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Retrait des USA de l'Accord sur le nucléaire iranien: Un tournant dans une possible nucléarisation du Moyen-Orient (2ème partie)

par Medjdoub Hamed *

De nouveau, le 12 janvier 2018, le dossier nucléaire iranien rebondit. Cette fois, le président Donald Trump ne rejette pas l'accord nucléaire comme il l'a fait le 13 octobre 2017, il le certifie mais prévient que c'est la «dernière fois». France24 donne l'information : «Le président américain a confirmé, vendredi 12 janvier, la levée des sanctions économiques dont bénéficie l'Iran aux termes de l'accord sur le nucléaire de 2015 mais a fixé un ultime délai pour renforcer cet accord.

Le Congrès oblige le président à redire périodiquement s'il certifie que l'Iran applique l'accord de Vienne et à émettre une dispense pour que les sanctions américaines restent suspendues. Donald Trump a émis cette dispense vendredi, mais pour la dernière fois, a-t-on ajouté de même source. Le fait nouveau est qu'il donne donc au Congrès des États-Unis et aux pays européens parties prenantes une date limite pour améliorer les termes d'un accord qu'il juge trop favorable envers Téhéran» (4)

Et cette date limite, c'est évidemment la prochaine certification du dossier nucléaire iranien dans trois mois, i.e. le 12 mai 2018. Les pays européens, par cet ultimatum, devaient durcir plusieurs clauses du texte signé par l'Iran et les grandes puissances (États-Unis, Chine, Russie, France, Royaume-Uni et Allemagne). Malgré les exhortations européennes de ne pas rejeter l'accord, le président, passant outre, annonce le 8 mai 2018 le retrait des États-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien.

Aujourd'hui, comme lors du rejet de l'accord nucléaire iranien en octobre 2017, il reste la réponse des pays européens et du Congrès américain. Pour le Congrès américain qui a 60 jours pour se prononcer, il est peu probable que les Républicains qui sont majoritaires dans les deux chambres vont de nouveau infirmer la décision du président. Il n'en va pas de même pour les pays européens, dont la réponse est de l'ordre de quelques semaines de négociation avec l'Iran. Pour cette réponse, le président iranien a répondu qu'il n'entend pas se retirer de l'accord sur le nucléaire. «L'Iran souhaite continuer à respecter l'accord de 2015 sur son programme nucléaire, après l'annonce de la décision de Donald Trump de le dénoncer», a déclaré mardi soir le président iranien, Hassan Rohani.

«Si nous atteignons les objectifs de l'accord en coopération avec les autres parties prenantes de cet accord, il restera en vigueur (...). En sortant de l'accord, l'Amérique a officiellement sabordé son engagement concernant un traité international», a dit le président iranien dans une allocution télévisée. «J'ai donné pour consigne au ministère des Affaires étrangères de négocier avec les pays européens, la Chine et la Russie dans les semaines à venir. Si, au bout de cette courte période, nous concluons que nous pouvons pleinement bénéficier de l'accord avec la coopération de tous les pays, l'accord restera en vigueur».

Rohani a ajouté que Téhéran était prêt à reprendre ses activités nucléaires après des consultations avec les autres parties signataires de l'accord. En vertu de ce pacte conclu entre Téhéran et les pays «P5+1» (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'Onu plus l'Allemagne), l'Iran a accepté de réduire ses activités nucléaires en échange de la levée progressive de la majeure partie des sanctions internationales qui avaient été imposées à la République islamique, dixit agence de presse internationale Reuters» (5)

Et là encore il y a très peu de chance que les pays européens se séparent de la décision américaine de sortie de l'accord nucléaire iranien comme en octobre 2017. Il y a de fortes présomptions qu'ils vont imposer un réaménagement de l'accord, qui ne satisferait pas le gouvernement d'Iran. Comme l'écrit l'agence de presse internationale Reuters. «Paris s'attend à des discussions difficiles sur l'Iran. La France, qui défend l'idée d'un accord plus large sur l'Iran après la décision américaine de se retirer du texte de 2015, s'attend à des discussions difficiles et à des avancées par à-coups dans les prochains mois entre les parties prenantes dans un contexte de regain de tensions dans la région.

«La négociation qui s'ouvre va être longue et complexe», souligne une source diplomatique française. «On est dans un scénario maximal avec une sortie sèche américaine. Ce n'est pas vraiment surprenant compte tenu des déclarations de Donald Trump ces deniers mois, mais on aurait évidemment préféré un autre scénario» (6) Dès lors, une situation nouvelle va surgir qui changerait entièrement les donnes entre l'Iran et les pays occidentaux.

Nous avons ainsi fait la chronologie des événements qui ont concerné l'accord nucléaire iranien, mais nous n'avons pas parlé pourquoi le président Donald Trump, après qu'il ait certifié par deux fois l'accord nucléaire, a changé d'avis en octobre 2017. Puis, en janvier 2018, il l'avalise, en prévenant que c'est la «dernière fois», et le 8 mai 2018, il annonce le retrait des États-Unis de l'accord. Les questions qui se posent : «Pourquoi le retrait de l'accord en octobre 2017 ? Pourquoi Donald Trump le certifie en janvier 2018 ? Et pourquoi il refuse de le certifier en mai 2018 ? Qu'est-ce qui a pu se passer sur le plan international pour que le président américain Donald Trump refuse par deux fois de certifier l'accord sur le nucléaire iranien ?»

