Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La prison pour un cadre de lit

par M. Nadir

Houari a-t-il réellement tenté de tuer Miloud ou a-t-il seulement tenté de se défendre contre un adversaire plus imposant, qui le menaçait avec une scie ? C'est ce que le tribunal criminel d'appel d'Oran a tenté, hier mardi, de déterminer lors d'une audience à laquelle la victime a préféré ne pas prendre part, tout comme elle n'a pas assisté au premier procès à l'issue duquel l'accusé avait écopé de sept ans de prison.

Drame dans un haouch

Les faits du drame qui a conduit Miloud à l'hôpital et Houari en prison remontent à l'après-midi du samedi 4 juin 2016, dans la localité de Gdyel. A peine rentré de son travail, B. Houari, 36 ans, reçoit la visite de Malika, sa voisine de haouch, qui lui demande de lui remettre le cadre d'un lit laissé par d'anciens locataires relogés ailleurs, dont il s'est servi comme encadrement pour sa porte. L'homme, qui vit dans cet habitat précaire avec sa femme et leurs quatre enfants, refuse et rentre chez lui. Quelques instants plus tard, B. Miloud, ami intime de Malika, se rend chez Houari et exige qu'il remette le cadre à la jeune femme mais Houari persiste dans son refus. La discussion s'envenime, le ton monte et les deux hommes en arrivent aux mains : «Il tenait une scie et il m'a blessé à la main. Je n'ai pas eu d'autre choix que de prendre une barre de fer qui se trouvait sur le seuil de la porte et j'ai frappé», admettra plus tard Houari qui ne niera jamais son acte. Deux femmes sont témoins de la scène : ladite Malika et son amie Fatiha et toutes deux assureront que Houari a violemment frappé Miloud derrière la tête, le prenant en traître. Ce que le mis en cause nie farouchement: «Nous étions face à face et j'ai frappé sur le côté. Je n'étais pas derrière lui», soutiendra-t-il tout au long de l'enquête. Son épouse confirmera la thèse de Houari : «J'ai vu la victime qui tenait une scie à la main et mon mari se défendre en frappant avec la barre de fer. Et ils étaient face à face !», affirmera-t-elle.

7 ans pour tentative de meurtre

En recevant le coup, Miloud s'écroule sans connaissance. Il est transféré à l'hôpital où les médecins constatent que le côté gauche de son crâne est sérieusement abîmé, une partie est même brisée : «Le coup que vous lui avez donné a failli occasionner un handicap permanent ou provoquer la mort», précisera, plus tard, la présidente d'audience lors du procès en appel. En tout cas, le coup de barre a entraîné une incapacité de six mois à B. Miloud qui a porté plainte contre Houari.

Lorsque le dossier atterrira sur son bureau et après avoir auditionné l'ensemble des parties, le juge d'instruction estimera qu'il existe suffisamment d'éléments soutenant une accusation de tentative de meurtre avec préméditation et inculpera B. Houari en vertu des articles 30, 254 et 263, alinéa 3, du code pénal.

Devant la cour d'assises où il comparait en décembre 2017, l'accusé reconnaitra avoir frappé B. Miloud mais niera l'avoir fait par derrière comme il jurera ne pas avoir l'intention de donner la mort. A l'issue du procès, il est condamné à 7 ans de prison, ce qui l'incitera à faire appel du jugement.

Houari : «Je me suis défendu»

A la barre du tribunal criminel d'appel, B. Houari, homme de petite taille aux cheveux déjà grisonnants, reviendra sur cette funeste après-midi de juin 2016 et tentera de convaincre les membres du tribunal de sa bonne foi : «Il n'arrêtait pas de m'insulter et m'a frappé avec une scie. Alors, j'ai pris la barre de fer qui était sur le pas de la porte et je l'ai frappé à la tête (il désignera le côté gauche, derrière l'oreille). Mais nous étions face à face, je ne l'ai jamais frappé par derrière», répétera-t-il en jurant ne pas avoir eu d'intention criminelle.

Seule à avoir répondu à la convocation à témoigner (B. Miloud, S. Malika et R. Fatiha ne se sont pas présentés à l'audience, Ndlr), l'épouse de Houari, frêle jeune femme au regard triste, a tenté de défendre son mari en assurant «l'avoir vu frapper de face. L'autre tenait une scie à la main». Après son témoignage, elle ira s'assoir parmi l'assistance et fondra en larmes.

En quelques mots très brefs, le représentant du ministère public estimera que les charges sont établies et requerra 15 ans de réclusion criminelle contre l'accusé.

La défense plaide la légitime défense

Dans sa plaidoirie, l'avocat de la défense commence par déplorer que cette affaire soit portée devant le tribunal criminel : «C'est une dispute qui a mal tourné. Rien n'a été prémédité et notre client n'était pas animé d'intentions criminelles, il n'a fait que se défendre», déclare-t-il en priant le tribunal de bien étudier les photos de la blessure se trouvant dans le dossier, qui montrent que la victime a été bien frappée sur le côté gauche de la tête et non à l'arrière : «Ce qui démontre que les deux protagonistes étaient face à face contrairement à ce que les témoins ont affirmé», ajoute-t-il en regrettant que la victime et les deux femmes témoins ne se soient pas présentées, ce qui aurait sans doute éclairé davantage le tribunal. L'avocat indiquera qu'au moment des faits, B. Miloud tenait bien une scie-arme qui a été saisie par la police- et qu'il a bien frappé son client qui a présenté un certificat médical prouvant une blessure à la main : «Notre client n'a pas prémédité de frapper la victime. La barre de fer se trouvait par hasard sur le seuil de la porte et il ne s'en est saisi qu'après avoir été insulté et agressé par la Miloud qui est, soit-dit en passant, beaucoup plus grand que lui», relèvera-t-il en rejetant la préméditation et l'intention de donner la mort. L'avocat de la défense terminera par demander que le tribunal accorde les plus larges circonstances atténuantes pour son client qui n'a jamais eu de problèmes avec la justice et dont l'épouse et les quatre enfants vivent dans la précarité.

Après délibérations, le tribunal criminel d'appel décidera d'aggraver la peine en condamnant B. Houari à huit ans de prison.