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Damas dénonce une agression barbare: Frappes occidentales contre la Syrie

par Yazid Alilat

La Russie a convoqué dans la nuit de vendredi à samedi une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU immédiatement après l'attaque aérienne combinée des Etats-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne contre la Syrie. Ces trois pays ont mené dans la nuit de vendredi à samedi des raids aériens contre des cibles militaires en Syrie, qu'ils avaient déjà annoncés il y a quelques jours en représailles à une présumée utilisation de l'arme chimique par les forces du régime syrien dans la Ghouta orientale.

Selon les trois capitales, l'opération est terminée et aucune nouvelle frappe n'est prévue dans l'immédiat. «Une opération conjointe est en cours avec la France et le Royaume-Uni, nous les remercions tous les deux», a déclaré Donald Trump qui s'exprimait à la Maison Blanche vendredi soir. Et, au moment même où le président américain s'exprimait, plusieurs détonations ont été entendues à Damas, selon des correspondants de presse sur place. Des témoins ont rapporté avoir vu des colonnes de fumée s'élever du nord-est de Damas. Cette vague de frappes, dont il reste à déterminer le nombre, est terminée, ont ajouté les autorités américaines moins d'une heure plus tard. Cette attaque a visé «des cibles multiples» avec «des types de munitions divers», a indiqué un responsable américain qui a notamment évoqué le recours à des missiles de croisière Tomahawk. «Des frappes occidentales ont visé des centres de recherche scientifique, plusieurs bases militaires et des locaux de la Garde républicaine à Damas et ses environs», a pour sa part rapporté l'Observatoire syrien des droits de l'homme. Selon le chef du Pentagone, ces frappes américaines et de leurs alliés ont plus lourdement frappé la Syrie que lors des tirs de missiles d'avril 2017, contre une base militaire syrienne. De son côté, la ministre française des Armées, Florence Parly, a affirmé samedi matin lors d'une conférence de presse que les frappes ont visé «le principal centre de recherche» et «deux centres de production» du «programme clandestin chimique» du régime de Bachar Al-Assad. Les 12 missiles tirés par les forces françaises ont visé un site de production et un site de stockage d'armes chimiques dans la région de Homs, selon l'Elysée. «Rien ne nous laisse penser qu'ils puissent avoir été interceptés», a déclaré le porte-parole de l'état-major des armées, l'Elysée ajoutant que «l'analyse du niveau de destruction des cibles» était en cours.

A Londres, le ministère de la Défense a annoncé que des frappes britanniques ont visé un «complexe miliaire» près de Homs, précisant que quatre avions de combat Tornado ont pris part aux frappes. Des missiles Shadow ont été utilisés contre un site militaire situé à 24 km à l'ouest de la ville de Homs et éloigné de tout groupement d'habitations de population civile. Le président français Emmanuel Macron a annoncé dans un communiqué avoir «ordonné aux forces armées françaises d'intervenir» avec une réponse «circonscrite aux capacités du régime syrien permettant la production et l'emploi d'armes chimiques».

Pour le président américain, le but de cette attaque est «d'établir une dissuasion forte contre la production, la prolifération et l'emploi d'armes chimiques». Donald Trump a également appelé la Russie «à quitter la voie sinistre» du soutien à Bachar Al-Assad, avant d'affirmer que Moscou a «trahi ses promesses» de 2013 sur l'élimination des armes chimiques syriennes. Le chef de la Maison Blanche a par ailleurs mis en garde l'Iran et la Russie, qui ont déployé des milliers d'hommes et du matériel pour aider Bachar Al-Assad à reconquérir le pays, contre leurs liens avec la Syrie. «Nous ne pouvons pas tolérer la banalisation de l'emploi d'armes chimiques, qui est un danger immédiat pour le peuple syrien et pour notre sécurité collective», a pour sa part expliqué le président français dans un communiqué de l'Elysée. La Première ministre britannique, Theresa May, a affirmé qu'il n'y avait «pas d'alternative à l'usage de la force». Moins d'une heure après le début de cette attaque, les Etats-Unis ont annoncé la fin de cette première vague de frappes. Il n'y a pas d'autres frappes prévues pour l'instant, a ajouté le ministre américain de la Défense, James Mattis.

