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Des investissements pour le Sinaï

par Akram Belkaïd, Paris

Il était temps, serait-on tenté de dire. Le mois dernier, le gouvernement égyptien a décidé un investissement massif dans la péninsule du Sinaï afin de lutter plus efficacement contre le terrorisme qui y sévit de manière dramatique depuis 2013. Le Premier ministre, Sherif Ismaïl, a ainsi annoncé que 275 milliards de livres égyptiennes, soit l’équivalent de 15,6 milliards de dollars, vont être débloqués pour assurer le développement de cette zone à cheval entre les continents africain et asiatique.

Discriminations

Si l’on parle beaucoup des attentats à répétition qui ont lieu dans le Sinaï, notamment dans sa partie nord, les explications concernant les origines des auteurs sont moins fréquentes. Certes, le djihadisme est un phénomène à la fois complexe et répandu mais il n’est pas surprenant de voir que nombre de personnes incriminées appartiennent peu ou prou à des tribus bédouines de la péninsule. Il s’agit des habitants «originels» de cette région et la plupart subissent de profondes discriminations vis-à-vis d’autres Egyptiens notamment ceux de la vallée du Nil.

On sait, par exemple, que le Sinaï est une zone touristique dans sa partie sud-est, avec notamment les complexes touristiques de Sharm el-Cheikh mais aussi la ville de Dahab, jadis point de convergence des hippies en route pour l’Inde. Toute cette industrie touristique est entre les mains de non-natifs du Sinaï. Les bédouins (on compte près d’une vingtaine de tribus dans la péninsule) ne sont guère les bienvenus dans ces spots de plongée. Dans les hôtels pour vacanciers occidentaux, le personnel est originaire de la vallée du Nil et rares sont les établissements qui emploient des bédouins.

Ces derniers sont d’ailleurs qualifiés de tous les mots par les responsables locaux ou, tout simplement, par les gens venus du reste de l’Egypte pour travailler. Certes, les bédouins détiennent quelques monopoles, notamment celui de guide dans certaines zones montagneuses où affluent les touristes religieux (cas du mont Sinaï ou du monastère de Sainte Catherine) mais le chômage parmi ces populations est très élevé. Dans les années 1990, un phénomène inquiétant est apparu, celui de groupes armés détroussant notamment les migrants clandestins subsahariens en route pour Israël. Il n’est pas étonnant aujourd’hui que certains de ces groupes aient muté, mettant leurs armes au service d’organisations telles que l’Organisation de l’Etat islamique (OEI).

La question est donc de savoir ce que les autorités égyptiennes vont faire de cet argent. Selon la presse locale, une partie pourrait financer le projet Neom. D’un montant estimé à 10 milliards de dollars, il s’agit d’une immense zone franche répartie entre l’Arabie saoudite, la Jordanie et le Sinaï. Les activités économiques sur place s’articuleraient autour du port d’Aqaba et emploieraient la main-d’œuvre locale. Ce n’est pas la première fois qu’un projet de la sorte est évoqué. Dans les années 1990, au lendemain des accords d’Oslo, Egyptiens, Jordaniens et Israéliens avaient évoqué une telle possibilité. Cette fois, c’est l’Arabie saoudite qui joue le rôle de leader dans cette affaire en incluant Neom dans le plan «vision 2030»

Urgence politique

Le cas du Sinaï est un exemple typique de la non concordance entre l’urgence politique et l’urgence économique. Il faudra des années pour que les investissements se réalisent (si jamais ils se réalisent car on ne sait toujours pas comment l’Etat égyptien, en proie à nombre de difficultés, va trouver les financements). En attendant, de nombreux jeunes habitants du Sinaï n’ont guère de débouchés en matière de travail et restent susceptibles de suivre les sirènes du djihadisme.