axe Russie-Iran-Irak-Syrie-Hezbollah continue de marquer des points face aux États-Unis, le nouveau président n'a pas posé de grands problèmes sur la certification de l'accord nucléaire iranien. Par deux fois, il a certifié l'accord au cours du premier semestre 2017.

Une situation toujours en défaveur pour les États-Unis au Moyen-Orient, un événement nouveau va néanmoins changer les donnes. Ce sont les tests nucléaires et balistiques de la Corée du Nord qui, en quelques mois, changent l'ordre de puissance en Asie et dans le monde. La Corée du Nord menace du feu nucléaire les États-Unis. Pour rappel, la montée en puissance de la Corée du Nord s'est opérée comme suit durant le deuxième semestre 2017.

- Le 29 juillet 2017, «succès de deux tirs de missiles balistiques intercontinentaux» ou ICBM, le Hwasong-14, d'une portée théorique d'environ 10.000 km. «Tout le territoire américain est à notre portée», déclare déjà Kim Jong-Un.

- Le 8 août 2017, le président américain Donald Trump riposte, il promet le «feu et la colère» sur le Nord. La Corée du Nord avertit qu'elle pourrait tirer des missiles près de l'île américaine de Guam, dans le Pacifique. Le 21 août 2017, Washington et Séoul lancent des exercices militaires annuels dits «Ulchi Freedom Guardian» auxquels participaient des dizaines de milliers de soldats sud-coréens et américains. Le Nord, qui considère ces manœuvres comme la répétition d'une invasion, a prévenu Washington qu'il «jetterait de l'huile sur le feu» s'il les maintenait. Le 26 août, Pyongyang procède à trois tirs relativement anodins de missiles à courte portée.

- Le 29 août 2017, la Corée du Nord procède à un lancement d'un tir de missile balistique au-dessus du Japon, un mois après le premier le 29 juillet. Il n'est pas intercepté par les systèmes antimissiles américains et japonais. Donald Trump affirme que «discuter» avec la Corée du Nord «n'est pas la solution !»

- Le 3 septembre 2017, soit 4 jours après, un sixième essai nucléaire. Il a provoqué un séisme d'une magnitude de 6,3. Reconnu comme une bombe H, sa puissance pourrait atteindre 120 kilotonnes, contre 15 kilotonnes pour celle d'Hiroshima.

- Le 11 septembre 2017, le Conseil de sécurité de l'ONU adopte un nouveau train de sanctions, le huitième depuis 2006. L'escalade verbale avec le leader nord-coréen se poursuit. Lors du discours du 19 septembre à l'Assemblée générale de l'ONU, Donald Trump menace de «détruire totalement» la Corée du Nord, qualifiant Pyongyang de «régime vicieux» et Kim Jong-un d'«homme-fusée».

- Le 29 novembre 2017, «tir réussi d'un nouveau type de missile balistique intercontinental (ICBM), le Hwasong-15.» Ce missile intercontinental est capable de frapper n'importe quel point du continent américain, annonce Kim Jong-un. Il ajoute que son pays est devenu un État nucléaire à part entière. Le missile, qui s'est écrasé en mer du Japon après avoir suivi une trajectoire en cloche, pourrait avoir une portée de 13.000 kilomètres, une distance inédite pour un ICBM nord-coréen. Désormais, ce tir missile nord-coréen rompt avec les précédents par la portée de vol qui égalise désormais les vecteurs balistiques des grandes puissances.

Que peut-on dire de l'irruption de la crise nucléaire nord-coréenne ? Le premier élément qui ressort. Les essais nucléaires et balistiques de la Corée du Nord, attestant sa maîtrise de la puissance nucléaire (bombes A et H) et de la portée balistique de ses missiles (13.000 km) font désormais d'elle une puissance nucléaire déclarée, à l'instar des grandes puissances qui siègent au Conseil de sécurité. Le deuxième élément qui ressort c'est que, eu égard à la perte d'influence des États-Unis au Moyen-Orient, et un président poursuivi par une enquête qui doit déterminer s'il y a collusion entre l'équipe Trump et la Russie au cours de la campagne électorale 2016, cette crise nucléaire ne pouvait mieux tomber. Elle permettait à Donald Trump, en affrontant le président nord-coréen dans une joute verbale violente de rebondir sur la scène nationale et internationale. La crise nucléaire a joué un peu comme une bouée de sauvetage pour le président américain.