«Une agression barbare»

Samedi, la Syrie a dénoncé «l'agression barbare et brutale» des Occidentaux. «Cette agression barbare n'affectera en aucune façon la détermination et la volonté du peuple syrien et de leurs héroïques forces armées», a déclaré le ministère des Affaires étrangères syrien, selon l'Agence syrienne SANA. Le président Bachar Al-Assad s'est dit plus déterminé que jamais à «continuer de lutter et d'écraser le terrorisme, sur chaque parcelle du territoire» syrien. Au total, ce sont trois sites présentés comme liés au programme chimique du régime syrien qui ont été touchés par les frappes occidentales, selon Washington, Londres et Paris. L'armée russe a affirmé que la défense antiaérienne syrienne avait intercepté 71 des 103 missiles de croisière tirés contre des installations du régime de Damas. Pour autant, les autorités russes ont appelé à une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU sur cette attaque militaire contre la Syrie. D'autant que la Russie «n'a pas été prévenue à l'avance de ces frappes», selon le chef d'état-major américain, Joe Dunford, qui ajoute que les alliés ont pris soin d'éviter de toucher les forces russes, massivement présentes dans le pays. Immédiatement après ces attaques, l'ambassadeur russe à Washington, Anatoli Antonov, a estimé que ces frappes sont une «insulte au président russe», dans un communiqué. «Nous avions averti que de telles actions appelleraient des conséquences. Nos mises en garde ont été ignorées». La Russie a ainsi dénoncé avec la plus grande fermeté l'attaque sur la Syrie, «où des militaires russes aident le gouvernement légitime à lutter contre le terrorisme», a indiqué le Kremlin dans un communiqué, annonçant que le président russe Vladimir Poutine avait convoqué une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU «pour évoquer les actions agressives des Etats-Unis et de leurs alliés». Le président russe, Vladimir Poutine, a réagi un peu plus tard, dénonçant «avec la plus grande fermeté un acte d'agression à l'encontre d'un Etat souverain», commis «sans l'aval du Conseil de sécurité de l'ONU, en violation de la charte des Nations unies, des normes et principes du droit international». Le Canada, l'entité sioniste et la Turquie ont samedi apporté leur soutien à l'opération, ainsi que Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'OTAN.

«Conséquences régionales»

Par contre, l'Iran a condamné «fermement» les opérations contre la Syrie et lancé une mise en garde contre «leurs conséquences régionales». De son côté, le SG de l'ONU Antonio Guterres a appelé les Etats membres à «faire preuve de retenue dans ces circonstances dangereuses et à éviter tous les actes qui pourraient entraîner une escalade de la situation et aggraver les souffrances du peuple syrien».

Reste la question qui taraude les esprits : le président russe a-t-il été prévenu de ces attaques ? L'Elysée et le ministère de la Défense français restent vagues sur cette question. Florence Parly, ministre des Armées, a dit avoir veillé «à ce que les Russes soient prévenus en amont», par ce que l'on appelle le «canal de déconfliction», un mécanisme mis en place entre les commandements des armées intervenant en Syrie pour éviter tout incident au sol et dans le ciel. Mais, des sources à l'Elysée ont cependant précisé que le président russe n'avait pas été prévenu de l'imminence des frappes, ajoutant que ledit canal n'avait été utilisé qu' «à partir du moment où l'opération était lancée».

Forte opposition politique en Grande-Bretagne

Les partis d'opposition britanniques et plusieurs ONG ont condamné samedi la décision de Theresa May de mener des frappes aériennes en Syrie sans consulter le Parlement, rompant ainsi avec un usage en vigueur depuis l'intervention en Irak en 2003, qui a laissé de profonds stigmates dans le pays. «Le Royaume-Uni devrait jouer un rôle de leader dans la recherche d'un cessez-le-feu dans ce conflit et non recevoir des instructions de Washington pour mettre les soldats britanniques en danger», a réagi le leader de l'opposition, le travailliste Jeremy Corbyn, après l'annonce des frappes menées par l'aviation britannique contre un complexe militaire près de Homs.

Le fondement de l'action de la Royal Air Force qui a mobilisé quatre avions de combat pour tirer des missiles Storm Shadow, est, selon M. Corbyn, «légalement discutable», et la Première ministre conservatrice Theresa May aurait dû «chercher l'approbation du Parlement». Formellement, Theresa May avait le pouvoir d'engager son pays dans une action militaire sans consulter le Parlement. Mais depuis l'engagement britannique en Irak, décidé en 2003, une pratique s'est établie consistant à soumettre les opérations militaires à l'étranger à un débat et un vote des députés.

Le pays reste hanté par le déploiement très controversé de troupes en Irak en 2003 aux côtés des Américains au motif de la présence d'armes de destruction massive qui n'ont finalement jamais été trouvées. Cette opération, dans laquelle 179 soldats britanniques ont trouvé la mort, a instillé un profond sentiment de méfiance sur la pertinence des interventions militaires à l'étranger.