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Gouvernement: Un remaniement pour quels impératifs ?

par Ghania Oukazi

Le remaniement du gouvernement auquel le président de la République a procédé hier, a laissé les observateurs les plus futés sans voix et surtout sans éléments évidents d'analyse.

Le changement minime que Bouteflika a introduit hier au sein du gouvernement Ouyahia doit certainement répondre à des impératifs que seul lui et son proche collaborateur, Saïd Bouteflika, ont établis. Ce sont seulement quatre ministres qui ont été remerciés hier sur les 28 existants (sans compter le 1er ministre). Pourtant, il était admis par les milieux politiques et les milieux d'affaires que le gouvernement Ouyahia avait des difficultés à convaincre la présidence de la République de son efficacité. Rappelé à l'ordre dès son retour au palais du Dr Saâdane, Ahmed Ouyahia avait mal commencé. Selon des sources sûres, il a été empêché à plusieurs reprises de paraître publiquement ou d'inaugurer des manifestions comme l'ouverture de la rencontre sur les énergies renouvelables organisées par le FCE.

Du 1er ministre aux ministres des différents secteurs -excepté quelques-uns qui semblent bien dans leur peau-, tous montraient depuis quelques mois des signes de désabusement ou de contrariété qui les laissent mal s'acquitter des missions desquelles ils ont été chargées. L'on se rappelle l'agitation ressentie au sein du gouvernement et au niveau des ministères au lendemain du paraphe de la charte du PPP (partenariat public-privé) par le 1er ministre, le secrétaire général de l'UGTA et le patron du FCE qui représentait pour l'occasion l'ensemble des organisations patronales signataires du Pacte national économique et social. L'apparition tout sourire des trois responsables n'avait pas du tout été du goût du président de la République ni de son frère. Echéance 2019 oblige, ils avaient vu en le trio une menace de rivalité incontestable. Du coup, c'est un communiqué signé par Abdelaziz Bouteflika qui a rappelé au gouvernement ses limites d'intervention dans la sphère économique. Le chef de l'Etat avait tenu à souligner qu'il était le seul à donner un accord définitif sur les entreprises publiques éligibles au PPP. Comme déjà rapporté par la presse, Ouyahia a, selon des sources sûres, exigé du ministre du Tourisme et de l'Artisanat de lui établir une liste des grands complexes touristiques situés aux alentours de la capitale.

Quand Bouteflika secoue le gouvernement

Le 1er ministre avait alors, selon nos sources, décidé de céder le complexe touristique de Sidi Fredj, le Mazafran de Zeralda, le Set et la Corne d'Or de Tipaza respectivement à deux richissimes hommes d'affaires. C'est, dit-on, une «bavure» que Bouteflika et Saïd n'ont pas du tout tolérée. Vrai ou faux, le chef de l'Etat avait bien secoué le gouvernement Ouyahia à l'occasion de la célébration du double anniversaire, la création de l'UGTA et la nationalisation des hydrocarbures, le 24 février dernier à Oran. Bouteflika n'avait pas pris de gants pour lui rappeler ses obligations (Voir le Quotidien d'Oran du mardi 27 février 2018). «J'ai instruit le gouvernement pour prendre la mesure des enjeux et définir les grands axes d'une action structurante(?). » Il lui ordonne alors «d'agir en profondeur sur la gouvernance économique des structures de l'Etat et des entreprises publiques, de créer les conditions de la cohérence des processus industriels en encourageant les dynamiques d'intégration verticale des chaînes de valeurs, en stimulant l'innovation et en multipliant les synergies.»

Son discours du 24 février qu'il a fait lire par le ministre de la Justice, Tayeb Louh, était pratiquement une feuille de route par laquelle il avait (ré) instruit son gouvernement. «Le secteur public marchand doit jouer un rôle moteur dans cette dynamique, le secteur privé devra être encouragé et bénéficier d'incitations à investir et à innover », lui a-t-il recommandé comme écrit dans ces mêmes colonnes. Le gouvernement doit, a exigé le chef de l'Etat, «veiller à promouvoir la production nationale à travers la mise en place des conditions à même d'améliorer la compétitivité et la qualité des produits nationaux». Son utilisation du présent est certainement pour signifier au gouvernement son mécontentement de n'avoir pas redressé l'économie nationale.

Avec ça, hier, Bouteflika s'est contenté juste de remplacer quatre ministres. S'il y a une raison à trouver pour expliquer le départ du ministre du Commerce, elle serait peut-être liée à son établissement de la liste des complexes touristiques qu'il avait remise à Ouyahia. Discipliné et discret pendant le peu de temps qu'il a été ministre, Marmouri n'était pas fait pour plaider la cause d'un secteur en mal d'existence. Il vient d'être remplacé par Abdelkader Benmassoud, qui était wali de Tissemsilt. Venu du pied de l'Ouarsenis, Benmassoud devra inventer le tourisme national. Lourde tâche au sein d'un gouvernement qui semble n'avoir aucune stratégie pour aucun secteur.

Ouyahia, mieux vaut l'avoir sous les yeux ?

L'autre nouveau venu du corps des walis, Mohamed Hattab, wali de Béjaïa, qui remplace Hadi Ould Ali au ministère de la Jeunesse et des Sports. Ould Ali a laissé un secteur dans un désordre lamentable. Si l'on s'en tient à l'évolution sinueuse de l'équipe nationale ou les soubresauts de la FAF (Fédération algérienne de football), Hattab aura du mal à faire entendre sa voix, s'il l'a veut réformatrice. Après avoir été nommé à la tête du ministère de l'Industrie et des Mines et remplacé quelques jours après par Youcef Yousfi, Mahdjoub Beda ressurgit pour prendre la place de Tahar Khaoua à la tête du ministère chargé des relations avec le Parlement. Elément agissant (physiquement) quand le FLN se fourgue dans de grandes frasques comme celle de 2004 où ses membres ministres ont fui par les fenêtres pour ne pas se faire passer à tabac par leurs dissidents, Beda connaît déjà bien les arcanes de l'APN.

Trop honnête pour slalomer dans un panier à crabes, Mohamed Benmeradi quitte le ministère du Commerce et est remplacé par Saïd Djellab, un de ses directeurs centraux. Djellab était jusqu'à hier directeur général du commerce extérieur. Ancien cadre du ministère de l'Agriculture, il était membre du groupe des négociateurs avec l'OMC. Il l'est resté après qu'il ait choisi d'aller au ministère du Commerce. Djellab, faut-il le rappeler, a été limogé par Abdelamadjid Tebboune non durant la période où il a été intérimaire du défunt Bakhti Belaïd (très malade à l'époque) mais dès sa nomination en tant que 1er ministre. Tebboune avait décidé de revoir toute la composante du ministère du Commerce et des institutions qui lui sont affiliées. Il avait remercié Djellab et Mohamed Chami alors directeur général de la CACI. Le premier, repêché par la présidence de la République, se retrouve aujourd'hui ministre et le second continue sa traversée du désert. Djellab pourra, si la présidence lui en donne le feu vert, relancer les négociations avec l'OMC pour être bien renseigné sur «les obligations» des pays, retardataires ou pas.

Ahmed Ouyahia est donc toujours 1er ministre au grand dam de ses détracteurs. « Il ne pourra être changé que s'il quitte tout de suite après le RND, sinon, mieux vaut l'avoir sous les yeux », estime un responsable. Il y a va de la préparation de l'élection présidentiel de 2019, avec ou sans Bouteflika?