2. Le plan occidental global de déstabilisation du Moyen-Orient. Le grain de sable, la Russie

Tout d'abord, il faut revoir le contexte dans lequel le président Donald Trump a été amené à rejeter l'accord nucléaire iranien. Tous les grands États qui ont participé au PAGC sur le nucléaire iranien sont unanimes à dire que l'accord de juillet 2015 est le résultat de treize ans de négociations, et donc constitue un pas en avant dans leurs efforts de s'assurer que le programme nucléaire iranien n'est pas de nature militaire.

Il faut souligner un point important sur la crise nucléaire iranienne. Si une solution n'avait pas été trouvée en juillet 2015, par l'accord de Vienne, que les sanctions avaient été maintenues contre l'Iran, et l'Irak, la Syrie et Hezbollah qui étaient en guerre et se trouvaient, à l'époque, dans une situation très difficile avec les groupes armés dont Daesh le plus actif, l'Iran qui aurait vu ses principaux alliés s'effondrer n'aurait alors plus qu'un seul recours pour se défendre, qui serait évidemment «Passer le seuil nucléaire». En effet, l'Iran, isolé, n'aurait pas d'alternative que de rechercher l'arme nucléaire et balistique pour se défendre.

D'autant plus que trois mois et demi avant la signature d'accord sur le nucléaire iranien, le 26 mars 2015 l'Arabie saoudite, à la tête d'une coalition, s'est lancée dans une guerre contre les rebelles houthistes, des chiites originaire du nord du Yémen. Et ces chiites yéménites étaient soutenus par l'Iran. Comme l'annonce l'agence Reuters, les États-Unis venaient en appui à la coalition militaire menée par l'Arabie saoudite. «Depuis le début de l'engagement saoudien en soutien au gouvernement yéménite en exil à Riyad, en mars 2015, les Etats-Unis ont fourni du renseignement et une aide logistique à Riyad (ciblage, ravitaillement en essence) qu'ils appuient également par d'importantes ventes d'armes. En juin, des conseillers américains chargés de cette coopération sur le sol saoudien ont été rapatriés, et les équipes aidant à la planification de ces missions depuis d'autres bases ont été réduites» (7)

En clair, affaiblir l'Iran en Irak et en Syrie par Daesh et les groupes rebelles armés, et par une campagne de bombardements des positions houthistes par la coalition saoudienne au Yémen. Il ne manquait alors que le nucléaire iranien qu'il fallait à tout prix arrêter, et c'est là où réside l'intérêt de lier l'Iran par un accord nucléaire. C'est ainsi que les 4 pays occidentaux signataires (États-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne) consentent de suspendre les sanctions internationales contre l'engagement de l'Iran de ne pas rechercher l'arme nucléaire. C'est ainsi que le 14 juillet 2015, à Vienne est conclu l'accord entre l'Iran et les six puissances négociatrices (5+1). Il est ensuite validé par le Conseil de sécurité.

On constate là un souci occidental constant à la fois pour neutraliser l'Iran par un accord sur le nucléaire, affaiblir le pouvoir irakien et syrien et le Hezbollah face à Daesh et aux groupes rebelles fortement armés, qui ont pris plusieurs villes et une grande partie des territoires irakien et syrien, et enfin au Yémen, par les bombardements aériens de la coalition, affaiblir les houthistes. Les conséquences seraient très graves pour l'Iran qui se retrouvera isolé et affaibli.

Le plan stratégique global aurait pu fonctionner et arriver aux résultats visés par l'Occident et ses alliés arabes s'il n'y avait pas un grain de sable qui va bouleverser complètement les donnes. La Russie a une base militaire à Tartous en Syrie. Ceci d'une part, et si le plan occidental avait réussi, la Russie perdrait beaucoup sur le plan géostratégique dans cette région. Elle serait tout simplement délogée. Précisément, l'intervention militaire de la Russie en Syrie, le 30 septembre, va bouleverser le cours de la guerre. En deux ans, elle change complètement le rapport de forces. Le pouvoir irakien regagne pratiquement toutes les villes. Le pouvoir syrien, reprenant la plus grande partie du territoire, est désormais en position de force face aux derniers bastions de rebelles qu'il évacue, suite à des accords, vers la petite ville du Nord de la Syrie, Idlib.

Cette intervention de l'aviation russe a donc renversé la situation au Moyen-Orient. L'Iran, l'Irak, la Syrie, le Hezbollah et les houthis du Yémen, même si la guerre se poursuit dans certaines régions, sont sortis vainqueurs. Les États-Unis et leurs alliés, européens et arabes, même s'ils conservent certaines positions en Syrie, sont les grands perdants.

A suivre...

* chercheur spécialisé en économie mondiale, relations internationales et prospective.

www.sens-du-monde.com

Notes :

4. «Trump préserve l'accord sur le nucléaire iranien pour la «dernière fois» par France24. AFP. Le 12 janvier 2018

http://www.france24.com/fr/20180112-trump-preserve-accord-nucleaire-iranien-derniere-fois-sanction

5. «L'Iran n'entend pas se retirer de l'accord sur le nucléaire, dit Rohani» par Reuters. Le 8 mai 2018

https://fr.news.yahoo.com/liran-nentend-pas-se-retirer-laccord-sur-le-071125041.html

6. «Paris s'attend à des discussions difficiles sur l'Iran», par Reuters. Le 10 mai 2018

https://fr.news.yahoo.com/paris-sattend-%C3%A0-des-discussions-difficiles-sur-liran-104141221.html

7. «Deux bases russes restent en Syrie», par Sputnik. Le 11 décembre 2017.

https://fr.sputniknews.com/international/201712111034267343-bases-russe-syrie-hmeimim-tartous/