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Cocaïne, Houari Ey-Ey et jeunesse manipulée

par M. Nadir

  Il ne s'agit pas là d'un réseau de trafic de cocaïne mais juste d'une bande de jeunes dont un a avoué consommer de la cocaïne alors que les autres ont été injustement incriminés. C'est, en substance, ce que les avocats de la défense ont soutenu, hier dimanche, lors d'un procès dans lequel huit accusés (dont quatre étaient en fuite) étaient poursuivis pour trafic de drogue en bande organisée, selon les articles 2 et 17, alinéas 1 et 3, de la loi 04-18 relative à la prévention et à la répression de l'usage et du trafic illicites de stupéfiants et de substances psychotropes. Pour autant, tous les accusés seront condamnés pour trafic de drogue.

Revoilà Houari Ey-Ey

Au cours du mois de mars 2016, les services de police d'Oran arrêtent B. Abdelkader, recherché depuis une année pour suspicion de trafic de drogue, avec 88.000 DA en sa possession. Selon l'arrêt de renvoi, le vendeur de vêtements pour hommes, âgé de 26 ans, qui vivait dans le quartier Mimosas, avait déménagé à Haï Yasmine, ce qui avait quelque peu compliqué la tâche de la police. Une perquisition au domicile de Mimosas permet de mettre la main sur 132 grammes d'une poudre blanche qui, analysée ultérieurement, se révélera être de la cocaïne, et 140.000 DA qui seront considérés comme provenant de la revente de drogue. La perquisition dans le domicile de Haï Yasmine aboutira à la saisie de 100.000 DA également suspectés comme des recettes de la vente de la cocaïne. Interrogé par les services de sécurité, Abdelkader fait des aveux complets et donnera même des noms de présumés complices, dont M. Riad Solh qui serait son fournisseur, lui-même travaillant en lien direct avec Houari Ey-Ey, baron reconnu de la drogue qui se trouverait en prison à Rabat, Maroc. Ce narcotrafiquant algérien avait déjà été cité dans plusieurs affaires dont une, datant de 2014, portait sur l'importation de deux tonnes de résine de cannabis. De même qu'il a été évoqué dans certains procès parmi lesquels celui portant sur un trafic de 51 kg de kif et quatre grammes de cocaïne, jugé par le tribunal criminel d'Oran en février dernier. Trois accusés ont écopé de 12 ans de réclusion alors que deux autres ont été acquittés.

Ecroués pour trafic de drogue en bande organisée

L'enquête menée par la police sur la base des déclarations de B. Abdelkader aboutira à l'identification de sept suspects : J. A. Chawki, 25 ans, M. S. Redouane, 25 ans, seront arrêtés ensemble, 48 heures après, tandis que K. Oualid, 28 ans, fera l'objet d'un mandat d'arrêt et sera interpellé quelques mois plus tard. Quant à M. Riad Solh (présumé fournisseur de la cocaïne), A.B. Mohamed, A. H. Abdelhakim et K. Houari, ils sont considérés comme étant en état de fuite et sont activement recherchés par la police. Si, toujours selon l'arrêt de renvoi, Chawki et Redouane font des aveux partiels, Oualid niera tout en expliquant que Abdelkader l'a injustement impliqué en raison de la plainte qu'il avait déposée contre lui pour menaces de mort.

Après avoir étudié le dossier et écouté les mis en cause, le magistrat instructeur estimera qu'il y a suffisamment de charges pour inculper les accusés et les écrouer pour trafic de drogue en bande organisée, chef d'accusation qui peut entraîner la condamnation à la réclusion à perpétuité.

B. Abdelkader : «Les autres n'ont rien fait»

A la barre ce dimanche, B. Abdelkader changera sa version des faits en déclarant, d'une part, que la cocaïne était pour sa consommation et celle de Riad Solh dont il avait fait la connaissance quelques mois plus tôt et, d'autre part, que les gens qu'il avait cités étaient, en fait, innocents. Enervé, le président d'audience le mettra face à ces déclarations lors de l'enquête préliminaire : «Vous avez reconnu que la drogue était à vous, que l'argent retrouvé provenant de la revente des stupéfiants, que c'est Ey-Ey qui vous fournissait via Riad, que celui-ci se trouve actuellement en Belgique, que les gens que vous avez cités étaient impliqués, que vous aviez déjà fui au Maroc pour trafic de psychotropes?», récitera le magistrat passablement irrité. «J'ai menti? je suis consommateur? je ne vends pas de stupéfiants?les autres sont innocents», s'entêtera à répéter l'accusé.

De son côté, J.A. Chawki, comptable de formation et délégué commercial de profession, reviendra également sur ses précédentes déclarations et rejettera toutes les accusations. Il dira ignorer que son ami d'enfance Abdelkader revendait de la drogue et qu'il était recherché par la police. Il affirmera avoir été battu par les policiers qui l'avaient interrogé et jurera qu'il n'a jamais consommé ou revendu de la drogue. M.S. Redouane tiendra le même discours en certifiant ignorer que Abdelkader consommait ou revendait de la drogue, de même qu'il ne savait pas qu'il était recherché par la police.

Quant à K. Oualid, il ne changera pas de cap en expliquant que son seul lien avec l'affaire est la dénonciation de Abdelkader contre lequel il avait déposé plainte pour menaces de mort : «Je tournais autour de sa sœur, alors il a commencé à me menacer», dira-t-il.

Défense: la clémence pour Abdelkader et l'acquittement pour les autres

Dans un réquisitoire-éclair de quelques secondes, au cours duquel il ne présentera aucun élément à charge contre les accusés, le jeune représentant du ministère public requerra 20 ans de réclusion assortis d'une amende de cinq millions de dinars contre l'ensemble des accusés.

Ce que les avocats de la défense ont trouvé pour le moins exagéré compte tenu de la teneur du dossier d'accusation qui ne démontre pas l'existence d'une bande organisée telle que l'entend la loi et, pour certains, l'absence de preuves matérielles impliquant leurs clients dans un «prétendu réseau de trafic de stupéfiants».

Hormis l'avocat de B. Abdelkader qui -tout en rappelant que les P.V de la police n'ont pas valeur de preuve mais doivent être pris à titre de renseignements- demandera la clémence de la justice pour son client «manipulé et utilisé» par les gros bonnets du trafic de drogue, les autres défenseurs plaideront l'acquittement de leurs mandants pour manque de preuves à charge.

De huit à 10 ans de prison

L'avocat de M. S. Redouane déclarera que le fait de connaître Abdelkader n'implique pas que son client est impliqué dans un trafic de drogue alors que celui de A.J. Chawki insistera sur le fait qu'aucune drogue n'a été trouvée sur son client et qu'aucune preuve à charge ne se trouve dans le dossier de l'accusation. Quant à l'avocate de K. Oualid, elle présentera la preuve que son mandant a effectivement porté plainte contre Abdelkader, ce qui explique que celui-ci l'a cité comme complice. Quant au fait qu'il n'a pas répondu aux convocations de la police, elle la justifiera par le fait qu'elles avaient été envoyées au domicile parental à Mimosas alors que Oualid, qui était marié, avait déménagé à Coca. Du reste, les trois avocats rappelleront que B. Abdelkader venait d'innocenter leurs clients à la barre.

Après délibérations, le tribunal criminel d'Oran évacuera le grief de trafic de drogue en bande organisée mais retiendra les autres chefs d'accusation. Au final, B. Abdelkader sera condamné à 10 ans de prison ferme alors que les autres écoperont de 8 ans. La prison à perpétuité sera, par ailleurs, prononcée contre les quatre fuyards.