On comprend dès lors l'escalade verbale entre le président américain et le président nord-coréen. Et avec ce bras de fer sur le nucléaire nord-coréen, le nucléaire iranien ne pouvait que refaire surface. C'est ainsi, dans la chaude relation avec la Corée du Nord, le président américain lie l'accord nucléaire iranien à la crise nord-coréenne et refuse, le 13 octobre 2017, de le certifier comme l'exige la loi américaine dans la suspension des sanctions internationales. Ce refus sert le président américain dans le sens qu'il apparaît comme une riposte pour signifier à la Russie et à l'Iran qu'ils n'ont pas encore gagné au Moyen-Orient. Et commence alors le bras de fer sur l'accord nucléaire de l'Iran. Ni le Congrès américain ni les pays européens ne le suivent dans sa décision. Pourquoi ? Tout simplement, confrontés à la menace nord-coréenne de provoquer un «océan de feu» sur les États-Unis, suivre Donald Trump revenait à avoir non pas une crise nucléaire mais deux crises nucléaires, celle de la Corée du Nord et de l'Iran. La crainte était que l'Iran mettrait fin à l'accord et reprendra le programme d'enrichissement, ce qui enclencherait un dangereux engrenage, qui ne pouvait que mener l'Iran vers la maîtrise du nucléaire militaire.

En janvier 2018, Donald Trump se ravise et certifie l'accord nucléaire. Pourquoi ? Il est évident que le Congrès américain qui a infirmé la décision de Donald Trump et les alliés européens qui n'ont pas voulu le suivre l'ont fait réfléchir et l'ont amené à accepter de suspendre les sanctions mais tout en avertissant que c'est la «dernière fois». Donc qu'il tient toujours à sanctionner l'Iran si l'accord sur le nucléaire n'est pas amendé. Et comme attendu, le 8 mai 2018, il met sa mise en garde à exécution, il sort les États-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien. Là aussi, pourquoi il s'est ravisé et n'a pas craint une opposition du congrès américain qui bien qu'il soit dominé par les républicains, a infirmé la décision une première fois ? Ni qu'il a craint l'opposition des pays européens sur sa décision.

Il est évident que cela relève des changements qui ont intervenu depuis le revirement du leader nord-coréen dans son discours du Nouvel An, le 1er janvier 2018.

4. Une nucléarisation du Moyen-Orient est-elle possible ?

Des questions d'actualité très importantes se posent aujourd'hui. Qu'en sera-t-il de la situation au Moyen-Orient dans les mois à venir ? En particulier de l'opposition Iran-Israël. Que réserve la rencontre Donald Trump-Kim Jong-un ? Qu'en sera-t-il des négociations entre l'Iran et les pays européens ? Une dénucléarisation de la péninsule est-elle possible ? L'Iran viendra-t-il à suivre les pas de la Corée du Nord. Israël restera-t-elle la seule puissance nucléaire non déclarée ? Un tournant donc dans une «possible nucléarisation du Moyen-Orient» ?

