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Journée mondiale de la liberté de la presse: Un état des lieux insalubre

par Moncef Wafi

3 mai 2017-3 mai 2018, une année est vite passée depuis le dernier anniversaire de la Journée mondiale de la liberté de la presse et rien ne semble présager d'un mieux dans le milieu.

Entre temps, la directrice du quotidien arabophone El Fajr avait entamé une grève de la faim pour protester contre la mort lente de son journal causée par l'absence de publicité institutionnelle, première source de financement de l'entreprise. Un motif qui a mis en lumière toute les difficultés économiques rencontrées par une presse privée, dite indépendante, qui est à l'agonie. La crise financière qui a plombé l'économie du pays n'a pas épargné le secteur des médias, impactant en premier la presse écrite qui vit, peut-être, ses dernières années, concurrencée par l'émergence des chaînes privées de télévision et une presse électronique de plus en plus présente dans les plans médias des entreprises. Si cette crise a épargné un tant soit peu la presse publique, elle a poussé des grands noms de la presse à se dépouiller des «appendices» éditoriaux créés lorsque la manne publicitaire était à son apogée, à l'exemple du groupe El Khabar. La sentence est brutale mais logique dans la mesure où la publicité, étatique et privée, s'est réduite comme peau de chagrin depuis trois voire quatre ans. La réalité des chiffres étant le meilleur des baromètres, la crise se cristallise dans la disparition de 26 quotidiens et 34 hebdomadaires du paysage médiatique national depuis 2014. C'est dire l'ampleur du malaise d'une presse dont l'avenir est derrière elle. L'information avait été donnée par le ministre de la Communication, Djamel Kaouane, qui tiendra quand même à rassurer qu'en dépit de cette situation, le monde de la presse reste «dense», avec l'existence encore de 140 titres. Mais jusqu'à quand ? Il n'est un secret pour personne que la première source d'argent des journaux reste la publicité, à hauteur de 100% pour certains titres qui ne se soucient pas de vendre, ne survivant que sous perfusion de l'Anep. Pourtant, l'ancien ministre du secteur, Grine, rappelait à qui voulait l'entendre que la presse privée bénéficie de 90 % de la publicité distribuée par l'Etat, tandis que la part de la presse publique est de moins de 10% sans pour autant donner des précisions sur la nature de ces journaux dont la plupart est réputée proche du pouvoir et dont le tirage est symbolique. Cette vérité connue et avec une réduction drastique du lectorat francophone, l'augmentation du prix des titres phares de la presse nationale, il est aisé d'imaginer le tableau sombre d'une descente aux enfers qui va précipiter plusieurs centaines de familles au chômage. Si, comme l'affirme le ministre, le problème de la pub est foncièrement économique, les éditeurs, eux, pensent tout le contraire. En effet, les patrons de presse sont unanimes à dénoncer une instrumentalisation du monopole de la publicité institutionnelle devenue, à force, un levier de chantage dans le traitement médiatique. Ils dénoncent également, à tort ou à raison, une pression exercée contre les annonceurs privés de priver les journaux indépendants de leurs placards publicitaires. Si l'Etat est dans son droit de donner la pub aux journaux qu'il choisit, quoique incompatible avec l'éthique et le souci de rentabilité pour les entreprises publiques et collectivités locales, il est en revanche en porte-à-faux quand il s'ingère directement dans les plans médias de sociétés de surcroît étrangères. Même si officiellement on n'admettra jamais que l'Etat a programmé la mort des titres qu'elle ne peut pas contrôler, il est clair que la politique adoptée et le discours ambiant creusent les dernières pelletées de la tombe de la presse dite indépendante.