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Ouverture ce soir du 71ème Festival de Cannes - À nos frères qualifiés

par Notre Envoyé Spécial À Cannes : Tewfik Hakem

En compétition officielle, un film égyptien et un autre libanais. En bonne position dans la sélection parallèle Un Certain Regard, le Maroc. Cette année le Festival de Cannes offre une belle visibilité aux cinémas arabes. A l'exception notable de l'Algérie, totalement absente dans cette 71ème édition.

L'Algérie ne participera ni à la Coupe du monde de foot en juin ni aux différentes compétitions de la Coupe du monde des films, c'est-à-dire le Festival de Cannes dont la 71ème édition s'ouvre ce soir. C'est une année sans, doublement sans, 100% sans, mais ce n'est pas la fin du tiers-monde pour autant ! Qu'est-ce qu'on a fait pour mériter tant de disqualifications ? Pour les lamentations, les tentatives d'explications, les accusations tous azimuts, on a déjà donné? On peut essayer autre chose. Nous les non-qualifiés, nous les non-sélectionnés, au nom du principe de la substitution fraternelle, supportons le Maroc frère et voisin qui a une représentante dans la sélection Un Certain Regard à Cannes : le premier film de Meryem Benm'Barek a pour titre " Sofia ". Supportons également l'Egypte et d'autant plus fort que c'est un autre premier film qui, lui, déboule directement dans la prestigieuse sélection de la compétition officielle : " Yomeddine ", étrange et joli titre d'un jeune cinéaste qui a un nom tout aussi énigmatique et beau : A. B. Shawky. Toujours en sélection officielle on suivra de près le dernier film de la Libanaise Nadine Labaki, " Capharnaüm ".

Voilà, c'est officiel, on va faire ça. Au nom de la grande famille arabe décomposée, se supporter, supporter? Mais supporter jusqu'où ? Dans la presse maghrébine on a lu que les Algériens à défaut de qualification de leur équipe vont supporter les Marocains au mondial de foot. Normal. Les articles ne disent pas combien d'Algériens supportant seraient par ailleurs profondément ravis si les Marocains supportés se faisaient éliminer dès le premier tour.

Les deux bonnes questions sont simples :

1 - Souhaitons-nous que le Maroc, ou pire L'Egypte, décroche la coupe du Monde cette année ? Coupe du Monde égyptienne, pour ou contre ?

2 - Souhaitons-nous que l'Egypte décroche la Palme d'or à Cannes cette année. Qui plus est avec un premier film dégainé par un jeune de 32 ans ? Palme d'or égyptienne cette année, oui ou non ?

Le Liban ne participe pas à la coupe du Monde, manquait plus que ça, mais la question n'est pas là : souhaitons-nous une coupe du Monde tunisienne et une Palme d'or libanaise ? En somme un ramadhan pourri de bout en bout.

Quand on pose les bonnes questions, les calculs sont vite faits et les résultats ne souffrent d'aucune ambiguïté. Si vous avez répondu Non aux deux questions, vous appartenez à la famille majoritaire des affreux, sales et méchants. Si vous avez répondu Non à la première et je m'en fous à la seconde, vous êtes inculte en plus d'être affreux, sale et méchant. En revanche si vous avez répondu Non à la première, Oui ou à la limite " Pourquoi pas " à la seconde, vous êtes un(e) modéré(e). Kabyle modéré, Wahrani modéré, muslim modéré, grand-père modéré, petite nièce modérée, illettré modéré, n'importe quoi modéré c'est bien, c'est positif. Qui que vous soyez, soyez-le modérément et vous serez à la mode. L'envoyé spécial du Quotidien d'Oran fait partie des envoyés spéciaux modérés par exemple. Ne souhaitant en aucun cas que la Tunisie, le Maroc ou l'Egypte n'aillent trop loin dans le mondial de foot, il aimerait bien quand même que la palme soit un peu arabe cette année, ou au moins la Caméra d'or, ce prix important qui salue et consacre l'originalité d'un premier film sélectionné à Cannes, toutes sections confondues.

Que dit le synopsis de " Sofia ", le film marocain en lice pour la Caméra d'or justement ? Sofia, 20 ans, vit avec ses parents à Casablanca. Suite à un déni de grossesse, elle se retrouve dans l'illégalité en accouchant d'un bébé hors mariage. L'hôpital lui laisse 24 heures pour fournir les papiers du père de l'enfant avant d'alerter les autorités?

On reste sur une note tout aussi guillerette avec le propos du très attendu film égyptien " Yomeddine ". En résumé du résumé fourni, ça parle d'un lépreux, c'est joué par un lépreux, l'action se déroule dans une léproserie. Quand au film libanais " Capharnaüm " que personne n'a vu, les grands misogynes de la presse arabe commencent déjà à nous expliquer que l'ancienne clippeuse de Nancy Ardjam, l'auteure du fun mais sans plus" Caramel " qui a totalement planté son second film " Et maintenant on va où " ne se retrouve en compétition officielle que pour des raisons de quotas de femmes que s'impose désormais le délégué du Festival de Cannes Thierry Frémeaux. Discrimination positive au carré en quelque sorte. Certains le suggèrent, d'autres en sont persuadés. # Me 2.

Jusqu'où ira la détestation interarabe ? Pour le modéré envoyé spécial, elle va jusqu'à se draper de cinéphilie pure et dure pour déclarer d'emblée que le seul grand film arabe attendu cette année en compétition cannoise est le dernier Jean Luc Godard, " Le Livre d'Images ". JLG est un continent de cinéma à lui tout seul disait je ne sais plus quel critique. Son dernier film - à peine achevé - se propose de faire une autre lecture des images des dites " Révolutions Arabes ". On ne sait pas ce qu'il nous réserve dans ce film mais son intérêt pour nous suffit pour faire de ce monument franco-suisse un des nôtres. JLG, un frère de sélection officielle très qualifié pour parler de nous. On n'aura sans doute pas la coupe du Monde, ni la Palme d'or, mais on a Jean-Luc Godard (86 ans) avec nous. Et hop, qu'on débouche une bouteille de cherbattes, le festival de Cannes commence ! L'affiche officielle de la 71ème édition reprend une scène de Pierrot le fou, réalisé par JLG en 1965 avec Jean Paul Belmondo et Anna Karina.

L'affiche est très belle comme souvent, l'affiche est trop blanche comme à chaque fois.

Y aura-t-il enfin une Palme d'or noire à Cannes ? Espérons-le avec l'Américain Spike Lee qui revient après une longue absence en compétition à Cannes. Son film Black Klansman évoque l'histoire du premier officier de police afro-américain à s'être infiltré dans l'organisation du Ku Klux Klan. Nous souhaitons, en votre nom chers lecteurs, la Palme d'or à Spike Lee et nous prions, toujours avec vous chers lecteurs, pour que la finale de la coupe du Monde se joue entre le Sénégal et le Nigéria. Que nos souhaits et nos prières soient exaucés. Joyeux Ramadhan noir !





LE JURY 2018

Cate Blanchett ? Présidente (Actrice, productrice, Australienne)

Chang Chen (Acteur, Chinois)

Ava DuVernay (Scénariste, réalisatrice, productrice, Américaine)

Robert Guédiguian (Réalisateur, scénariste, producteur, Français)

Khadja Nin (Auteur, compositeur, interprète, Burundaise)

Léa Seydoux (Actrice, Française)

Kristen Stewart (Actrice, Américaine)

Denis Villeneuve (Réalisateur, scénariste, Canadien)

Andrey Zvyagintsev (Réalisateur, scénariste, Russe)