Déjà l'Arabie saoudite avertit qu'elle pourrait acquérir la bombe atomique. «L'Arabie saoudite a prévenu mercredi qu'elle développerait son propre arsenal nucléaire si l'Iran s'y employait de son côté, au lendemain du retrait américain de l'accord sur le nucléaire iranien, des menaces qui exacerbent les fortes tensions dans la région. [...] Principal rival de l'Iran au Moyen-Orient, l'Arabie saoudite a immédiatement applaudi l'annonce de M. Trump, grand pourfendeur de l'accord et allié de premier plan de Ryad. Interrogé par la chaîne CNN sur l'éventualité que Ryad «construise sa propre bombe» si Téhéran reprenait son programme nucléaire, le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Jubeir a déclaré: «Si l'Iran se dote d'une capacité nucléaire, nous ferons tout notre possible pour faire de même»

Que les Iraniens choisissent ou non de reprendre l'enrichissement de l'uranium et d'accélérer un programme militaire, on aura une «course nucléaire au Moyen-Orient», a estimé James Dorsey, analyste à la S. Rajaratnam School of International Studies de Singapour, avant la déclaration de M. Jubeir». (9)

Peut-on prendre cette mise en garde saoudienne à la légère ? Non. C'est une possibilité. Il est évident qu'avec l'agressivité américaine et israélienne, et Israël est seul à disposer d'un arsenal nucléaire, il viendra un jour, peut-être il est très proche, qu'une nucléarisation du Moyen-Orient soit enclenchée. Une nucléarisation du Moyen-Orient n'est pas une fatalité. On ne peut l'attribuer, en dernier ressort, qu'aux forces de l'histoire. Les États-Unis, le Conseil de sécurité ont-ils empêché la Corée du Nord, l'Inde, le Pakistan à se doter de l'arme nucléaire ?

L'analyse s'arrête là. Nous essaierons dans une prochaine analyse d'apporter plus d'éclairage de ce qui ressort des événements à venir dans ces deux régions chaudes du monde : le Moyen-Orient et le Nord-Est asiatique.

Un bémol cependant, une prospective a été faite sur le pétrole en janvier 2018, et l'annonce a été faite que le prix du baril de pétrole pourrait être porté à 120 dollars. Aujourd'hui, le prix du baril se rapproche de 80 dollars.(10) Qui en sont les facteurs essentiels ? On peut dire que c'est à la fois Donald Trump, Kim Jong-un et la crise au Moyen-Orient, mais pour mieux préciser, c'est surtout Donald Trump puisqu'il préside le pays qui détient la «monnaie de base du monde, le dollar», et Kim Jong-un en particulier, par la crise nucléaire qu'il a provoquée, en est aussi un des facteurs essentiels. Paradoxalement l'argent dollar, euro, yuan, yen... couplé à l'énergie ? le pétrole ?, dope l'économie mondiale. Ce couple dollar-pétrole s'oppose à la stagnation économique du monde, du moins pour l'époque que nous vivons.

Aussi devons-nous souligner que ce n'est pas que les prédictions soient justes, il n'appartient pas à l'homme de prédire l'avenir, Seul Dieu détient l'avenir du monde. Cependant, il n'est pas interdit à l'homme de scruter les forces de l'histoire passée et présente pour comprendre la marche du monde. Il est de notre intérêt de comprendre notre monde, nos pays et où l'on va dans cette marche mystérieuse de l'humanité.

*Chercheur spécialisé en économie mondiale, relations internationales et prospective.

www.sens-du-monde.com

Notes :

8. «Yémen : la coalition saoudienne bombarde une cérémonie funéraire en plein cœur de Sanaa», par le journal Le Monde. Le 10 octobre 20116.

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/10/10/l-arabie-saoudite-a-nouveau-pointee-du-doigt-apres-un-bombardement-aerien-sur-sanaa_5010798_3218.html

9. «Nucléaire iranien: Ryad prévient à nouveau qu'il pourrait acquérir la bombe», par AFP le 9 mai 2018.

https://fr.news.yahoo.com/nucl%C3%A9aire-iranien-ryad-pr%C3%A9vient-%C3%A0-nouveau-quil-pourrait

10. «Immoralité des Quantitative easing. Un pétrole à 120 dollars et plus, une guerre nucléaire potentielle entre les USA et la Corée Du Nord ?», par Medjdoub Hamed. Le 16 janvier 2018.

https://www.agoravox.fr/tribune-libre

www.lequotidien-oran.com/