Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Guelma: 45.000 morts... un 8 mai 1945

par Mohammed Menani

Dès le début de son invasion de l'Algérie, le colonialisme français avait mis en branle le déni au droit de vivre de la population autochtone qui était d'emblée considérée en infériorité, car étant des «sous-hommes de races moins intellectuelles à exterminer».

L'invasion s'était traduite par des prises d'assaut contre des innocents sans armes, des razzias, des expéditions punitives sanglantes, des déportations, des assassinats collectifs, des déplacements de populations, pour parvenir à une mise en servitude de tout un peuple, en le déracinant de sa propre culture et son ersatz identitaire. Le vrai visage du colonialisme ne peut être mieux défini que par ses théoriciens et praticiens de la barbarie en Algérie, comme le colonel De Montagnac qui écrivait dans ses mémoires de soldat: «Toutes les populations qui n'acceptent pas nos conditions doivent être rasées. Tout doit être saccagé, sans distinction d'âge, de sexe, l'herbe ne doit plus pousser là où l'armée française a mis les pieds. Voilà comment il faut faire la guerre aux arabes. En un mot, anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens». Pour le général Saint Arnaud: «On ravage, on brûle, on pille, on détruit les maisons et les arbres».

Le darwinisme ambiant en 1859 avait intégré le génocide dans l'air du temps et admettait que «le progrès véhiculé par le colonialisme puisse utiliser l'extermination des races moins intellectuelles». Ces actes d'extermination étaient les rituels macabres des généraux Pélissier et Bugeaud qui n'hésitaient pas à brûler les moissons, à vider les silos, à tuer sans distinction et à violer à titre de récompense, à chaque bataille. Le général Lamoricière affirmait: «avoir mis le pays à sac, s'emparant de tout ce qui peut être utile pour l'entretien de l'armée, en faisant vivre ainsi la guerre par la guerre et à repousser toujours plus loin les autochtones, de façon à s'assurer de la maîtrise complète des territoires conquis». Ces objectifs atteints par l'emploi d'une terreur de masse avaient permis l'implantation et le développement de nombreuses colonies de peuplement, avec l'impossibilité de retour des anciennes tribus. Tel qu'il est structuré et conçu par ses généraux, l'Etat colonial se présente comme un Etat d'exception sur un régime politico-juridique ayant des fondements raciaux, culturels, applicables aux seuls colons.

La barbarie de la France coloniale

Léon Blum parlait «du devoir des races supérieures» et Jules Ferry, fondateur de l'Empire colonial, définissait le but de la colonisation par ces termes cyniques: «Une France qui doit porter où elle le peut sa langue, ses mœurs, son drapeau, ses armes et son génie». Maître Jacques Verges, l'avocat rebelle qui «dérange» même après sa disparition, avait fait un commentaire aux propos de Jules Ferry: «Concrètement, cela signifiait la disparition programmée de tous les signes de culture du colonisé. Ses institutions meurent ou sont pétrifiées, sa religion devient superstition, son droit ravalé au rang de coutumes, ses rues portent les noms des conquérants, les fêtes des autres auront remplacé les siennes. Si c'est cela l'aspect «positif» de la colonisation, il y a confirmation plutôt d'un génocide culturel caractériel qui distingue le colonialisme français des autres crimes contre l'Humanité».

Ainsi, après la barbarie de l'invasion, la terre brûlée, le langage de l'exploitation, l'asservissement, le génocide culturel, la déshumanisation de l'autre, la mystification et le fantasme de l'assimilation, l'on retrouve encore des amnésiques qui déploient leur mépris et leur arrogance à la face des peuples libres, pour verser délibérément dans l'apologie du colonialisme à l'aube du troisième millénaire. Frappés de cécité, l'on pousse l'ignominie jusqu'à la «réhabilitation de l'OAS, une autre cruauté nazie, sans se remémorer le nombre d'Algériens mobilisés et engagés sur le front du combat pour libérer l'Europe de l'emprise fasciste et les statistiques sont toujours là pour reconnaître qu'il y a eu plus de morts algériens pour la France au cours de la seconde guerre mondiale que de résistants français au cours de la même période. Les tirailleurs algériens, toujours aux premières lignes, étaient désignés pour des missions de sacrifices; ils ont arraché plus que leur part à cette victoire que vont fêter les peuples «supérieurs» libérés. Au revers de leurs médailles militaires, l'on décrypte qu'ils sont renvoyés non pas dans leurs foyers, mais à leur code de l'indigénat, à la ferme du colon fouettard et son travail de forçat.

Ce statut esclavagiste qui était décrété par le conseil supérieur de la colonisation en 1884. A cette date-là, Adolf Hitler n'était pas encore né. Après l'effondrement de Berlin et la capitulation. Après tant de souffrances des peuples d'Europe, la bête immonde était morte. Cependant, à la même heure où sonnait le tocsin de l'armistice et la libération de toute l'Europe du joug nazi et fasciste, la France coloniale entama une remise à niveau de son génocide culturel sur le peuple algérien, en perpétrant le crime le plus abject, le génocide parfait. C'était il y a 73 ans, la folie meurtrière, la répression féroce à Guelma, Sétif, Kherrata... C'était 45.000 morts. C'était le mardi noir du 8 mai 1945 qui va se prolonger jusqu'au 26 juin, accomplissant sans témoin le crime contre l'Humanité, le génocide que la mémoire collective ne peut oublier.