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Réduction de peine pour l'auteur du meurtre de la cité administrative

par M. Nadir

Le tribunal criminel d'appel d'Oran a examiné hier une affaire dans laquelle O.A. Karim, employé sur un chantier de bâtiment à Bir El-Djir, était accusé d'homicide volontaire sur la personne de son chef d'équipe, A. Abdelkader. Au cours d'une dispute survenue le 24 avril 2016, Karim a, en effet, asséné des coups de couteau à son adversaire qui, près d'un mois plus tard, a succombé à une hémorragie interne.

Brouille autour de la paie

Selon l'enquête menée par la police alertée cette nuit d'avril de l'admission d'un patient victime d'une agression au couteau, une dispute avait éclaté à midi ce jour-là entre O.A. Karim, la quarantaine, et son chef à propose de la paie. Etant dans le besoin, Karim -qu'une épouse et cinq enfants attendaient à Relizane- avait demandé à Abdelkader de lui accorder une avance sur salaire, ce que le chef d'équipe avait refusé arguant du fait que ce n'était pas lui qui gérait ces questions-là. Passablement énervé, Karim descend au centre-ville pour acheter quelques bouteilles de boisson qu'il consomme avant de revenir à la charge dans la soirée auprès de son chef.

Le ton monte entre les deux hommes et Abdelkader assène un coup de latte (de brique, selon Karim) sur la tête de son employé ; en réaction, celui-ci porte des coups de couteau au ventre et à la gorge de Abdelkader qui s'écroule par terre. Présent sur les lieux, A. Lazher s'empresse d'évacuer le blessé à l'EHU 1er Novembre où la victime est admise aux urgences. Il informera la police que l'homme a été frappé par un certain O.A. Karim et que le drame a eu lieu dans un chantier de la cité administrative de Bir El-Djir. Des policiers se rendent sur les lieux et trouvent Karim, en état d'ébriété, le visage ensanglanté, un couteau portant des traces de sang à la main. Interrogé, il avoue être l'auteur des coups portés à son chef d'équipe et explique qu'ils se sont battus parce que son chef avait refusé de lui payer son salaire et l'avait frappé à la tête avec une brique.

La victime décède trois semaines plus tard

Une fois dégrisé, le suspect apportera plus de détails : "Abdelkader m'a frappé à la tête avec une brique et, alors que j'étais à terre, s'est acharné sur moi en tentant même de me casser le bras. C'est pour cela que j'ai ramassé ce que j'avais trouvé sous la main et frappé à l'aveugle. Je n'ai fait que me défendre." De fait, le médecin qui l'ausculte lui prescrit un arrêt de travail de 13 jours.

Interrogé alors qu'il se trouve en soins intensifs, Abdelkader confirme les dires de son agresseur en précisant toutefois avoir frappé Karim avec un bout de bois et non pas avec une brique. Il dira également qu'avoir reçu le coup à la tête, Karim est sorti pour revenir armé d'un couteau.

Trois semaines plus tard, A. Abdelkader (dont l'état de santé avait nécessité un arrêt de travail de 45 jours) décédera subitement des suites d'une hémorragie à la poitrine.

Inculpé, au départ, pour coups et blessures volontaires, O.A. Karim sera poursuivi pour homicide volontaire selon les termes des articles 254 et 263, alinéa du code pénal. Il risque la prison à perpétuité.

20 ans de réclusion pour homicide volontaire

Devant le tribunal criminel, le 15 novembre 2017, l'accusé maintient ses déclarations : "C'est la victime qui m'a frappé en premier? je n'ai fait que me défendre? le couteau se trouvait par terre et je n'avais pas l'intention de tuer", affirmera-t-il en substance, plaidant la légitime défense.

Déclarations que le représentant du ministère public qualifiera de "tentative de l'accusé de fuir ses responsabilité", affirmant que les éléments constituant le crime sont établis et requérant la prison à perpétuité, soit la peine maximale prévue par la loi.

Dans sa plaidoirie, l'avocat de la défense tentera de plaider la légitime défense en mettant en avant que "c'est la victime qui a porté le premier coup et elle l'a reconnu elle-même. Mon client n'a fait que réagir", dira-t-il notamment en soulignant l'absence d'intention de tuer et en demandant au tribunal de requalifier les faits en coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Il finira son intervention en demandant les circonstances atténuantes.

Après délibérations, le tribunal criminel condamnera l'accusé à purger une peine de 20 ans de réclusion et à verser la somme de 300 millions de centimes à la partie civile, soit la mère et l'épouse de la victime.

Procès en appel : la 2ème chance

O.A. Karim a naturellement fait appel du verdict et c'est ainsi que toutes les parties se sont retrouvées hier devant le tribunal d'appel pour un nouveau procès.

A la barre, O.A. Karim répètera ce qu'il a dit en première instance en jurant qu'après avoir été roué de coups par la victime, il ne se souvenait même pas où il avait porté ses coups. Il assurera juste que le couteau se trouvait par terre, qu'il avait frappé à l'aveugle sans intention de donner la mort.

L'avocate de la partie civile réfutera les déclarations de l'accusé et tentera de l'enfoncer : "Les faits disent clairement que l'accusé avait l'intention de tuer puisqu'il est sorti pour apporter un couteau. Les éléments de l'homicide volontaire sont établis", dira-t-elle en cédant la parole au représentant du ministère public qui reprendra quasiment les mêmes arguments pour requérir la réclusion à perpétuité : "L'homicide volontaire est soutenu par des preuves et l'accusé lui-même a fait des aveux", déclarera-t-il dans un très bref réquisitoire en priant le tribunal de ne pas accorder les circonstances atténuantes.

Dans sa plaidoirie, l'avocate s'élèvera contre le fait que A. Lazher, témoin capital dans cette tragédie, n'ait pas été entendu et qu'il ne soit pas présent pour apporter son témoignage : "Nous ne savons ce qui s'est réellement passé. Notre client avoue avoir frappé la victime mais il nie aussi être sorti pour chercher le couteau", dira-t-il pour souligner l'importance du témoignage de Lazher.

15 ans de réclusion criminelle

Elle relèvera également l'"anomalie" du décès de la victime près d'un mois après les faits : "La victime est morte plusieurs semaines après les faits et elle est morte d'une hémorragie interne due à une infection. Mon client ne peut être tenu pour responsable d'une mauvaise prise en charge de l'hôpital", clamera-t-elle en affirmant que si les coups donnés par son client avaient été mortels, la victime aurait succombé dans les heures, voire les minutes qui avaient suivi, "pas 24 jours après la dispute". Rappelant que les blessures causées à son client avaient requis une incapacité de travail de 13 jours et que le défunt avait reconnu avoir frappé en premier, l'avocate conclura en demandant les circonstances atténuantes.

Après délibérations, le tribunal criminel d'appel accordera les circonstances atténuantes à Karim et le condamnera à 15 ans de réclusion criminelle.