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Facebook et la gratuité

par Akram Belkaïd, Paris

Le 25 mai prochain, le nouveau règlement européen sur les données personnelles (RGPD) entrera en vigueur. Cette législation est censée protéger les internautes des dérives constatées au cours de ces dernières années sur les réseaux sociaux et, d’une façon plus large, sur Internet. La protection des données individuelles est au cœur du dispositif mais la question qui reste posée est de savoir si les grands de l’Internet, les fameux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), vont jouer le jeu.

Qui est le produit ?

On connaît désormais l’adage. Si un service fourni par une entreprise privée est gratuit alors c’est que l’utilisateur est la vraie « marchandise » (« Si c’est gratuit, c’est vous le produit »). Apparue très tôt sur Internet (on n’en connaît ni l’auteur ni la date exacte), cette formule connaît un succès croissant depuis le début des années 2010 avec le boom sans précédent de Facebook. On sait que ce réseau social a fait de l’inscription gratuite à ses services de base un slogan (« C’est gratuit et ça le restera »). Certes, depuis quelques années, il propose à ses utilisateurs des options payantes comme le fait de « booster » des publications pour qu’elles soient vues par le maximum d’internautes, mais, pour l’instant, s’inscrire à ce réseau ne « coûte » rien (si ce n’est la connexion internet, le temps d’utilisation de l’ordinateur ou du périphérique mobile, l’usage d’une batterie, autrement dit autant de coûts cachés auxquels on ne pense pas toujours).

Facebook étant gratuit, comment en est-on donc le produit ? La réponse est simple : par la mise à disposition de ses données personnelles. Outre celles fournies lors de l’inscription, tout ce que l’on fait ensuite sur le réseau est exploité. Les « like », les clics sur tel ou tel lien, les publicités qu’on viendrait à regarder, les messages avec d’autres utilisateurs via l’application messenger : toutes ces données numériques valent de l’argent. Elles sont précieuses pour les entreprises qui segmentent leur clientèle. Elles valent aussi de l’or pour des organisations qui aimeraient influencer les internautes sur tel ou tel sujet, qu’il soit économique mais aussi politique ou social. L’actualité récente en a apporté une belle preuve avec le scandale Cambridge Analytica. Plus de 50 millions de données personnelles ont été siphonnées par cette entreprise pour influencer les élections présidentielles aux Etats-Unis mais aussi le référendum à propos du Brexit en Grande-Bretagne. L’affaire ne cesse de provoquer des remous. Le patron de Facebook a été obligé de s’expliquer devant le Congrès américain (mais il n’a rien cédé sur le modèle économique de son entreprise) et Facebook a perdu plusieurs dizaines de millions de dollars en Bourse. Pour résumer, une fois inscrit, l’utilisateur de ce réseau ne sait pas très bien ce qu’il va advenir de ses données personnelles.

Reconnaissance faciale

Le RGPD va-t-il changer la donne ? On sait que le Congrès américain regarde de près l’expérience européenne. Traditionnellement peu enclins à légiférer dans un sens trop contraignant pour les entreprises, les élus américains semblent avoir compris que l’affaire est grave car elle touche aux libertés et aux droits individuels. De son côté, Facebook promet de faire des efforts… En attendant, le réseau social a profité de la prochaine entrée en vigueur du règlement européen pour refourguer à ses utilisateurs la reconnaissance faciale. Retirée en 2012 après un tollé, cette « fonctionnalité » est de nouveau imposée (ou presque) car il faut vraiment faire preuve d’attention pour la refuser au moment d’accepter les nouvelles conditions générales du réseau. Il n’est pas besoin de grandes explications pour comprendre les conséquences d’un emploi massif de la reconnaissance faciale. Incorrigible Facebook ?